Du même auteur

La Face cachée de Didier Deschamps, First, 2013.

Morts étranges 2, L’Archipel, 2012.

Dalida, une vie brûlée, L’Archipel, 2007 ; Archipoche, 2012.

Annie Girardot, une vie dérangée, Flammarion, 2011 ; Archipoche, 2013.

Célébrités, 16 morts étranges, L’Archipel, 2010 ; Archipoche, 2011.

Ces maladies créées par l’homme : comment la dégradation de l’environnement met en péril notre santé, avec Dominique Belpomme, Albin Michel, 2004.

La Double Mort de Romy, Albin Michel, 2002 ;

Les Deux Vies de Romy Schneider, Pocket, 2012.

Mouna Ayoub, l’autre vérité, Presses du Châtelet, 2001.

Claude François, le Livre du souvenir, avec Stéphanie Lohr, Sand, 1997.

Je dis tout : les secrets de l’OM sous Tapie, avec Jean-Pierre Bernès, Albin Michel, 1995.

Patricia Kaas, ombre et lumières, Michel Lafon, 1994.

J’irai plaider sur vos tombes, entretiens avec Gilbert Collard, Michel Lafon, 1993.Coluche, le Livre du souvenir, Sand, 1993.Montand, le Livre du souvenir, Sand, 1992 ; J’ai Lu, 2011.

Gainsbourg, le Livre du souvenir, Sand, 1991 ; rééd. 2006.

McEnroe, champion rebelle, Calmann-Lévy, 1981.

La Tornade, avec Jean-François Larios, Solar, 1980.

Un vélo dans la tête, avec Cyrille Guimard, Solar, 1980.Moi, Bernard Hinault, avec Bernard Hinault et Olivier Rey, Calmann-Lévy, 1978.

Borg, Connors, Vilas ; les cannibales, avec Francis Haedens, Calmann-Lévy, 1977.

UN AUTRE COLUCHE

Il y a au moins un point commun entre Édith Piaf et Coluche : on n’a jamais cessé, depuis leur mort, de leur chercher des successeurs. En vain. Cela fait un peu plus de cinquante ans que l’on « découvre » régulièrement la nouvelle Piaf. Et, depuis 1986, le nouveau Coluche s’est annoncé à plusieurs reprises. L’exercice a au moins ceci de réjouissant qu’il permet à chaque fois de remettre les esprits en place : Piaf est unique, et sans doute un peu plus que cela encore. Et Coluche est inimitable, quoi qu’on en dise.

Il n’a pas seulement incarné une forme de comique, ni lancé un genre. Il est ce genre, et sa manière d’être drôle n’appartiendra jamais qu’à lui seul. C’est si vrai que son jeu, ses onomatopées, sa gestuelle, dans la forme et jusqu’au fond de ses sketches semblent relever parfois d’un passé enfoui.

Un passé dépassé ? Les enfants de dix-douze ans, qui font de lui leur idole, ces temps-ci, semblent nous dire le contraire. Et d’ailleurs, pourquoi Coluche serait-il plus désuet aujourd’hui que Charlie Chaplin, Buster Keaton ou les Marx Brothers ?

Le seul danger qui le guette désormais, ce n’est pas d’être oublié mais d’être pétrifié, telle une statue figée dans sa légende. À force d’être inimitable, on se retrouve bien seul. Et intouchable.

Heureusement, pour l’aider à vivre encore dans nos yeux, il y a les Restos du cœur. La formidable machine à nourrir les pauvres qui se remet en marche au début de chaque hiver. Des millions de repas que l’on quête pour les offrir, un immense élan de générosité.

Les Restos du cœur qu’il a inventés le jour où, pendant son émission de radio, il se faisait presque engueuler par un auditeur au bord des larmes : « On donne de l’argent pour la faim dans le monde, pour tous ceux qui souffrent un peu partout ailleurs, mais ici, en France, il y en a qui crèvent et tout le monde s’en fout… » C’était à son tour de pleurer et de décider, sur l’instant, qu’il allait faire quelque chose.

C’était le 26 septembre 1985. Un peu moins de trois mois plus tard, la lueur d’espoir s’est transformée en quelque chose de bien concret. Le 14 décembre, les Restos du cœur existent officiellement et le premier repas est servi à Nœux-les-Mines une semaine plus tard. Le défi consiste à distribuer deux à trois mille repas par jour… À la fin de l’hiver, 8 millions de repas ont été servis par 5 000 bénévoles. Impressionnant, certes. Mais un chiffre qui ferait presque sourire quand on le compare aux 130 millions de repas servis au cours de l’hiver 2012-2013 par 66 000 bénévoles, pour un million de malheureux !

