les Fondamentaux

LA BIBLIOTHÈQUE DE L’ÉTUDIANT

Collection créée par Caroline Benoist-Lucy

Dans la même collection :

Droit, Politique

7 Les institutions de la V e République (Ph. Ardant, S. Formery)

9 La fiscalité en France (P. Beltrame)

17 La Constitution commentée, article par article (S. Formery)

18 Finances publiques de l’État / La LOLF et le nouveau droit budgétaire de la France (J. Mekhantar)

19 Les collectivités territoriales en France (E. Vital-Durand)

22 Contentieux administratif (D. Turpin)

34 Philosophie politique / 1. Individu et société (M. Terestchenko)

35 Philosophie politique / 2. Éthique, science et droit (M. Terestchenko)

46 Droit administratif (J.-C. Ricci)

47 Mémento de la jurisprudence administrative (J.-C. Ricci)

57 Introduction au droit de l’Union européenne (J. Dutheil de la Rochère)

74 Les services publics (J.-M. Pontier)

86 Droits fondamentaux et libertés publiques (J.-M. Pontier)

107 La Criminologie (M. Cusson)

121 Droit des sociétés (J. Bonnard)

127 Droit civil / Droit de la famille (M. Le Bihan-Guénolé)

129 Mémento des grandes œuvres politiques (B. Ravaz)

132 Droit pénal général (P. Canin)

137 Droit des entreprises en difficulté (J. Bonnard)

143 Droit communautaire matériel (J. Dutheil de la Rochère)

144 Droit commercial (P. Canin)

146 Méthodes de travail de l’étudiant en droit (J. Bonnard)

147 Droit public économique (J.-P. Valette)

156 Droit civil / Les obligations (P. Canin)

148 Droit civil / Les biens (R. Desgorces)

149 Les grandes décisions de la jurisprudence communautaire (P. Rambaud)

161 Quel droit pour l’environnement ? (S. Maljean-Dubois)

164 Droit constitutionnel (P. Blachèr)

171 Droit pénal spécial (S. Jacopin)

Chapitre 1 : Les politiques sociales au cœur de l’État-providence

L

es politiques sociales se développent avec l’intervention de l’État à la fin du xixe siècle. Si l’on considère le triptyque walrassien (économie pure, économie appliquée, économie sociale), elles s’intègrent à l’économie sociale. Considérée à tort comme une branche de la sociologie, l’économie sociale a été souvent identifiée aux travaux de Charles Gide (1847-1932), qui lui attribue trois types d’activités (améliorer le régime du travail salarié, favoriser la sécurité de l’avenir, promouvoir l’indépendance économique).

Pour Marie-Thérèse Join-Lambert les « Politiques sociales » constituent une :

Invention nécessaire pour rendre gouvernable une société ayant opté pour un régime démocratique, dans le cadre d’un système économique libéral ; il s’agit d’un ensemble d’actions mises en œuvre pour parvenir à transformer les conditions de vie, d’abord des ouvriers puis des salariés et éviter les explosions sociales, la désagrégation des liens sociaux.

Ces actions sociales développées par l’État-providence ont trois finalités : 1. Lutter, par la redistribution, contre la pauvreté, c’est-à-dire contre le manque (de soins, de revenus, de logement, d’emploi, d’éducation). 2. Atténuer, par la fourniture de services sociaux, les effets négatifs des politiques économiques tournées vers le profit. 3. Assurer une régulation sociale à finalité humaine.

Deux taux mesurent leur importance :

Le taux de prélèvements obligatoires. Selon le Gouvernement, le taux de prélèvements obligatoires serait de 40,7 % du PIB en 2009 et en 2010, l’un des taux les plus élevés de l’OCDE.

Le taux des dépenses publiques a représenté en 2009, 56 % du PIB. La France n’est dépassée au sein de l’OCDE que par la Suède et le Danemark.

Le coût des politiques sociales et l’endettement qu’elles suscitent sont l’objet d’une controverse entre les partisans d’un État-providence financé par des prélèvements fiscaux élevés et les théoriciens libéraux qui pensent qu’une fiscalité importante freine l’activité économique. Cette opposition, qui trouve sa traduction au niveau politique, ne permet pas les adaptations nécessaires. En conséquence les politiques sociales sont financées par le déficit et la dette publique.

