Prologue

Six ans plus tôt

Il était là, tout près. Crystal l’entendait respirer, elle sentait qu’il l’observait. En se tournant vers la droite, au-delà de la haie parfaitement taillée, elle aurait pu le voir. Les yeux de l’homme devaient être avides, son corps en éveil. Mais elle ne lui accorda pas un regard. Elle ne voulait pas lui donner une telle satisfaction.

Elle jeta plutôt un coup d’œil par-dessus son épaule. La porte de la remise du jardinier était entrouverte, exactement comme il l’avait dit.

La remise du jardinier… Elle redressa le menton. Il aurait pu la retrouver n’importe où, dans l’immense parc de cette demeure de maître, mais il avait choisi la remise du jardinier. Elle le lui ferait payer. Elle lui ferait d’ailleurs payer cher chacune de ses actions.

Elle poussa doucement la porte de la remise, non sans jeter un dernier coup d’œil derrière elle. La fête battait son plein près de la piscine. Les haut-parleurs déversaient à plein volume une musique qu’on devait entendre jusque dans le comté voisin. Heureusement que le parc était presque aussi vaste que le comté voisin… Sinon, la police aurait déjà fait irruption, dressant des procès-verbaux pour tapage nocturne. Elle sourit amèrement à cette pensée complètement absurde.

Jamais les flics n’auraient osé dresser le moindre procès-verbal dans cette luxueuse propriété.

Ça vaut mieux pour les danseurs, songea-t-elle. Et pour moi. Aucun des fêtards, absorbés par leurs plaisirs, n’avait vu Crystal s’éclipser. Ceux qui se pressaient dans le bassin de la piscine étaient ceux qui s’amusaient le plus — la cocaïne et le sexe étant les plaisirs les plus prisés… Mais tous les invités ne se trouvaient pas dans la piscine. La piste de danse, constellée de lanternes vénitiennes, était également encombrée de corps en mouvement. Les femmes — du moins celles qui étaient encore vêtues — s’étaient mises sur leur trente et un, et Crystal se félicitait d’avoir acquis, pour l’occasion, cette petite robe hors de prix et ces escarpins de marque, qui avaient fait un gros trou dans son budget.

Mais habillée comme ça, je me fonds dans le décor, se dit-elle. Elle était assez bien vêtue pour être admise sans difficulté dans la fête la plus somptueuse de la saison — et cela seul comptait, à ses yeux. Elle voulait être là, ou plutôt elle en avait besoin. Elle tenait à voir son visage lorsqu’elle lui annoncerait qui elle était vraiment… Et qu’elle détenait des preuves qui pouvaient provoquer sa ruine, s’il ne filait pas doux.

Qu’il était à sa merci.

Cette ordure en éprouverait un de ces chocs ! Il se montrerait humble… Il la supplierait…

Crystal esquissa un sourire. Elle espérait de tout son cœur l’entendre supplier.

Elle jeta un dernier coup d’œil à la grande demeure, qui se dressait majestueusement sur un tertre, surplombant la foule des fêtards. Il aurait pu me recevoir dans cette maison, dans l’une de ses chambres. Il y en avait pas moins de dix, après tout… Et chacune était décorée comme celles qu’on voit en photo dans les magazines de décoration haut de gamme.

Mais non, il avait porté son choix sur la remise du jardinier, où elle pénétrait à présent.

Peu importe… Un jour, tout ça sera à moi.

Elle referma la porte derrière elle et fronça les sourcils. C’était une vraie remise de jardinier, remplie d’outils et sentant le gas-oil. Les murs étaient couverts méthodiquement de tout ce dont un jardinier a besoin pour entretenir un parc aussi vaste. Deux tondeuses à gazon autoportées occupaient une grande partie du sol en ciment. Il n’y avait pas de petit lit de camp bien pratique, comme elle s’y était attendue. En fait, il n’y avait pas la place de faire quoi que ce soit, dans cette remise…

Sauf si elle se mettait à genoux pour le…

Crystal leva les yeux au ciel. Cela correspondait bien au personnage.

La porte s’ouvrit derrière elle, puis se referma.

— Amber…, dit l’homme.

Il fallut un instant à Crystal pour calmer les battements de son cœur. Amber… C’était sous ce nom d’emprunt qu’elle s’était présentée. S’il avait su son vrai nom, il n’aurait jamais accepté de la rencontrer. Il l’aurait tenue à distance, tout comme il n’avait jamais daigné répondre aux messages téléphoniques qu’elle avait laissés au majordome.

C’était le point le plus délicat, dans une tentative de chantage. Il fallait commencer par attirer l’attention de la cible avant de lui annoncer ce qu’on attendait d’elle. A présent, cette étape était franchie.

Voici l’heure de vérité, ma fille… Ne commets pas d’impair. Ton avenir dépend des cinq prochaines minutes.

— Vous êtes venu…, murmura-t-elle d’un ton aguicheur. Je n’étais pas sûre que vous vous décideriez.

Il gloussa, mais son petit rire n’avait rien d’amical, loin de là.

— Tu savais que j’étais là, hein ? dit-il. Et que je te regardais…