L’autre idée géniale de Coluche, c’est d’avoir demandé à Jean-Jacques Goldman, en janvier 1986, de lui écrire une chanson pour ses Restos. Trois ans après qu’un accident de moto l’a emporté à jamais naît la première tournée des Enfoirés. Un commando d’élite composé de Michel Sardou, Johnny Hallyday, Véronique Sanson, Eddy Mitchell et, bien sûr, Jean-Jacques Goldman. Rien que ces cinq-là, ce qui paraît peu quand on les compare au nombre de vedettes qui se pressent désormais chaque année dans les tournées des Enfoirés, vendues ensuite en CD et en DVD. Mais déjà un triomphe, et une manière de générer de l’argent, nerf absolu de la guerre contre la pauvreté.

Car la guerre continue, hélas, plus névralgique que jamais. Les besoins augmentent chaque année qui voit un peu plus d’êtres humains laissés sur le carreau.

Dans ces moments, nous n’avons plus beaucoup le cœur à sourire des blagues de Coluche le trublion. Son œuvre, c’est vrai, a fini par brouiller son image, le comique grossier et provocateur a une âme, définitivement. Et elle est belle.

Tout près des éclats de rire et des éclats de colère, des provocations et des déguisements carnavalesques que l’on retrouve dans les pages qui suivent, il y avait un sacré bonhomme épris de justice et empli de compassion.

Suffisamment pour que son combat continue trois décennies après sa mort.

Réhabilité, « réinséré » dans le cœur de tous, il grandit et, avec lui, son auréole.

Plus beau mort que vivant ? Sans doute pas. Mais tellement plus proche. Au point que ceux qui auraient bien aimé, parfois, le brûler, rêvent maintenant de le sanctifier et pourquoi pas de le béatifier (!), comme ce fut, semble-t-il, sérieusement envisagé !

Décembre revient bientôt. Les Restos du cœur vont encore déferler sur la misère. Ils sont aujourd’hui une part de notre vie. Lui aussi est une part de quelque chose enfoui au fond de nous. Un peu de fierté, d’histoire, de légende déjà. Combien de tendresse ?

On n’a plus tellement envie de rire. On ne le trouve même plus drôle. On a compris – mais quand ? – que le clown en salopette, c’était bien autre chose.

Pas forcément mieux, autre chose.

Ses Restos sont là pour nous crier qu’avant on n’avait pas su voir.

Est-il trop tard pour regarder ?

On se jette en arrière, on repart vers lui, on s’empare de ses images, les fausses comme les vraies, on les découpe en tranches. En tranches de vie. En morceaux de bravoure. En coups de blues et en coups de cœur. Et on relit cette vie. Et on le redécouvre. Et on le voit avec d’autres yeux. Un nouveau regard.

MONTROUGE

Ma mère me disait : « Si tu sors dans la rue, fais bien attention qu’il ne t’arrive rien. » Mais s’il ne t’arrive rien, c’est ce qui peut t’arriver de pire quand t’es môme.

Coluche

L’ironie est lourde. Le trait méchant. La plaisanterie définitive. Quand la vie fait de l’humour, il est souvent noir.

Coluche est encore Michel Colucci et il tourne tout juste autour de ses trois ans. Son destin bascule une première fois : Honorio Colucci, son père, meurt brutalement à trente et un ans.

Fils de petit bourgeois d’origine italienne, Michel devient en quelques secondes et pour pas mal d’années un petit pauvre, rital et orphelin de père… La vie a décidé de se marrer un bon coup sur son dos. Et vous trouvez ça drôle ?

Plus tard, ce sera à lui de pratiquer l’humour noir. De choquer, de faire parfois frémir d’horreur. Avec cette mauvaise joie qu’on met souvent à se venger de vilains souvenirs.

 

Le mauvais goût était venu lui taper sur l’épaule quand il était encore bébé. Alors personne ne viendrait lui donner de leçon dans ce domaine.

A-t-on idée de tuer votre père comme ça, pour rien, de transformer votre univers et de faire de vous une victime en bas âge ! Ses détresses de ces années-là – celles qui ont suivi –, le petit Michel ne les pardonnera jamais. À qui ? À quoi ? Allez donc savoir, en tout cas, il ne les pardonnera pas…

Tout avait si bien commencé ! D’un côté, Simone, la maman. Bouyer, de son nom de jeune fille. Simone, dont le père, Marius, est coiffeur pour dames. D’abord pour les autres, puis très vite à son compte. Quelques chambres de bonne transformées en appartement hébergent confortablement la famille Bouyer du côté du boulevard Montparnasse. Plus tard, Marius prendra un salon avenue du Roule, dans le XVIe arrondissement, belle marque de réussite. Chez les Bouyer, on travaille aussi à l’avenir de ses enfants. Simone, que tout le monde surnomme déjà Monette, fait des études suffisamment poussées pour obtenir un brevet de secrétariat.

À dix-sept ans, elle entre chez Baumann, le grand fleuriste parisien. Un peu de piston (sa tante y est chef de livraison) et beaucoup d’enthousiasme lui obtiennent rapidement une place de choix dans le magasin. Les patrons, en personne, lui apprennent le métier, lui confient parfois leurs enfants, la chouchoutent et la spécialisent peu à peu dans la composition des bouquets.

