Prologue

— Je ne la laisserai pas gâcher notre mariage, lança Marco d’Angelo avec une telle force et une telle détermination que la phrase se répercuta de poutre en poutre jusqu’à l’autre extrémité de son luxueux salon d’essayage.

Il avait si peu l’habitude de hausser le ton que les mannequins, autour desquelles virevoltait toute une armée de retoucheuses, braquèrent sur lui un regard étonné.

— Ne t’inquiète pas, mon chéri, Payton ne pourra pas nous empêcher d’être heureux, lui dit Marilena Borgiano, sa fiancée. La cérémonie ne doit avoir lieu que dans deux mois et demi et ton ex-femme sera déjà rentrée aux Etats-Unis à ce moment-là.

— A moins qu’elle ne décide de rester à Milan et qu’elle ne prenne un malin plaisir à contrecarrer nos projets comme elle l’a fait il y a quatre ans.

— A quoi bon envisager le pire ? Payton n’a aucune raison de s’éterniser en Italie.

— J’aimerais être aussi optimiste que toi, mais j’ai tellement de choses en tête, depuis qu’elle m’a annoncé son arrivée, que je suis incapable de me relaxer et de réfléchir calmement.

— C’est ta collection printemps-été qui te préoccupe à ce point ?

— Oui. Il ne me reste que neuf semaines pour préparer le défilé auquel j’ai invité des stars du showbiz et je suis en panne d’inspiration.

— Les trois quarts des peintres que je connais sont dans le même état de nervosité avant un vernissage. Plus le grand jour approche, plus ils deviennent fébriles et moins ils croient en leur talent.

— Savoir que je ne suis pas le seul à redouter les critiques est une maigre consolation.

Marilena retira le gant de chevreau qui masquait ses jolis doigts effilés et posa une main réconfortante sur le poignet de Marco.

— Cesse de te torturer l’esprit, mon amour, lui conseilla-t-elle de sa voix richement modulée. Tout se passera bien, tu verras.

— Qu’est-ce qui te permet d’être aussi affirmative ?

— La confiance absolue que j’ai en toi. Tu es l’un des meilleurs stylistes d’Europe et les célébrités du monde entier qui assisteront à ton défilé vont s’arracher tes dernières créations.

Marco remercia la jeune femme d’un sourire, puis effleura des yeux la bague qu’il lui avait offerte le soir de leurs fiançailles et qu’elle avait glissée à son annulaire gauche. Créé par un joaillier vénitien à l’époque où les navigateurs au long cours rapportaient de leurs périples des malles remplies de pierres précieuses, le bijou — un splendide diamant de trois carats enchâssé dans une torsade en or massif — avait appartenu à la famille royale des Borgiano pendant des siècles, mais le prince Stefano, le père de Marilena, avait subi de tels revers de fortune au début des années 1980 qu’il avait dû se résigner à le vendre aux d’Angelo.

— Pour que les célébrités du monde entier aient envie de s’arracher mes dernières créations, comme tu dis, répliqua Marco, il faudrait que je sois plus inventif qu’en ce moment et que j’aie quelque chose d’intéressant à leur proposer. Or, j’ai beau noircir chaque matin les pages de mes carnets de croquis, je ne trouve aucune idée qui vaille la peine d’être concrétisée.

— Peut-être manques-tu d’objectivité. Si tu me montrais tes esquisses, je serais sans doute emballée.

— Merci de vouloir m’aider, Marilena, mais je n’ai pas besoin que tu me donnes ton avis. Quand je fais du mauvais travail, je m’en rends compte immédiatement.

— De qui tiens-tu cette redoutable lucidité ?

— De mon père. C’est parce qu’il était intransigeant envers lui-même et qu’il refusait la médiocrité que la maison d’Angelo est devenue ce qu’elle est aujourd’hui : l’ambassadrice de la haute couture italienne en Europe et outre-Atlantique.

— Depuis que tu diriges l’entreprise, elle est en plein essor et, grâce à tes talents de styliste, il y a de fortes chances qu’elle conserve sa place de leader pendant de longues années encore.

— Rien n’est moins sûr. Si je ne trouve pas très vite une idée de génie, mon prochain défilé sera un fiasco et je pourrai faire une croix sur mes belles ambitions. Dans le milieu de la mode, personne n’a le droit de se tromper. Il suffit d’une saison ratée pour que les ventes s’effondrent et qu’on soit obligé de mettre la clé sous la porte.

Marco s’approcha de l’une des fenêtres géminées qui éclairaient le salon d’essayage et balaya d’un œil noir l’immense coupon de soie azurée que le ciel déroulait au-dessus des toits de Milan.

— Je me serais bien passé de la visite de Payton, maugréa-t-il en enfouissant ses poings serrés dans les poches de sa veste. C’est une égoïste de la pire espèce qui se moque pas mal des problèmes des autres et qui va m’empêcher de travailler.

— Elle ne t’a pas dit que son séjour en Italie serait de courte durée ?

— Si, mais elle est tellement impulsive que je m’attends à tout.