I. Les politiques sociales

Nous présenterons les politiques sociales financées par les budgets de l’État, de la protection sociale, et des collectivités locales, (excepté l’environnement) ; les politiques de protection sociale, de l’éducation, du logement et de la ville, de l’emploi, la politique anti-pauvreté, les politiques sociales en faveur de groupes sociaux spécifiques (femmes, enfants, handicapés, immigrés) et la politique de la culture, de la jeunesse et des sports.

A– La naissance de la protection sociale

La protection sociale concerne des domaines comme le handicap, la maladie, la vieillesse, la famille ou le chômage et représente plus du tiers du PIB en France.

1. Des origines à 1945

Dès le xve siècle, les communautés religieuses portent secours aux pauvres. Les corporations, les confréries, les compagnonnages, assureront à leur tour une aide à leurs condisciples dans le besoin. Mais le pouvoir royal prend lui aussi des mesures sociales : un édit d’Henri IV du 16 mai 1604 prescrit de secourir gratuitement les travailleurs blessés dans les mines : Louis XIV crée les Invalides en 1670 pour abriter les soldats mutilés.

Avec la Révolution française, l’État se voit échoir une nouvelle mission : assurer une assistance nationale pour tous. La loi Le Chapelier du 17 juin 1791 supprime les corporations, entraves à la liberté individuelle.

L’entraide va se développer avec les sociétés de secours mutuel (15 juillet 1850), mais la législation sociale ne naîtra qu’à la fin du xixe siècle : autorisation du syndicalisme (1884), réglementation de la durée du travail (1892), protection des victimes d’accidents du travail (1898). Le début du xxe siècle verra se développer des régimes d’assurances sociales dans la plupart des pays d ‘Europe. En France, les lois du 5 avril 1928 et du 30 avril 1930, créent, au bénéfice des salariés de l’industrie et du commerce, le premier système complet et obligatoire d’assurances sociales (couverture des risques maladie, maternité, invalidité, vieillesse, décès).

2. La Sécurité sociale : naissance et développement

Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, la Sécurité sociale bénéficie de l’impulsion d’une doctrine nationale (la pensée socialiste française, incarnée par Gracchus Babeuf (1760-1797), Charles Fourier (1772-1837), Pierre Joseph Proudhon (1809-1865)) et internationale (le rapport de William Henry Beveridge (1879-1963), présenté à la Chambre des Communes en Grande-Bretagne est rendu public en novembre 1942). Ces influences, produisant leurs effets dans un contexte économique et social très dégradé par la guerre, vont donner lieu à un plan français spécifique.

Ce plan (1945-1946) va procéder à une refonte des législations antérieures et assurer une protection aux travailleurs et à leur famille ; l’extension se fera par vagues successives, à partir de 1947, et s’accompagnera de réformes structurelles.

Les effectifs des cotisants des différents régimes pour l’assurance maladie passent de 680 000 en 1955 à 20,7 millions en 1967. En 2009, le nombre de cotisants pour tous les régimes de retraites est de 25,4 millions, et toute la population est couverte par la CMU.

Depuis 1946, de nouveaux régimes ont été créés concernant les cadres et les fonctionnaires (1947), les artisans, les professions industrielles et commerciales et des professions libérales (1948), les exploitants agricoles (1952, et 1961, 1966) ; les non-salariés non agricoles (1966), les salariés agricoles (octobre 1972) ; on assiste à partir de juillet 1975, à la généralisation à l’ensemble de la population active de l’assurance vieillesse obligatoire, à l’institution d’un régime particulier pour les ministres du culte et les membres des congrégations religieuses (janvier 1978). La loi du 28 juillet 1999 institue une couverture maladie universelle pour les plus démunis (la CMU).

L’extension de la protection sociale s’accompagne de contreparties : le coût de la santé est de plus en plus élevé, les déremboursements de plus en plus fréquents, la prise en charge des personnes âgées très insuffisante. Et selon une étude menée dans un millier de services hospitaliers, la fin de vie à l’hôpital, reste, un des éléments essentiels de la maltraitance en milieu hospitalier.