Le samedi soir, comme toutes les filles de son âge, elle va « guincher » rue de la Gaîté, à Montparnasse, dans le parfum tranquille d’une avant-guerre remplie d’insouciance et de légèreté.

Souvent, elle se retrouve au Petit Moulin, mais elle accompagne aussi Robert, son frère, à La Belle Polonaise, un café qui fait face au théâtre Bobino.

Là, des dizaines de jeunes gens naviguent entre les tables, roulent des épaules, serrant des mains, lançant des œillades mortelles aux jolies filles qui s’attablent pour quelques minutes ou ne font que passer.

Robert a sa bande de connaissances, de copains dont on ne sait que le prénom. Tous séducteurs, tous forts en gueule, ils rivalisent de Gomina sur les cheveux et d’extravagance dans leurs vêtements. Honorio Colucci ne fait pas bande à part dans ce domaine.

Mais lui, au moins, a l’excuse d’être rital… Qui oserait lui reprocher de trop en faire ?

Sa famille, venue des environs de Naples, est installée dans la banlieue parisienne depuis une vingtaine d’années.

Il ne fait pas grand-chose dans la vie, vagabonde souvent du côté de Montparnasse en quête d’aventure, se parfume allègrement les soirs de java, traîne le reste du temps, mais il est sympathique en plus d’être séduisant.

Quand il lorgne du côté de Monette, Robert est le premier à venir lui donner un coup de main. Et même à arranger une présentation du prétendant à M. et Mme Bouyer, alors que la jeune fille est loin d’être enthousiaste. Mais Honorio plaît à madame qui lui trouve l’allure d’un gentleman. Monsieur est plus réticent : ce garçon qui ne fait rien ne lui inspire pas grande confiance. La guerre arrache momentanément Honorio à l’affection très mesurée de Monette.

Insensible au peu de chaleur qu’il reçoit en échange de son empressement, il continue de s’enflammer par lettres du fond de son bled algérien. Quand il rentre en métropole, tout de suite après la défaite, c’est pour demander Monette en mariage !

La main de la jeune fille lui est accordée même si M. Bouyer continue d’avoir des doutes…

21 octobre 1941 : les Italiens sont largement majoritaires au mariage d’Honorio et Monette. Que la jeune fille épouse un « rital », en pleine guerre, n’a pas engendré une ferveur délirante dans l’entourage des Bouyer. Même les Baumann, les patrons de Monette, auxquels la nouvelle a été annoncée le plus tard possible, ont marqué leur déception : par un banal bouquet le jour des noces.

Les temps sont durs pour le jeune couple. D’autant qu’Honorio a du mal à trouver du travail. Il peint mais, en pleine guerre, les propositions n’affluent pas. Qui a vraiment envie de faire exécuter des travaux de peinture alors qu’un bombardement peut raser un immeuble ou une maison en quelques secondes ?

Le bâtiment retrouvera des couleurs après la guerre (toute la famille d’Honorio compte dessus !), mais pour le moment, c’est le grand vide. Comme le magasin de Baumann marche très moyennement, lui aussi (on pense plus à trouver à manger qu’à acheter des fleurs), Monette et Honorio ont bien du mal à joindre les deux bouts. À Montrouge, dans la banlieue grise de Paris, un univers sans joie composé de petits pavillons sans éclat, de HLM, d’ateliers et d’entrepôts, les Colucci dénichent, rue Émile-Boutroux, une pièce plus une cuisine… C’est minuscule et ça le devient plus encore quand Danièle, le premier enfant du couple, vient au monde. On se serre, en attendant les jours meilleurs qui, d’ailleurs, ne se profilent pas. Monette continue à travailler chez Baumann, mais elle souffre d’une scoliose d’autant plus ennuyeuse qu’elle n’a jamais été soignée. Courageuse, elle essaie de dépasser les souffrances qui l’accablent régulièrement. Deux fois déjà, elle a dû être opérée, et ses jambes la font souffrir atrocement, au point que le dimanche, son seul jour de repos, elle reste allongée toute la journée.

Pas question pourtant de renoncer à travailler : si la petite famille survit, c’est grâce à son salaire, même si l’aide financière apportée par ses parents et par Maria, la mère d’Honorio, n’est pas négligeable.

Plutôt que d’en faire moins, Monette va même en faire plus : sa journée de fleuriste terminée, elle vend désormais des billets de loterie dans le café d’un ami du couple, Henri Schmitt ! C’est Henri qui a proposé le travail à la jeune femme tant il sentait le ménage Colucci en difficulté.

Heureusement, la guerre touche à sa fin. Bientôt, de nouvelles perspectives s’ouvriront à Honorio. Il aura du travail à ne plus savoir qu’en faire quand le bâtiment sera reparti. Monette pourra se reposer.

Le 28 octobre 1944 à 18 h 20, la courageuse Monette met au monde son deuxième enfant : Michel, Gérard, Joseph Colucci. La France est libre depuis quelques semaines et cet enfant qui naît en automne annonce le printemps. Très vite, toute la famille Colucci participe activement à la reconstruction de la France. Comme prévu, tout le monde y gagne.

