I
POURQUOI REMUER
LE PASSÉ ?
Il y a ceux et celles qui téléphonent à leur maman tous les jours et ceux qui n'appellent jamais. Il y a ceux qui ont bâti leur maison près de leurs parents et ceux qui ont déménagé le plus loin possible. Il y a ceux qui ont du mal à prendre une décision sans papa, maman, et ceux pour qui Noël, un mariage ou un enterrement sont les seules concessions à l'obligation familiale. Aucune relation n'est semblable à une autre. Chacune est riche, et parfois lourde, d'une longue histoire. Il y a un tel passé entre nos parents et nous, une telle charge affective ; la bonne distance est difficile à maintenir. Tant du côté de l'enfant que de celui du parent, la juste attitude est tout sauf simple. La plupart des gens se résignent à ce qu'il en soit ainsi, sûrs que rien ne pourrait changer. Quelques codes de conduite régissent des rencontres que personne ne remet en cause.
1
Une relation complexe
Comme tous les dimanches, Jacqueline emmène son mari et ses enfants déjeuner chez ses parents. La conversation porte sur la nourriture, les maladies des absents et la météo. Parfois quelques discussions sur l'éducation («thinsp;les jeunes ne sont plus ce qu'ils étaient ») ou la politique («thinsp;c'est la faute du gouvernement ») passionnent les débats. Tout le monde s'ennuie un peu, mais personne ne remet en question ce rendez-vous obligatoire du dimanche midi. «thinsp;Ce sont mes parents ! » dit Jacqueline d'un ton fataliste.
Les enfants aiment leurs parents… Les parents aiment leurs enfants… la plupart du temps. On pourrait penser que la relation parent/enfant serait la plus proche, la plus intime des relations… C'est rarement le cas. Nombre de relations sont, comme celle de Jacqueline avec ses parents, superficielles, marquées par les rituels, un peu d'ennui et l'habitude. La relation peut être distante ou intrusive, faussement intime. Elle peut être orageuse ou silencieuse, superficielle ou de contrainte. Elle peut être souffrante et tendue, ou neutre et insipide. Elle est rarement équilibrée, saine et harmonieuse. Pourquoi ? Parce que l'harmonie1 implique l'expression de la colère tout autant que celle de l'amour, deux émotions particulièrement interdites dans notre société. Même quand l'amour est au rendez-vous, il n'est pas suffisant pour permettre une relation fluide et intime. L'intimité requiert l'authenticité. Et se montrer authentique, c'est oser exprimer de soi, de la relation, de ses besoins, oser manifester ses émotions, partager ses sentiments. Or, en famille, on n'ose guère parler de sentiments – ou superficiellement. Le plus souvent on enterre les blessures, on cache les douleurs. Pleurer devant autrui est considéré comme malvenu. Les peurs sont dévalorisées. Même l'expression de l'amour est limitée dans de nombreuses familles. Les manifestations de tendresse sont restreintes à quelques bises le matin et le soir. Quand le sentiment d'amour est fragile, le besoin d'appartenance se satisfait d'une relation superficielle que nous redoutons de menacer.
Vivre ensemble génère pourtant obligatoirement nombre de conflits, chacun ayant naturellement des besoins spécifiques et parfois incompatibles. En lui-même le conflit est sain, il permet les indispensables ajustements pour que chacun trouve sa place dans le groupe. Les conflits entre parents et enfants sont non seulement inévitables, mais ils sont nécessaires et structurants d'une relation vivante et dynamique. Cependant, au sein de la famille, ils sont en général mal accueillis. Les dissensions sont mises en sourdine, les révoltes enfantines sont matées, les plaintes sont dévalorisées, les demandes peu écoutées. S'il est bien sûr des familles où chacun est entendu, respecté et valorisé, de par notre méconnaissance culturelle du processus émotionnel, une véritable écoute mutuelle est rare. De nombreux parents, mal à l'aise avec la colère notamment, et n'ayant jamais appris à l'accueillir, usent de leur pouvoir pour l'interdire à leurs rejetons. Certains, carencés par leur histoire, sont dépendants de la reconnaissance de leur descendance. Ils ont du mal à supporter les mouvements de colère et peuvent avoir tendance à les interpréter comme des ruptures d'amour. De leur côté, les enfants devenus adultes restent terrifiés à l'idée d'entrer dans une véritable opposition avec leurs géniteurs. Ils craignent de perdre leur amour, de leur faire du mal, voire de les tuer ! Tant de la responsabilité du parent que de celle de l'enfant devenu adulte, les conflits ne sont pas résolus, ils sont étouffés, évités ou niés.