Introduction

Cinquante affaires criminelles qui ont marqué nos mémoires, qui sont entrées dans les annales du crime, dans l’histoire judiciaire de notre pays. Cinquante affaires retentissantes, par l’horreur des faits, l’ampleur médiatique qui leur a été consacrée, l’indignation qui en a résulté, les virulentes polémiques suscitées, ou encore par les rebondissements incroyables d’une enquête difficile. Certains crimes sont réfléchis de longue date, préparés minutieusement pour ne rien laisser au hasard, quand d’autres sont le fruit d’une pulsion soudaine et irrépressible, une pulsion meurtrière qui transforme en quelques secondes une personne insoupçonnable en assassin sanguinaire.

Certains tuent par vengeance, par jalousie, par cupidité, d’autres pour assouvir d’inavouables pulsions sexuelles, d’autres encore pour répondre aux exigences de la folie. Certains ne passent qu’une fois à l’acte, d’autres récidivent tant qu’ils le peuvent, d’autres encore décident de supprimer le plus de vies possible avant d’en finir.

Ces drames sont tous différents, uniques, singuliers, mais aussi terriblement semblables, car, chaque fois, pour les victimes comme pour le tueur, il y a cet instant où tout bascule, cet instant plus ou moins long, plus ou moins terrible, plus ou moins cruel, où un être humain en fait passer un autre de vie à trépas.

N

Landru, le « Barbe-Bleue
du XIXe arrondissement »

Comme tous les soirs, Marie-Thérèse Marchadier vient visiter les filles, « ses filles », comme elle aime le dire affectueusement. Depuis quelque temps, les affaires marchent fort à la Belle Mytèse. Voilà deux mois qu’on a signé l’armistice, et les poilus de retour du front ont besoin de réconfort.

Le lupanar de Mme Marchadier est l’endroit idéal. Après l’inspection des comptes de la journée et les vérifications d’usage, Marie-Thérèse descend à vive allure la rue Saint-Jacques pour rejoindre son domicile. Elle doit se pomponner en vue du rendez-vous du lendemain. Un rendez-vous important. Des semaines qu’elle attend de voir ce M. Tric, celui qui a passé l’annonce dans une revue matrimoniale. D’ailleurs, Marie-Thérèse a déchiré l’annonce et l’a accrochée sur sa table de nuit.

« Monsieur sérieux, ayant petit capital, désire épouser veuve ou femme incomprise, entre 35 et 45 ans, bien sous tous rapports, situation en rapport. »

L’ancienne prostituée se voit déjà au bras de ce monsieur, confortablement assise dans le grand salon bourgeois, entourée de ses chiens. Elle se dit qu’il est grand temps de se marier et, malgré les longues années de trottoir, la belle n’a rien à envier aux autres. Son teint est resté frais, ses formes, chaleureuses, et le pécule mis de côté grâce à la Belle Mytèse est loin d’être ridicule.

Le lendemain matin, à 8 h 30, Mme Marchadier pénètre dans la gare Montparnasse et monte dans le Paris-Houdan. Pour fêter ce moment important et la promesse de fiançailles futures, la jeune femme s’est entourée des êtres qu’elle aime le plus au monde : ses trois chiens. Sur le quai d’Houdan, le bon monsieur est là qui l’attend, affable. Ce M. Tric est charmant, bien sous tous rapports, comme l’annonce le stipulait.Landru2.jpg

Ils arrivent enfin dans la villa de Gambais. Au cœur de la maison, la pièce à vivre est chaleureuse. Quelques meubles de bon goût et une très jolie cuisinière, dont M. Tric tire une fierté non feinte. Il insiste d’ailleurs sur la qualité de son tirage et sa combustion parfaite. Aucune graisse, aucune viande ne lui résistent. Mme Marchadier est conquise, sous le charme. Le voyage l’a fatiguée, et elle décide de monter se reposer. L’homme insiste pour que les chiens ne la suivent pas à l’étage. Au beau milieu de la nuit, la maquerelle se réveille en sursaut. Une odeur pestilentielle envahit la chambre, une odeur qui semble provenir du rez-de-chaussée. Etrange : les chiens n’ont pas aboyé. Marie-Thérèse descend alors une à une les marches de l’escalier. La peur la tenaille. Elle ouvre la porte menant à la pièce principale et reste pétrifiée devant le spectacle abominable qui s’offre à ses yeux : M. Tric, agenouillé devant la cuisinière, enfourne machinalement des monceaux de chair dans le foyer brûlant de la machine. Sa chemise est maculée de sang, et de nombreux outils jonchent le sol. La jeune femme n’ose crier et comprend vite : ce sont ses chiens que l’homme dépèce et incinère patiemment.