Les années qui s’ouvrent sont souriantes, pleines d’espérance.

1947. Le drame. La mort d’Honorio. Et Monette se retrouve vraiment seule. Si ce n’était Maria, la tendre belle-mère au cœur d’or, on pourrait dire que toute sa belle-famille l’a oubliée, elle et ses enfants, en moins de temps qu’il n’a fallu pour enterrer Honorio.

Une manière de lui signifier qu’elle n’a jamais fait partie du clan.

Maria fait ce qu’elle peut pour compenser. Elle vient régulièrement voir ses petits-enfants, leur apporte des cadeaux, leur prodigue sa tendresse. C’est une vraie grand-mère et le petit Michel ne l’oubliera jamais.

Il n’oubliera jamais non plus la solitude de sa mère, ses difficultés à les élever, l’abandon dans lequel elle s’est retrouvée avec ses enfants. Et puis la misère, tout de même, qui rôdait malgré le courage de Monette.

« La misère, dira-t-il plus tard, c’est comme un grand vent qui vous déboule dans la gueule et qu’arrête pas de souffler dans la même direction… on apprend ça quand on est tout petit. »

Monette, veuve à vingt-sept ans, fait tout pour épargner à ses enfants l’amère expérience de la misère. Elle travaille plus encore. Depuis son départ de chez Baumann, elle continue à La Belle Polonaise, mais elle effectue aussi des remplacements chez plusieurs fleuristes.

Le soir venu, elle va encore travailler dans un laboratoire pharmaceutique, à Montrouge, avant de rentrer chez elle, enfin, épuisée, vaincue.

Ce n’est pas la vie dont elle rêvait. Elle n’y avait pas été préparée par son enfance. Surtout, elle n’aurait jamais imaginé faire vivre « ça » à ses enfants.

Dans cet univers misérable, elle se cogne chaque jour, chaque nuit surtout, à une immense sensation d’échec.

Curieuses années que celles de la petite enfance de Michel Colucci : en porte-à-faux avec le monde dans lequel elle se débat, sa mère le décroche peu à peu de la réalité.

La pauvreté, elle l’accepte pour elle, pas pour ses enfants. Elle veut qu’ils vivent, qu’ils grandissent comme ceux des quartiers où elle travaille, ceux qui n’ont pas de problème. Qu’ils ne manquent de rien ? Pas suffisant. Pour eux, elle veut plus.

Alors, elle rogne sur tout, compte et recompte, économise sou à sou.

L’appartement est minuscule, il faut se laver dans l’évier, mais dans leur « une pièce-cuisine », impossible de trouver un grain de poussière. Et dès qu’elle a trois sous, c’est pour habiller Danièle et Michel « comme ils le méritent », comme des petits princes. Au point qu’ils détonnent dans leur banlieue, dans leur rue, dans leur immeuble. Et bientôt dans leur école.

Déchirée entre deux mondes, celui dont elle rêvait et celui qui lui est imposé par la fatalité, Monette a choisi : elle rejette Montrouge, sa grisaille, sa misère. Quitte à fausser les cartes.

« Ma mère nous habillait pareil ma sœur et moi, dira Coluche bien plus tard. Elle voulait qu’on soit impeccables, une spécialité de pauvres. Comme d’avoir de grandes idées. »

Dans sa volonté de tout enjoliver, elle va jusqu’à leur réinventer un père dont l’image – un tant soi peu idyllique – ne correspond pas précisément à celle du pauvre Honorio. Les aide-t-elle autant qu’elle les aime ? Pas sûr. Résultat, Michel va se trouver écartelé – trop jeune – entre deux vies.

Il va devoir choisir brutalement entre la réalité de Montrouge et le Montparnasse rêvé de Monette. Le temps du grand chambardement dans sa tête de môme. Les manques qui se bousculent, les absences qui se heurtent aux frustrations, les tentations qui le dévorent.

Il y a les questions que, déjà, on n’ose plus poser. Les réponses que l’on craint parce qu’on ne sait jamais si elles correspondent à une quelconque vérité.

Comment trouver son équilibre dans un univers si factice, si composé ?

Alors, il s’invente une histoire. Il se dira à l’occasion orphelin de naissance ou encore pupille de la nation ! Il jurera dur comme fer et contre les dires de tous les siens que, dans leur « une pièce-cuisine », il n’y avait pas de toilettes et qu’ils devaient aller sur le palier…

Petits mensonges dérisoires qui en disent pourtant si long sur son égarement. Dans lesquels on trouve surtout la réponse à la grande question de son enfance : pour quel monde opter ? C’est la banlieue qu’il choisit, lassé de naviguer entre deux mondes. Et, avec elle, la pauvreté et une étiquette sociale qu’il arborera plus tard comme un drapeau. Tant pis pour Monette et ses rêves de grandeur. À dix ou onze ans, Michel ne veut plus de cette tricherie désespérée : son monde à lui, c’est Montrouge !

Trente ans plus tard, c’est là qu’il sera enterré, dans le cimetière de « sa » ville jamais désertée. Comment ne pas y voir plus qu’un simple symbole de fidélité ?

