1.
Golfe du Mexique, sud de la Floride, au large 12 septembre 2006
Briana Devon fit surface et nota sans surprise que les eaux du golfe étaient devenues plus agitées durant sa plongée. Mais ce qui lui fit comprendre que quelque chose clochait, ce fut de constater que le bateau n’était plus là.
Elle dut lutter contre la forte houle pour ne pas perdre son appareil photo et son flash. Son bloc-notes de plastique, qu’elle portait en sautoir, vint lui heurter la figure. Avec agacement, elle le rejeta en arrière.
L'embout du détendeur toujours serré entre les dents, elle continuait d’inspirer l’oxygène de sa bouteille quasiment vide, qui bougeait dans son dos. Le souffle de sa respiration précipitée se mêlait à celui d’un vent toujours plus violent.
Le cœur battant, Briana songea d’abord qu’elle avait dû s’éloigner de son point d’immersion sans s’en apercevoir, et refaire surface au mauvais endroit. Pourtant, la balise Pelican qu’elle avait déployée se trouvait toujours là, ballottée par les flots. Dans ce cas, où avaient pu passer Daria et le bateau ?
Effectuant un tour complet sur elle-même, elle scruta l’horizon. Peut-être le Mermaids II avait-il dérivé et se trouvait-il non loin de là? Mais elle ne vit rien d’autre que de l’eau à perte de vue, et des nuées de plus en plus sombres et menaçantes qui s’amoncelaient. Pas un bateau pour l’aider. Avec ce grain qui se levait plus vite que la météo ne l’avait annoncé, tous avaient dû rentrer se mettre à l’abri.
Cela ne suffisait pas à expliquer la disparition du bateau et de Daria. Il avait dû lui arriver quelque chose, songea Briana avec appréhension. C’était la seule explication possible. Autrement, jamais elle ne l’aurait abandonnée ainsi.
Un vent de panique souffla sur son esprit. Le sort de Daria lui importait autant que le sien. Non seulement parce qu’elles étaient sœurs jumelles, mais aussi parce qu’elles étaient les meilleures amies du monde.
Pour se maintenir à flot, Bree injecta de l’air dans le gilet gonflable qui lui servait de stabilisateur. Inspirant à fond, elle s’efforça au calme. N’avait-elle pas passé vingt de ses vingt-huit années à plonger dans ces eaux — et plus longtemps encore à y nager ?
Chaque semaine, elle explorait en compagnie de Daria le récif artificiel formé par l’épave d’un vieux cargo naufragé. Elles avaient pour mission de mesurer la résistance à la pollution de la flore sous-marine. C’était un bon indicateur de la qualité des eaux du golfe.
Si son travail avait été cette fois encore de pure routine, peut-être Bree aurait-elle vu l’ancre remonter. Mais elle avait été totalement absorbée par les notes et les photos qu’elle devait prendre. Elle ramenait avec elle d’inquiétantes preuves qui allaient ennuyer bien des gens haut placés. Elle s’était décidée à remonter en constatant que la visibilité avait baissé. Elle s’était certes attendue à ce qu’en son absence le temps se soit gâté en surface, mais elle n’aurait jamais imaginé se retrouver seule en mer aux prémices d’une tempête…
Les deux sœurs plongeaient toujours ensemble, sauf s’il s’agissait juste de racler les coquillages accrochés aux coques des bateaux dans la marina. Il y avait eu deux bonnes raisons pour que Daria n’accompagne pas Briana ce jour-là. D’abord une soudaine rage de dents, qui serait devenue insupportable pour elle sous l’effet de la pression. Ensuite, il avait fallu qu’elle reste en surface pour surveiller leur bateau à la place de Manny, l’unique employé de leur petite entreprise de recherches et sauvetages en mer. En effet, Daria avait dû accorder l’après-midi à ce dernier dont la fille traversait une passe difficile. En fait, à bien y réfléchir, accaparée qu’elle était par ses cours de comptabilité, Daria n’avait pas beaucoup plongé le mois précédent.
A force de lutter contre les vagues pour conserver son équipement photographique, Bree avait mal au bras. Elle n’avait jamais eu peur de l’océan. Elle n’éprouvait pour cette vaste étendue d’eau qu’elle connaissait depuis toujours que respect et fascination. Mais à présent, le fait de s’y retrouver seule — abandonnée? — l’emplissait d’une peur panique qui la paralysait. Sans doute aurait-elle dû se mettre à nager, mais outre qu’elle se trouvait à quatre milles de la côte, elle n’avait aucune envie d’abandonner son précieux matériel. Elle se reprochait de n’avoir pas pris pour un mauvais présage ce requin bouledogue qui rôdait près de l’épave, en lieu et place du mérou qui hantait habituellement les lieux. Ces squales devenaient nerveux lorsque la mer était agitée, et ils étaient connus pour attaquer les humains. Combien de fois avait-elle répété la recommandation de ne jamais nager seul au large, ou en faisant de trop grands gestes ?