B– La politique de l’éducation

La politique éducative financée par le budget de l’État (77,5 milliards d’euros en 2008) assure plusieurs missions à finalité sociale :

1. L’alphabétisation a commencé dès l’Ancien Régime ; la généralisation de l’instruction a été conduite par les lois Ferry de 1881-1882, qui ont instauré l’école obligatoire, laïque et gratuite.

2. L’école doit amener le plus d’élèves possible à un niveau élevé d’instruction. Si la création des universités date du Moyen Âge (Paris : 1208, Montpellier : 1220), leur développement se poursuit aujourd’hui, avec le passage à l’autonomie des universités françaises, et la volonté européenne d’amener 50 % d’une classe d’âge à un niveau d’études supérieur.

3. L’école participe à la formation professionnelle (stages de formation) ; elle le fait plus systématiquement depuis 1971.

4. L’école doit aussi inculquer les valeurs, les idéaux de la République : la liberté, l’égalité, la fraternité. L’émancipation de l’esprit humain, chère à Condorcet, suppose une architecture idéologique : c’est l’objet de l’éducation civique et de l’éducation à la citoyenneté, mais cela implique également le respect des droits des enseignants (liberté pédagogique, respect statutaire, refus de la précarité, protection contre les violences).

5. La reconnaissance de l’égalité – entre les sexes, entre les enfants – a toujours été un des principes fondateurs de l’école.

6. En scolarisant tous les élèves l’école cherche à éviter l’exclusion.

Les politiques orientées vers ces objectifs se sont développées sous la Ve République, avec une accélération, à partir de 1985 dans les domaines de l’allongement de la scolarité et de l’égalité entre les enfants. Cependant au début des années 2000, seuls 37 % sont sortis titulaires d’un diplôme de l’enseignement supérieur.

La politique de l’éducation connaît plusieurs limites dans les domaines de la laïcité, des droits des enseignants, et elle prépare peu à la vie professionnelle. Pour Denis Jeffrey, Fu Sun (Enseignants dans la violence, Presses de l’Université Laval, 2006), 8 % des enseignants se sentent plus ou moins en sécurité dans l’école, alors que 2 % d’entre eux ne s’y sentent pas du tout en sécurité, 16 % des enseignants se sont absentés, à cause de violences subies et 20 % ressentent de l’insatisfaction dans leur milieu de travail.

Un « débat » national sur l’« avenir de l’école » (2003-2004) a abouti à la présentation d’une réforme en décembre 2008. En 2009, 123 établissements ont été retenus pour expérimenter certains points de la réforme du lycée – semaine de bilan et d’orientation, semestrialisation, accompagnement individualisé, groupes de compétences en langues, etc. La réforme Chatel, incluant le tutorat, devrait s’appliquer dès l’année scolaire 2010-2011.

C– La politique du logement et de la ville

La politique de la ville est récente, mais les premiers textes législatifs relatifs à la politique du logement datent du xixe siècle.

1. L’essor du logement social

Se loger est une possibilité que les pauvres n’ont pas ; c’est pourquoi le droit au logement est devenu en France une priorité essentielle. Le logement social est apparu à la fin du xixe siècle.

La loi Siegfried (1894) organise les premières formes du logement social, ancêtres des HLM, dénommées alors Habitations à bon marché (HBM), en réponse aux conditions dramatiques d’habitation, que connaissent les couches populaires urbaines du fait de l’accélération de l’urbanisation. Cet habitat se développera ensuite grâce à deux lois :

  • la loi Straus du 12 avril 1906, qui favorise la construction des HBM ;

  • la loi Bonnevay du 23 novembre 1912, qui crée des offices publics d’HBM, à l’initiative des collectivités locales.

La loi loucheur du 13 juillet 1928 et la loi du 28 juin 1930 créeront les HBM améliorées.

Après la Seconde Guerre mondiale, les destructions, l’expansion démographique et le développement urbain vont générer une crise du logement. La maîtrise des sols, pour la construction de l’habitat social, et l’aide aux investissements vont s’affirmer comme des principes de base de la politique du logement ; l’essor du logement social sera favorisé par les programmes visant à créer des HLM et, en décembre 1967, la loi d’orientation modifiera les procédures d’intervention de l’État en matière d’aménagement urbain.