Dix ans, c’est l’âge où il commence à se durcir. À se révolter contre le chagrin. C’est aussi l’âge où il se découvre cette arme terrible : l’ironie. Il apprend qu’on peut rire de tout et que ça sert très efficacement dans la vie. Surtout quand, comme lui, on a quelques vilaines blessures au cœur. Parce qu’on ne lui a jamais vraiment apporté de réponses au sujet de son père, ou qu’on lui en a tracé un portrait auquel il ne croit pas tout à fait, il réglera son compte, devenu Coluche, à l’image trop floue de son enfance.

Quand, pour son émission « Tenue de soirée », sur Europe 1, Jean-Claude Brialy lui rappelle qu’il a perdu son père très jeune, la repartie jaillit, violente, ironique et tellement désemparée :

« Perdu ton père ! Perdu ton père ! On dirait que c’est moi qui l’ai égaré ! Non, c’est lui qui est mort… Nous, on aurait bien aimé le garder. »

Il n’admettra jamais, non plus, d’être catalogué comme nouveau riche.

« Moi, je suis un ancien pauvre », lance-t-il, provocant, à chaque fois qu’on l’asticote sur le sujet.

Même s’il ne le reconnaît pas toujours, la misère de son enfance va l’accompagner tout au long de sa vie, comme une musique de film lancinante, un thème obsessionnel.

« Il avait un mépris célinien du humble, écrit François Caviglioli, fait de colère, de pitié et de terreur rétrospective qu’il éprouvait au sommet de sa carrière devant l’enfer d’ennui et de grisaille auquel il avait échappé. Comme pour se délester de sa “misère” originelle, il ira très loin parfois… »

Dramatique et théâtral : « On était même pas ouvriers, on était pupilles de la nation… »

Émouvant et romantique : « Une pièce pour trois à Montrouge. Quand on regardait l’horizon, on voyait que des cheminées au-dessus des toits, des cheminées d’usine. »

Méchant et provocateur : « Les pauvres sont des cons. »

Sensible et réaliste : « Je parle pour les mecs dont je me sens non pas solidaire : originaire. Je suis et je ne serai jamais que l’un d’eux. Aujourd’hui, même si on me disait : “Tu vas être tout le temps milliardaire, même si tu ne travailles plus”, je ne pourrais pas être milliardaire. Je suis né comme ça, je vis comme ça : c’est tout. »

À l’école communale, il choisit donc son univers, son monde. Et ses armes.

Les grossièretés de langage, il les maîtrise rapidement avec une intelligence qui désespère sa mère, plus que jamais en quête d’honorabilité. Michel va systématiquement vers les paumés, fils de paumés. Et il parle leur langage mieux qu’eux.

Au point que Monette se révolte souvent, le menace quand il va trop loin, à table par exemple… « Je lui répétais souvent : Michel, si je t’entends dire encore de pareilles choses, je te couds un uniforme et je t’envoie en pension ! Il me répondait, l’air triste : Oh non ! Pas la pension pour Mimi. »

Il n’en a d’ailleurs plus pour longtemps à s’entendre appeler Michel ou Mimi. Ses meilleurs copains commencent à le surnommer Coluche, proche de Colucci, bien sûr, mais aussi de coqueluche…

« Je porte un nom de maladie », dira-t-il souvent.

S’il passe ses journées à l’école primaire de Montrouge, un lourd bâtiment triste de brique rouge et de béton gris au 57 de la rue de Bagneux, il fait parallèlement l’apprentissage de la rue. Et bientôt, il la connaît par cœur. Comme tous les gamins pauvres. C’est là qu’il commet ses premières bêtises, là qu’avec sa petite bande il organise ses premiers chahuts.

En classe, il rit moins. Il s’éteint même, assommé d’ennui dès qu’il est assis derrière son pupitre. Très vite, il se taille une réputation de cancre. Il ne veut rien apprendre ! Chahuter, c’est bien sûr plus drôle que de passer des heures à écouter les cours de calcul, dictée, histoire ou géographie…

Ses bouts de buvard finissent le plus souvent dans l’encrier du voisin. Il trempe les craies dans le vinaigre pour qu’elles n’écrivent plus sur le tableau. Fabrique des boulettes de papier mâché qui restent collées au plafond… Bref, il s’amuse comme un petit fou et les sanctions tombent : paires de gifles, coups de règle sur les doigts, punitions de toutes sortes…

Rien ne l’arrête.

Il est cancre et rebelle à la fois, il a choisi là encore sa voie et personne ne peut l’en détourner. Il veille cependant à une chose essentielle qui guidera le reste de sa vie : faire tout pour être le meilleur dans le domaine qu’il s’est choisi !

Gagné : à l’école de la rue de Bagneux, il est devenu la terreur des « instits ». Les malheureux sont même soulagés quand Michel fait l’école buissonnière, ce qui lui arrive de plus en plus fréquemment.

