Introduction
La République et l’Europe
Au début du XXIe siècle, la France se sent piégée par l’Europe telle qu’elle a été faite : son peuple l’a dit sans ambages le 29 mai 20051. Et l'Europe se sent piégée par une mondialisation dans laquelle elle s’est jetée tête baissée : un chômage de masse s’y est installé2. Le tissu industriel s’érode continûment. L’épargne fuit. Depuis la signature du traité de Maastricht (février 1992), à l’exception de trois années (1998-2000), une quasi-stagnation économique y prévaut.
Comment cela a-t-il pu se produire ?


Certes, deux guerres mondiales, dans la première moitié du xxe siècle, ont précipité l’Europe de son piédestal. Elle en est sortie meurtrie et divisée. L’hégémonie politique lui a définitivement échappé. La perte de celle-ci lui a enlevé en partie la rente de situation dont elle jouissait depuis cinq siècles. Ses empires coloniaux ont été dispersés. Le développement des pays émergents – légitime, au demeurant – n’explique que relativement son déclin. Celui-ci, en effet, n’est pas qu’économique.
Plus profondément, c’est l’âme de l’Europe qui a été atteinte : comment la civilisation la plus raffinée a-t-elle pu engendrer les gigantesques boucheries de la guerre de 1914-18, et surtout un crime de masse aussi dément que l’extermination systématique des Juifs d’Europe par les nazis ? C’est un profond doute sur elle-même et sur les valeurs qu’elle a portées dans l’Histoire qui taraude l’Europe depuis une soixantaine d’années. Rien n’y fait : plus le temps passe, et plus ce doute semble l’étouffer. La chute de sa démographie ne traduit-elle pas, à retardement, cette radicale perte de confiance en soi ? L’idée nationale dans la partie occidentale de notre continent est dévalorisée comme nulle part ailleurs : a-t-on vu qu’aux États-Unis, en Russie, en Chine, en Inde, au Brésil, ou même dans des pays de moindre taille, comme l’Iran, la Corée, Israël même, la nation soit en voie de disparaître ?
Pourtant, dans les trente années qui ont suivi la Deuxième Guerre mondiale, l’Europe avait paru capable de relever le gant : à la fin des années soixante, une croissance ininterrompue l’avait ramenée au niveau des États-Unis. Que s’est-il passé depuis trois décennies pour qu’elle décroche comme elle l’a fait ?
L’aboulie collective qui, aujourd’hui, semble caractériser les nations de l’Europe de l’Ouest, cette incapacité qui les frappe à continuer leur Histoire, ce sentiment de déclin et, pire, de désuétude qui les tenaille, n’ont-ils pas une cause à la fois plus simple et plus profonde ?
Cette cause est la paralysie complète de la décision politique. En bonne théorie républicaine, le peuple, c’est-à-dire la communauté des citoyens, est le responsable en dernier ressort des orientations politiques. S’il n’en est pas satisfait, il peut les modifier en changeant ses gouvernants : c’est le principe de la responsabilité politique.
Les « pères fondateurs » de l’Union européenne actuelle ont voulu, sans le dire, créer une Fédération par une suite de « faits accomplis », de « petits pas » successifs qui, au total, ont abouti au transfert d’immenses pouvoirs à des instances dépourvues de toute légitimité démocratique, telle la Commission européenne qui, depuis près d’un demi-siècle, dispose en matière législative du monopole de la proposition. Dans une Europe elle-même en voie de dilatation, ces instances se sont révélées incapables d’exercer ces pouvoirs démesurés dans l’intérêt commun.
Deux exemples parmi tant d’autres :
• face à la concurrence des pays à bas salaires, toute forme de protection a disparu. Le niveau moyen des droits de douane sur l’ensemble des produits était encore de 14 % en 1992. Il est passé à 1,5 % en 2006 !
• dans le même temps, le renchérissement de l’euro par rapport au dollar pénalise nos exportations. Le Conseil des ministres a démissionné devant la Banque centrale européenne dont les dirigeants proclament à la cantonade qu’ils n’ont pas de politique de change.
Il n’y a plus de pilote dans l’avion. Les chefs d’État et de gouvernement, censés aux yeux des peuples en être l’équipage, ne sont que des passagers. La déresponsabilisation est totale.