La crise du logement est due à un déficit de l’offre de logements, mais également à la paupérisation du logement social et à l’accueil de populations insolvables, en raison notamment de la crise économique.

2. La politique de la ville

Le rapport Sueur (1998) évoque plusieurs dates relatives à sa naissance : 1971, 1981, 1983, 1988. Mais l’institutionnalisation de cette politique a été acquise le 21 décembre 1990, avec la nomination de Michel Delebarre comme ministre d’État au ministère de la Ville. La politique de la ville est née de la prise de conscience, à la suite des incidents de l’été 1981 dans la banlieue lyonnaise, de l’existence de problèmes sociaux, économiques et urbanistiques touchant certains quartiers difficiles relevant principalement de l’habitat social. Elle est, en 2010, malgré les efforts de rénovation, d’intégration, et de sécurisation entrepris, en proie aux mêmes problèmes, encore accentués par des effets de ghettoïsation.

D– La politique de l’emploi

Dans la plupart des pays occidentaux, les composantes des politiques de l’emploi se mettent en place après la Seconde Guerre mondiale, le développement massif de ces outils (indemnisation du chômage, service public de l’emploi, programmes ciblés) se produit après les deux chocs pétroliers : face au chômage de masse et à l’inefficacité de tentatives de relance macroéconomique la plupart des pays réagissent en créant des dispositifs ciblés d’aide au retour à l’emploi.

On passe alors d’une phase de régulation économique (de 1955 à 1974), dans laquelle la crainte des pénuries de main-d’œuvre incite à encourager l’activité féminine, l’immigration et la formation professionnelle, à une phase de régulation sociale. Jusqu’à la récession de 1974-1975, le maintien du plein-emploi est considéré comme relevant de la politique macroéconomique dans le cadre de l’élaboration de différents plans.

1. Les composantes des politiques de l’emploi

Au sens large, on peut classer les politiques de l’emploi en neuf grandes catégories (J.-C. Barbier, les politiques de l’emploi en Europe, Flammarion, 1997) :

  • Les mesures qui diminuent la population active (ex : préretraites).

  • L’indemnisation du chômage

  • l’abaissement du coût salarial (ex : la désindexation des salaires sur les prix)

  • Les actions de formation professionnelle

  • Les mesures de diminution et d’aménagement du temps de travail

  • les actions de discrimination positive envers certaines catégories, comme les handicapés

  • Les mesures qui contribuent à l’organisation des marchés du travail, les politiques d’insertion professionnelle

  • La création d’emplois temporaires publics ou associatifs

  • L’incitation à la création d’entreprise.

Une autre définition, (chap.4), centrée sur la dépense publique pour l’emploi (DPE), peut être choisie.

2. La mise en place des structures du service public de l’emploi

Si l’origine des politiques de l’emploi remonte à la Première Guerre mondiale, avec une politique générale de la main-d’œuvre, les structures qui vont permettre le fonctionnement des politiques sociales de l’emploi apparaissent à partir de 1958 :

  • l’UNEDIC (Union nationale interprofessionnelle pour l’emploi dans l’industrie et le commerce) et les Assedic (associations pour l’emploi dans l’industrie et le commerce), créées par l’accord interprofessionnel du 31 décembre 1958 en vue de compléter l’aide publique aux chômeurs. Ces institutions seront chargées à partir de 1984 du recouvrement des cotisations chômage et du paiement des prestations ;

  • le Fond d’action sociale pour l’aménagement des structures agricoles, créé à la fin de 1962 ; le Fonds national de l’emploi (FNE), institué en 1963, va fournir plusieurs sortes d’aides (ex : des allocations spéciales aux travailleurs âgés difficiles à reclasser).

  • l’Agence nationale pour l’emploi (ANPE), créée par les ordonnances du 13 juillet 1967, assure le service public du placement des travailleurs.

  • Création des « Maisons de l’emploi » en 2005, pour regrouper les services d’aides aux chômeurs, y compris les dispositifs locaux, selon la logique du guichet unique.