« Je séchais les classes, a-t-il souvent raconté. Quitte à me faire attraper le soir quand ma mère rentrait, je préférais que ce soit pour quelque chose de sérieux. L’école, ça ne sert qu’à apprendre à lire, écrire et compter. Le reste, c’est complètement inutile. »

Mais il se montre si cancre que son instituteur le trouve, justement, incapable de lire, d’écrire ou de compter correctement. Il n’arrive pas à aligner une phrase sans faire au moins une faute d’orthographe par mot !

« Tu n’auras jamais le certificat d’études », lui dit-on quelques semaines avant de le présenter à l’examen.

Le matin du grand jour, Michel décide de relever le défi. Il va « leur » montrer que quand il veut il peut.

Sa dictée, il l’écrit avec un soin fou. Et s’y s’applique tant qu’il ne commet, en tout et pour tout, qu’une seule faute ! Son défi gagné, il ne retourne même pas à l’école, l’après-midi, pour la suite des épreuves !

« J’avais prouvé que je pouvais l’avoir leur truc. Alors, l’après-midi, je suis allé au ciné voir Marilyn. Je ne peux pas dire quel film c’était. On ne regardait que son cul et ses seins. »

« On », c’est sa bande de copains aussi paumés que lui. Tous ces gosses entre quatorze et seize ans qui ne savent pas ce qu’ils feront plus tard et, surtout, qui n’ont, pour le moment, aucune envie. Alors, ils font les quatre cents coups dans Montrouge où ils s’éparpillent et se croisent souvent par petites bandes. Celle de Michel, c’est la Solo. Du nom de la cité, Solidarité… De temps en temps, ils fauchent une « mob », ou descendent des carreaux à coups de pierres, comme ça, pour rigoler un peu.

« On était assez nombreux, se souvenait Coluche. Certains, je les ai connus dans les commissariats. On était souvent fourrés chez les flics. Si t’as entre douze et seize ans et que t’habites en banlieue, t’es classé délinquant d’office. »

Délinquant, il ne le deviendra jamais vraiment. Même s’il a reconnu qu’il aurait pu être un voyou, qu’il en est même passé très près.

Ce qui le sauve, c’est l’exemple de sa mère et l’amour qu’elle lui porte.

Monette continue de se saigner aux quatre veines pour élever ses enfants. Elle rentre harassée le soir et repart travailler le lendemain matin sans avoir récupéré. En ratant volontairement son certificat d’études, Michel lui a causé une grande peine. Il le sait. Comme il sait qu’à tous les soucis de sa mère vient s’ajouter désormais celui de ne pas savoir ce que son fils deviendra. Il n’a que quinze ans, mais il comprend une chose : il ne doit pas continuer à décevoir Monette.

Pour ce qui est des études, c’est définitivement compromis. Alors, à lui de trouver une autre solution…

Il décide de commencer à travailler. Comme un homme qu’il n’est pas encore. Tête brûlée et ingouvernable, il sait pourtant que tout se paie, qu’il ne peut vivre éternellement aux crochets de sa mère :

« Un jour on s’est aperçus qu’on avait quinze ans. Qu’est-ce qu’on allait foutre de notre vie ? À Montrouge, on ne voyait que des cheminées d’usines et des HLM. C’était pas gai-gai. Les uns pensaient à devenir voleurs ; les autres commerçants, parce que les commerçants sont des voleurs qui ont le droit de l’être. Moi je raisonnais à l’envers : je voulais devancer l’appel pour être revenu plus vite du service militaire, épouser plus vite une petite et posséder un Frigidaire sur cour. Ça ne tenait pas debout… » Il se gratte le nez : « Alors j’ai dit aux copains qu’on était des cons ; qu’il fallait faire comme les gens intelligents. C’est-à-dire aller au cinéma, jouer aux échecs et parler “art”. Ça a impressionné tout le monde. »

Grâce à sa sœur plus âgée que lui, il a découvert les surprises-parties et les 45-tours des idoles, grandes et petites, du rock (des Chaussettes noires à Johnny Hallyday, en passant par les Pirates et les Vautours).

Pourtant, quand il quitte l’école, il ne pense ni à la musique ni au cinéma ni à l’art, mais cherche du travail. Par l’intermédiaire d’une voisine, sa mère lui trouve son premier job : télégraphiste. Elle lui achète un vélo d’occasion et le voilà en route pour une incroyable série : « Ma mère a fait le compte, racontera-t-il plus tard, j’ai exercé exactement quatorze boulots différents à cette période ! »

Aucun ne dure bien longtemps. Télégraphiste ? Son chef n’a pas confiance en lui. Il le juge trop fantaisiste. Quand il revient à la poste, il fait tellement le pitre que les autres employés ne pensent plus qu’à rire et le travail s’en ressent. Et puis, il redoute toujours qu’il mélange les télégrammes qu’il doit porter ! L’aventure des PTT s’achève le jour où il arrive chez une dame avec le télégramme qu’il doit lui remettre, déjà ouvert, et qu’il lui lit le message !

