Avant de développer ces différents aspects, il convient de rappeler à quel point la pensée libérale est liée à un contexte historique et aux évolutions de ce contexte. Pourtant, gouverner les hommes dans la liberté n'est pas une idée neuve dans sa formulation, ni récente dans son apparition, puisqu'on la trouve déjà en Grèce antique chez les philosophes, et dans la conception de la vie publique. Il en va de même pour l'une des modalités de ce gouvernement de la liberté, consistant dans la
soumission à la loi : une loi égale pour tous les citoyens, dépourvue de passion et impersonnelle. Le gouvernement des lois substitué au gouvernement des hommes est ce qui pour Aristote marque la différence foncière avec le pouvoir « despotique », l'autre condition de liberté étant que le pouvoir s'exerce dans l'intérêt de tous et non au profit de ceux qui gouvernent
2 ; enfin, et même s'il reconnaît qu'il définit plutôt par là le citoyen du régime démocratique, Aristote conçoit le citoyen comme un être alternativement gouvernant et gouverné : sa
vertu propre est de savoir aussi bien commander à des hommes libres que d'obéir en homme libre
3.
Dans ces conditions, si l'on entend par libéralisme le gouvernement des hommes dans la liberté, faudrait-il parler, comme Leo Strauss, d'un « libéralisme antique
4 » ? Malgré de nombreux rapprochements possibles (que l'on indiquera par la suite) ou des références explicites pratiquées chez les modernes
5, les choses sont plus complexes. Le libéralisme, sans être un objet proprement défini dans la philosophie
6, a été une source d'inspiration et une visée qui a accompagné le développement de la philosophie moderne depuis la Renaissance et qui reflète les préoccupations de la philosophie moderne. On peut dire qu'il naît comme
l'exigence du gouvernement de la liberté pour la protection d'un sujet moral et politique, qui est
habilité à juger les actes du pouvoir qu'il a institué. La recherche de protection, la problématique du contrat, la volonté de neutralité dans le pouvoir gouvernant signent l'appartenance à la philosophie moderne. Lié en philosophie (mais non chez les publicistes) aux théories du contrat social, le libéralisme constitue l'inspiration et la visée solidaires en fait de toute la modernité,
bien que s'opposant à certains courants de cette modernité. À travers la période qui s'étend de la Renaissance à nos jours, le libéralisme est porté par les mouvements du scepticisme (Montaigne), du rationalisme (Descartes), de la critique empiriste (Hume) et des Lumières (Kant). Il a donc bien un ancrage historique qui empêche de le considérer comme un objet invariant de la philosophie politique : de fait, il s'est exercé contre les deux absolutismes à la fois concurrents et alliés, la monarchie absolue de droit divin et l'Église.