Kaléidoscope
Sujet de rédaction donné par un instituteur à ses élèves algériens musulmans, âgés de dix à quatorze ans: «Que feriez-vous si vous étiez invisible?»
Quelques réponses:
«Si j'étais invisible, le premier travail que je ferais c'est d'aller me venger sur les paras qui ont fait tant de misères à mes frères.»
«Je vais étrangler les parachutistes.»
«Je vais chez les paras et je les tue comme des chiens.»
Sur onze devoirs, neuf expriment la joie qu'on aurait à tuer les parachutistes.
Les chiffres attestent qu'en 1960, la panoplie la plus vendue en France a été celle du petit parachutiste.
En 1960 encore, le capitaine Kong-Lee pénètre dans Vientiane à la tête de ses parachutistes, chasse le gouvernement légal et s'empare pour un temps du pouvoir.
«Vous êtes la gloire et l'honneur du sang français.»
Le général Salan aux parachutistes
du corps expéditionnaire d'Extrême-Orient.
En 1961, sept mille places sont disponibles dans le corps de parachutistes allemands. Il y a plus de cent mille candidats.
En 1960, les unités parachutistes du Vietnam se soulèvent et échouent de très peu dans leur tentative de putsch contre le président Diem.
«Pour les parachutistes, la guerre, ce fut le danger, l'audace, l'isolement… Jouant toujours le tout pour le tout, entièrement livrés à eux-mêmes au milieu des lignes ennemies, voilà où ils perdirent leurs morts et récoltèrent leur gloire. Le but fut atteint, la victoire remportée. Maintenant, que la bassesse déferle! Eux regardent le ciel sans pâlir et la terre sans rougir.»
Charles de Gaulle, 6 juin 1953.
«Quelques unités dévoyées…»
Charles de Gaulle, 22 avril 1961.
À Chypre, les parachutistes anglais s'emploient à réduire la résistance locale. Ils sauteront sur Suez en même temps que leurs camarades français.
«Soudain, ce furent les paras. Un gamin perché sur les épaules de son père les vit venir et un frémissement parcourut la foule.»
Esprit, 14 juillet 1957.
Quand éclate la crise congolaise, les paracommandos belges s'embarquent pour l'Afrique sous les acclamations de la foule bruxelloise. Très vite, la presse socialiste proteste contre le rôle politique qu'entendent jouer leurs chefs. Chassés du Congo par l'intervention de l'ONU, les paracommandos sont ramenés en Belgique. Ils débarquent sous les acclamations de la foule bruxelloise. Nommé commandant en chef de l'armée congolaise, le général Mobutu s'emploie aussitôt à mettre sur pied une unité parachutiste.
«… le beau technicolor sur écran large que cela ferait, “Brigitte et le para”… Deux grandes images motrices de notre décennie se rejoignent ici, se superposent et se “marient”. Toutes deux chargées de sensualité, de scandale, toutes deux consacrées à la gloire de la force et de la soumission, toutes deux composant des sexualités de substitution pour cette société qui en manque.»
«Brigitte Bardot» par François Nourissier.
Avril 1961: les parachutistes et les marines sud-coréens marchent sur Séoul et s'emparent du pouvoir.
«Dans les couloirs de la prison, j'ai reconnu dans un “entrant” Mohamed Sefta, de la Mahakma d'Alger (la justice musulmane). “Quarante-trois jours chez les paras. Excuse-moi, j'ai encore du mal à parler: ils m'ont brûlé la langue.” Et il me montra sa langue tailladée. J'en ai vu d'autres: un jeune commerçant de la Casbah, Boualem Bahmed, dans la voiture qui nous conduisait au tribunal militaire, me fit voir de longues cicatrices qu'il avait aux mollets. “Les paras, avec un couteau: j'avais hébergé un FLN.” […] Chacun ici connaît le martyre d'Annick Castel, violée par un parachutiste et qui, croyant être enceinte, ne songeait plus qu'à mourir.»
La Question, par Henri Alleg.
«Ils paraissent venir d'un autre monde où se respire un air peut-être plus pur, mais plus desséchant. Leurs chefs avaient des visages mystiques.»
Jean Lartéguy, rendant compte du défilé
des paras, lors d'un 14 juillet.
«Une passion cesse d'être une passion dès que nous en connaissons adéquatement les causes.»
Spinoza.
Avant-propos
En ce temps-là, la France se formait de ses parachutistes une image exagérée.
Pour les uns, les vieilles vertus de la race s'étaient réfugiées dans ce corps d'élite qui se dressait, solide comme un roc, face à la marée bourbeuse de la décadence. On célébrait la virilité des paras, leur vaillance, leur esprit de sacrifice. Jean Lartéguy, chantre officiel, trouvait à leurs chefs des «visages mystiques». On s'émouvait de l'héroïque raclée qu'ils avaient subie à Diên Biên Phu, car les Français, étrangement, ont toujours marqué une préférence, non pour leurs victoires, mais pour leurs défaites glorieuses (Alésia, Waterloo, Reichshoffen, Camerone, etc.). Beaucoup déploraient, fût-ce à voix basse, l'échec du putsch d'Alger d'avril 1961, exécuté presque exclusivement par des régiments aéroportés. Dans une France qui portait toujours (et pour longtemps encore) la flétrissure honteuse de la déroute de mai-juin 1940, et pour cette partie de la nation que désorientait et attristait la dislocation accélérée de l'empire colonial, le «mythe para», alors florissant, mettait un baume sur des plaies à vif.