Et en plus, avant de partir, il réclame un pourboire, ce qui est strictement interdit ! Résultat : mise à la porte dans l’heure qui suit. Mais de ce renvoi qui aurait pu être une blessure d’amour-propre, il fait un morceau de bravoure. Le soir venu, il fonce retrouver ses copains dans un café de Montrouge et leur raconte ce qui vient de lui arriver. Avec force détails. Plus comiques les uns que les autres.

Puis il repart en quête d’un autre petit boulot. Un travail d’attente. Histoire de voir venir.

« C’est fou ce que j’ai attendu et ce que j’ai vu venir, dira-t-il plus tard. Le problème, c’est qu’on m’attendait pas et que je voyais pas venir grand-chose… »

Heureusement, Monette veille à ce qu’il ne s’installe pas dans l’oisiveté : graveur de plaques funéraires, barman, garçon de café, livreur, photographe, céramiste, marchand de légumes à la criée, vendeur de journaux… Il devient même, un temps, préparateur en pharmacie !

« Quelquefois, je ne restais dans une place qu’une demi-heure. C’était plus fort que moi, je n’ai jamais pu supporter d’avoir un patron. »

Entre deux places, il se « débrouille ». Pas toujours avec des combines très honnêtes. Mais il va à l’essentiel : aider Monette au maximum, même s’il ne peut pas lui donner la satisfaction de « garder » une place.

Il bricole aussi assez souvent. Il lui arrive, ainsi, de fabriquer des guitares électriques, activité on ne peut plus honnête. La suite l’est un peu moins : « J’avais pris les mesures chez un marchand et j’essayais de faire la même chose. Malgré le résultat catastrophique, j’en ai vendu trois à des pigeons. L’un d’eux m’a même accusé de lui avoir fait rater une carrière ! Je trafiquais des vélos, aussi. »

Nous sommes au tout début des années 1960. Pas plus que les autres, Coluche n’échappe à la folie du rock. S’il fabrique des guitares pour les autres, il en rêve surtout pour lui-même. Ses idoles s’appellent Johnny Hallyday, Eddie Cochran, Eddy Mitchell, les Chaussettes noires et, bien sûr, Elvis Presley auquel il voue un véritable culte. Des années après, évoquant « Love Me Tender », il dira avec cet art de la formule qui le caractérise : « C’est comme la margarine, si t’en as mangé tout petit, tu t’en remets plus ! »

La musique prend une grande importance dans ce petit monde gris, banlieusard, sans joie et sans trop d’espoir, qui encercle Michel Colucci. Elle est un remède, un trait de lumière. Les Johnny, Eddy, Sylvie deviennent des copains, des copines, avec lesquels on dort, la nuit, dans des chambres sans joie où s’affichent leurs photos éclatantes sur des murs ternes.

Il les aime tant, tous ceux-là, que, plus tard, il fera des pieds et des mains pour qu’ils deviennent ses copains, vraiment. En pleine gloire à son tour, il ira les voir tout simplement et leur dira : « Je suis un ancien fan mais c’est toujours d’actualité ! »

Ah ! S’il avait le physique pour… Mais il n’y croit pas. Chanter, jouer, ce n’est pourtant pas le désir qui lui manque. Quand il possède enfin sa première guitare, il ne s’en sépare plus, ni le jour ni la nuit. Il joue sans jamais avoir appris mais qu’importe, il aime ça comme il aime chanter. Jamais cette passion ne le lâchera. Il en a besoin pour tenir dans ces années de doute, de désarroi.

Quoi de plus dur : ne savoir vers quoi orienter sa vie et, en même temps, sentir qu’on fait souffrir l’être qu’on aime le plus au monde. Sa mère n’a qu’un désir : qu’il s’en sorte !

Quand il la voit pleurer tant elle a peur qu’il tourne mal, il redevient son Mimi, son petit garçon tendre et affectueux. Pour elle, il va même se frotter au dessin industriel !

Il s’inscrit, pour lui faire plaisir, aux cours gratuits pour adultes de l’école de dessin industriel du boulevard du Montparnasse à Paris. C’est la première fois qu’il s’aventure vraiment au-delà de Montrouge. Dans un monde qui n’est pas le sien. L’expérience lui laisse un goût amer et une seule certitude : il n’est pas doué pour le dessin.

Il passera encore par l’usine, comme manutentionnaire, et n’en gardera pas, là non plus, un excellent souvenir :

« Je ne suis pas mécontent d’en être sorti », dira-t-il souvent en évoquant ce bref passage.

Une autre forme d’usine, plus uniformisée encore, le guette d’ailleurs. C’est l’armée. Il a dix-neuf ans quand il est appelé. Au moins, il a échappé de justesse à l’Algérie. Mais c’est sans enthousiasme aucun qu’il s’en va faire ses classes, guitare dans la valise.

