L’enfant du désert
JENNIFER LEWIS
- 1 - 
En proie à la plus vive nervosité, Celia Davidson fixait un point imaginaire par la fenêtre. 
Depuis les bureaux de l’élégant hôtel, on apercevait la mer d’Arabie qui miroitait au soleil avant de s’échouer mollement sur le ruban de sable immaculé. 
Sans doute une plage créée de toutes pièces par la main de l’homme. Le sable avait dû être acheminé par camions entiers, tout comme les palmiers et les bungalows du complexe hôtelier qui s’échelonnaient le long du rivage. Evidemment, avec beaucoup d’argent, on pouvait faire des miracles… 
La porte sculptée s’ouvrit enfin. 
– M. Al-Mansour va vous recevoir, déclara en souriant une employée tirée à quatre épingles. 
Plus morte que vive, Celia lissa sa veste froissée par le long voyage depuis New York au sultanat d’Oman et replaça une mèche rebelle derrière son oreille en s’efforçant de maîtriser le tremblement de sa main. 
Pourquoi Salim l’avait-il fait venir ici ? Etait-il au courant ? 
Ce n’était sûrement pas pour renouer leur ancienne liaison qu’il l’avait invitée. Mais si jamais c’était le cas, elle ferait tout son possible pour garder ses distances. Elle n’avait aucune envie qu’il lui brise de nouveau le cœur. D’autant que, cette fois, l’enjeu était d’une tout autre importance. 
Elle s’affola en percevant un froissement de papiers en provenance du bureau, mais il était trop tard pour reculer. Rassemblant son courage, elle pénétra dans le Saint des Saints. 
De hauts murs soutenaient une voûte en forme de coupole d’un blanc immaculé, et deux fenêtres ogivales offraient une vue spectaculaire sur la ligne d’horizon où le ciel bleu azur plongeait dans la mer couleur saphir. Un bureau ancien occupait le centre de la pièce, sa surface polie exempte de tout désordre. Au-delà, le haut dossier d’un fauteuil de cuir tourné vers les fenêtres dissimulait son occupant, dont elle voyait juste les cheveux de jais coiffés en arrière. 
Puis le siège imposant pivota, et deux yeux sombres se posèrent sur elle. 
L’anxiété de Celia grimpa d’un cran tandis qu’elle détaillait le visage aristocratique dont la bouche sensuelle formait pour l’heure un pli dur. 
La beauté sévère de Salim al-Mansour l’avait toujours à la fois intimidée et attirée. Hélas pour elle, il était aussi beau, sinon plus, que lors de leur dernière rencontre, il y avait quatre ans de cela. 
Il se leva de son fauteuil et s’avança vers elle, foulant l’épais tapis d’une démarche féline. Son costume à la coupe impeccable mettait en valeur son corps svelte et musclé – un corps dont elle ne se souvenait que trop bien. 
– Celia. 
Le cœur battant et les jambes flageolantes, elle s’efforça de recouvrer son sang-froid. 
Faire comme si le passé n’avait jamais existé. 
– Bonjour, balbutia-t–elle. 
Et elle lui tendit la main. 
A peine s’en était-il emparé qu’elle ressentit comme une décharge électrique. 
Mais pourquoi s’en étonner ? Il lui avait toujours fait cet effet-là. Encore aujourd’hui, elle souffrait à l’idée qu’il l’avait repoussée sans ménagement et bannie à deux reprises de sa vie. Au fond, c’était pour cela qu’elle avait accepté de venir : parce qu’il l’avait finalement invitée dans son sanctuaire et qu’elle mourait d’envie d’en savoir plus sur lui. 
Le regard impénétrable, Salim lui serra la main – un geste conventionnel qui offrait un contraste frappant avec l’intimité torride qu’ils avaient partagée jadis. 
– Merci d’être venue. 
Comme elle retirait sa main, troublée au plus haut point, il lui désigna en souriant un siège avant de poursuivre. 
– J’ai cru comprendre que tu t’étais spécialisée dans l’aménagement de sites posant de multiples problèmes environnementaux. Comme tu le sais, je projette de mettre en valeur des terres incultes. 
Elle battit des paupières, surprise. 
Apparemment, il comptait éluder le fait qu’ils avaient couché ensemble la dernière fois qu’ils s’étaient vus…