  • L’entrée en vigueur du « Pôle Emploi » au 1er janvier 2009 : la fusion entre l’ANPE et l’UNEDIC, prévue par la loi de modernisation du marché du travail de janvier 2008 est effective ; ces réformes s’accompagnent du développement de nouvelles techniques de suivi des demandeurs d’emploi, comme le profilage.

Entre 1973, où elle atteignait 10 milliards de francs, et 2006, où elle était de 57 milliards d’euros, la dépense pour emploi a été multipliée par 37.

E– La naissance des politiques anti-pauvreté.

Il existe trois degrés de pauvreté : la misère de ceux qui n’ont pas de domicile (vagabonds par exemple), pas de travail, ou une activité peu rémunératrice ; la pauvreté des travailleurs aux ressources limitées ; la catégorie des appauvris qui apparaît en période de crise. L’histoire montre la différence entre ces trois populations, qui disposent aujourd’hui de nombreuses prestations sociales.

1. Le Moyen Âge : le sort aléatoire des plus pauvres

Les travaux de Bronislaw Gérémek (La potence ou la pitié, Gallimard, 1987) montrent que, si la société mérovingienne (ve-viiie siècles) semblait assez mal disposée à l’égard des indigents, au cours des xie et xiie siècles, la pauvreté à la suite des pères de l’Église commence à devenir une valeur spirituelle et l’on distingue alors la pauvreté choisie, comparable à celle de Jésus se dépouillant de sa puissance de fils de Dieu, et la pauvreté subie.

Mais la misère choisie par les hommes de Dieu, l’est également par des mendiants qui en font leur profession. Après les effets dévastateurs de la Peste noire qui, en 1342, accroît de manière considérable le nombre des vagabonds, sera mise en place la première loi réprimant le vagabondage (1351). Les mendiants organisés en bandes, et vivant de vols et de rapines, font l’objet de répressions, mais l’existence de pauvres est reconnue et la pauvreté subie suscite la compassion et la charité.

Les paysans constituent une autre catégorie de misérables. Ils ont longtemps été sous la tutelle du seigneur, qui leur octroyait sa protection moyennant des travaux, des taxes et des humiliations comme le doit de cuissage. À la ville, certaines catégories n’ont pas accès au statut de membre d’une corporation : ainsi, ouvriers journaliers, manœuvres, femmes, apprentis, mais aussi familles sans ressources, logent souvent dans des caves. Pour Jean-Pierre Leguay (Pauvres et marginaux au Moyen Âge, éditions Gisserot, 2009) aux xive et xve siècles, la pauvreté est omniprésente et menace un bon tiers à la moitié de la population selon les circonstances.

2. Du xviie siècle à la Révolution française : de la répression à la compassion

Dans les campagnes, les paysans se révoltent, dans les villes, au xviie siècle commence le grand renfermement décrit par Michel Foucault (Histoire de la folie à l’âge classique, Plon, 1961). Un édit royal du 27 avril 1656 crée l’Hôpital général, institution chargée d’empêcher la mendicité et l’oisiveté, sources de tous les désordres. Pour la première fois on substitue aux mesures d’exclusion purement négatives une mesure d’enfermement : le chômeur n’est plus chassé ou puni, il est pris en charge, aux frais de la nation, mais aux dépens de sa liberté individuelle.

Pour Philippe Sassier (Du bon usage des pauvres, Fayard, 1990), en se généralisant la pauvreté va être ressentie comme une réalité omniprésente. Les pauvres, qui évoquent au moment des édits de renfermement la marginalité dangereuse en viendront à constituer, à l’issue de cette période, un élément essentiel de l’idée de peuple.

Le xviiie siècle permet de comprendre la différence entre les misérables (le quatrième ordre) et les pauvres (majoritaires dans le Royaume de France), paysans subissant un système fiscal inique et n’arrivant pas à vivre de leurs récoltes. Les travaux de Vauban (Projet d’une dîme royale, 1707) nous renseignent sur l’étendue de la misère (60 % de la population) et de la pauvreté (30 % !) : « Il n’y a pas dans le Royaume de France dix mille familles qu’on puisse dire fort à leur aise ». Avec Bossuet (1627-1704), la pauvreté laborieuse des paysans va devenir une vertu qui, plus tard, justifiera la Révolution.