À Lons-le-Saunier, dans le Jura, il affronte la routine de la vie militaire, les absurdités de la caserne, les sanctions qui tombent à chaque fois qu’il se rebelle et les mises aux arrêts quand il est pris à faire le mur. Banal…

Dix-huit mois ainsi, entre 1963 et 1965. Dix-huit mois à se ronger avec l’insupportable sensation de perdre son temps. Avec, tout de même, un intermède plutôt comique qu’il se faisait un plaisir de raconter vingt ans plus tard.

À Dole, il avait été pris en auto-stop par un automobiliste d’apparence honnête. Un professeur de piano, sympathique et peut-être trop chaleureux :

« […] il m’avait piégé. Le genre : “Comment, t’as jamais essayé, si ça se trouve tu vas trouver ça formidable, t’es un imbécile.” À vingt ans on y va, non ? Moi, en tout cas, j’y suis allé. Quand on est arrivé, il s’est mis tout nu et tout, alors moi, comme un con, j’ai éclaté de rire et je me suis taillé, non j’ai vu que j’étais vraiment pas branché avec ça… »

Comme il ne vit pas de telles aventures tous les jours, il se morfond le reste du temps et désespère de tout. Ça ne lui apporte rien, il le sait bien.

Il a tort : des copains de chambrée à l’adjudant tyrannique en passant par les gradés méprisants, il engrange dans sa tête des portraits. Comme à l’école. Comme au travail. Comme au bistro. C’est sa gloire qu’il prépare. Sa fortune qu’il bâtit. Sans le savoir. Sans même imaginer qu’il l’exercera un jour !

Presque inconsciemment, il pratique ce qu’il appellera plus tard la « technique de l’éponge ». Tranquillement, sereinement, consciencieusement, il absorbe les ridicules de ses contemporains.

Quand l’armée le libère, elle le laisse face à sa liberté, ce qui est un bien, mais aussi face à ses doutes, ce qui est moins enivrant. Mise entre parenthèses pendant dix-huit mois, la question se pose à nouveau, plus brûlante que jamais : Que faire ? Comment gagner sa vie ?

« J’étais tellement paumé, racontera-t-il, que je croyais vraiment que le bonheur, c’était un boulot stable, se dégoter une femme et lui faire des gosses ! »

Maman est fleuriste, pourquoi ne pas essayer ? À peu près la seule chose qu’il n’ait pas tentée jusque-là ! Au mois d’octobre 1965, il se présente au magasin de Michel Morin, quai aux Fleurs, dans l’île de la Cité, à Paris. Il a une bonne bouille rondouillarde, l’œil malicieux. Il est sympathique et, question bagout, intarissable. En quelques minutes, il convainc Michel Morin de lui offrir une place de vendeur.

« C’était un bon gars, mais il n’en faisait qu’à sa tête. Par exemple, il refusait de prendre le métro et faisait toutes ses livraisons à Solex. Ce n’était pas non plus un vendeur exemplaire. Quand la tête d’un client ne lui revenait pas, il le laissait en place et partait s’enfermer dans l’arrière-boutique. »

En revanche, un client sympathique avait droit à toute son attention et même plus : « S’il avait une bonne tête, racontait-il, je pouvais passer plus d’une heure à lui composer un bouquet. Les autres, c’est vrai, je m’en fichais. »

Dans cette petite phrase, il y a déjà tout Coluche. Étrange personnage habité par mille paradoxes. S’il est vrai que nous ne sommes intéressants que par nos contradictions, alors il est vraiment passionnant ! À vingt ans, il s’habille déjà de cynisme pour cacher sa tendresse.

Mais plus encore, il peut blesser à mort pour le plaisir d’un mot, d’une bonne ou mauvaise plaisanterie. Il oscille, et ce n’est qu’un début, entre des coups de cœur et des accès de cruauté révoltante. Il peut être, avec la même personne, adorable puis odieux trois minutes plus tard. Se montrer déroutant de méchanceté ou bouleversant d’humanité.

Il est ainsi. Et le restera jusqu’à sa mort.

Tant pis pour ceux qui ne désirent conserver de lui que l’image idéalisée qui leur convient.

Le vrai Coluche n’était pas un ange. Il pouvait même être un monstre. Vouloir le nier ou le gommer n’y changera rien. Croire que c’est la gloire qui l’avait fait ainsi est une autre ineptie.

Il suffit d’écouter le brave Michel Morin pour s’en convaincre :

« Souvent, il taquinait une vendeuse âgée qu’on appelait Mamie. Elle était au régime et apportait chaque matin des biscottes sans sel que Coluche prenait un malin plaisir à réduire en miettes. D’un coup de poing, il écrasait le paquet ! »

Pas vraiment drôle, ni très sympathique ! Mais c’est le même qui, quelques mois plus tard, alors que son patron, en proie à des difficultés financières, envisage de licencier plusieurs employés, va avoir un geste inattendu :

« Les affaires ne marchaient pas très fort, a expliqué M. Morin. J’avais prévenu mon personnel que je ne pourrais pas garder tout le monde. Alors Coluche m’a pris à part et m’a dit : “Gardez la vieille Mamie. À son âge, elle ne retrouvera pas de boulot. Moi, je suis jeune, je me débrouillerai.”