Introduction
De Canal + à Canal - : apprendre à perdre
Savoir adapter son discours à la réalité: c'est ce que Canal Plus a fait depuis deux ans avec le PSG, qu'il est désormais convenu de désigner comme « une bonne équipe» et plus «une grande équipe ». C'est la vérité, et les supporters parisiens l'acceptent, qui viennent toujours en masse au Parc des Princes. Mais cette ligne réaliste n'a pas toujours été celle de l'état-major de la chaîne. Au contraire, il s'est même longtemps agi d'adapter la réalité au discours triomphant de l'entreprise qui gagne, qui se développe, qui innove... Acquis en 1991 par Canal Plus, le PSG a parfaitement incarné ces valeurs pendant cinq ans (champion de France en 1994; vainqueur de la Coupe de France et de la Coupe de la Ligue en 1995), profitant au passage de la fin du règne de l'OM sur le football français. Des trophées presque inespérés (Coupe de l'UEFA en 1996, nouveau doublé en coupes nationales en 1997) sont venus ensuite sauver les apparences d'un club qui stagnait à la fois au plan national et européen.
Tous ces titres montrent que la venue de Canal Plus au PSG ne peut être interprétée seulement comme un échec. En à peine six années de gestion par la chaîne cryptée, le plus jeune club français a plus marqué le football hexagonal que lors de ses vingt années d'existence antérieures. Il a conquis le public : 14 500 spectateurs de moyenne en 1991 contre 43 500 en 1999, dont 25 000 abonnés, soit un taux de remplissage supérieur à 89 p. 100, deuxième performance de France derrière Lens. Il a accueilli des joueurs exceptionnels (Raï, Simone, Weah, Ginola, Djorkaeff, Lama, Okocha).
Mais l'histoire du PSG version Canal Plus est progressivement devenue plus chaotique que ne l'auraient souhaité les dirigeants du club. Il y a eu quelques gaffes devenues célèbres, comme celle du fax oublié qui faillit coûter au PSG une qualification en Ligue des champions en août 1998. On peut s'étonner du nombre important de joueurs qui ne se sont pas adaptés à la vie parisienne, et du fait que Paris n'ait jamais réussi à rééditer sa performance de la saison 1993-1994: remporter le championnat de France. Le 15 janvier 1997, au Parc des Princes, la punition infligée au PSG par la Juventus de Turin (6-1) a mis l'accent sur les insuffisances d'un club qui n'a pas su se maintenir au plus haut niveau européen, qu'il avait pourtant tutoyé entre 1993 et 1996. Mais il a fallu une année noire - la saison 1998-1999 - pour que l'évidence soit mise au jour : le PSG n'a plus les moyens de ses ambitions initiales; il n'est pas le grand club européen tant attendu par les Parisiens; avec Paris, Canal doit aussi apprendre à perdre et mettre un terme à des années d'attentisme.
Dix ans après l'arrivée de Canal Plus au PSG, le club, emmené par une nouvelle équipe dirigeante (Perpère-Lamarche-Bergeroo), s'est enfin doté de structures d'entraînement dignes de ce nom, la formation-détection est en progression et le problème des supporters racistes et violents a été, au moins provisoirement, résolu. Autant de chantiers qui, s'ils avaient été menés plus tôt, auraient peut-être pu éviter la catastrophe de 1998-1999. Mais voilà, Canal Plus voulait des résultats immédiatement et a fait mine de croire qu'ils pourraient être atteints de manière durable malgré l'inflation galopante dans le football européen et la paupérisation relative du foot français par rapport à ses grands voisins.
Le cas de l'OM cette saison est à ce titre éclairant. Que voulaient bâtir l'entraîneur Rolland Courbis et son président Robert Louis-Dreyfus? Une équipe de niveau européen aussi compétitive que celle de Bernard Tapie. Louis-Dreyfus est milliardaire et il ne lésine pas : près de 550 millions de francs investis en trois ans sur ses deniers personnels. C'est comparable aux sommes misées par Canal Plus à son arrivée au PSG, mais c'est aujourd'hui beaucoup trop peu. Les meilleurs joueurs, les plus forts techniquement, ceux également capables de s'adapter à n'importe quel environnement, de résister à la pression médiatique, tous ces joueurs, qu'on retrouve concentrés dans les championnats d'Italie et d'Espagne, se négocient à plus de 100 millions de francs. Injouable pour un club français. Alors Courbis a pris le second choix, de bons joueurs français, « sympas », selon ses dires, et des joueurs d'avenir, comme Dalmat, Luccin ou Gallas. Sauf que cela ne fait pas une équipe performante au niveau européen, et surtout implique une période de latence, le temps que les jeunes joueurs s'adaptent au haut niveau, apprennent le professionnalisme, qui est aussi affaire de communication, et acquièrent cette nécessaire résistance au doute au milieu d'un environnement éprouvant. Cette période d'adaptation, l'OM de Louis-Dreyfus ne s'est pas donné le temps de l'accomplir et est entré en crise l'hiver dernier.