Tric s’aperçoit de la présence de la jeune femme. Le sourire aux lèvres, il saisit un tisonnier et assomme violemment la dame de petite vertu. L’entreprise de débitage peut commencer, et il s’y emploie avec une grande précision. L’homme n’en est pas à son coup d’essai. Derrière le visage sans couleur du tiède Tric se cache Henri Désiré Landru. Et Mme Marchadier est la 11e veuve ou célibataire à visiter le fourneau de cet escroc mythomane fauchant les vies depuis février 1915.

Pourtant, depuis quelques mois, des bruits courent à Gambais, petit village huppé des Yvelines. Des femmes auraient disparu alors qu’elles préparaient un mariage avec un certain M. Dupont, que d’autres appellent M. Frémyet. Pour Mme Marchadier, c’était M. Tric. Deux mois après le meurtre de la prostituée, Landru est reconnu à Paris, rue de Rivoli, par la sœur d’une disparue. Arrêté à son domicile parisien du boulevard Rochechouart, Landru est vite interrogé par les inspecteurs Kling et Beyle. Derrière sa longue barbe drue, le suspect se présente comme un simple représentant en meubles, un honnête brocanteur.

Mais son passé d’arnaqueur et les preuves qui s’accumulent contre lui l’accablent d’heure en heure. Chez lui, les enquêteurs retrouvent des ossements humains, des bijoux et des vêtements de femme. Fétichiste obsessionnel, Landru a consigné dans des dizaines de carnets l’heure de ses rendez-vous, le profil des femmes rencontrées, et mentionne à maintes reprises l’achat de scies à découper et autres ustensiles de boucher.

Dénoncé par sa propre main, le « Barbe-Bleue du XIXe arrondissement » est reconnu coupable de 11 meurtres atroces, commis entre 1915 et 1919. Il est exécuté en 1922 à la prison de Versailles. A son avocat lui demandant d’avouer enfin ses crimes, le facétieux Landru répond avant de mourir : « Cela, monsieur, c’est mon petit bagage. »

N

La charbonnière de BaugéGermaine Leloy-Godefroy2.jpg

En cette froide soirée d’hiver du 12 décembre 1947, Germaine Leloy-Godefroy n’a aucune envie de rentrer chez elle. Il est 22 h 30, et elle sait que, dans 15 minutes, 30 tout au plus, son mari Albert va s’inquiéter. Blottie contre le torse brûlant du jeune Emile, Germaine ne veut pas rejoindre son époux. Elle ne supporte plus ce mariage qui dure depuis trop longtemps. Bien trop longtemps.

Son jeune amant, bien que simple valet de ferme, est attentif et tendre, la considère comme une dame du monde, la couvre de présents. Leurs escapades nocturnes sont autant de moments privilégiés que Germaine savoure avec délectation.

Alors qu’Emile revêt sa chemise brune et son large pantalon de velours côtelé, la jeune marchande de charbon s’enhardit et décide de mettre à exécution le plan qui lui trotte dans l’esprit depuis des semaines : se débarrasser de son mari. Elle ne sait trop s’il faut en informer Emile, mais, portée par un élan des plus étonnants, elle lui révèle tout d’une traite.

Curieusement, le jeune valet de ferme ne semble pas surpris. L’idée de convoler loin avec sa maîtresse, celle qui l’a initié aux plaisirs de l’amour, l’enchante. Avant de sortir du petit hôtel dans lequel ils ont leurs habitudes, Emile serre fort Germaine dans ses bras.

Un tendre encouragement qui ragaillardit la jeune femme. Afin de ne pas éveiller les soupçons, Germaine attend quelques minutes avant de sortir à son tour de l’établissement. Elle s’engage à vive allure dans la rue de la Croix-Verte, déserte à cette heure-ci. L’ombre pâle des pierres épaisses du couvent des bénédictines protège Germaine. Convaincue que son visage laisse transparaître son sombre dessein, elle ne veut pas qu’on la voie. Voilà 15 minutes qu’elle erre dans les rues de Baugé. Elle sait maintenant qu’Albert ne l’attend plus, qu’il est parti se coucher. Tant mieux, se dit-elle. Sa marche est moins soutenue désormais.