I
SARKOZY IMPERATOR
Comme Shiva il prend la France
dans ses cent bras
(de mars à juin)

Mars
Sarkozy enfile son nouveau costume
présidentiel
Lundi. – Pauvre Sarkozy ! Comme il semblait s’ennuyer à la messe de Saint-Louis des Invalides. Il n’avait pas l’air à la fête même si les obsèques de Lazare Ponticelli, le dernier Poilu, ne s’y prêtaient guère. Peut-être pensait-il à ces satanées élections municipales de la veille. Pas tant au fiasco électoral qu’à ce qu’il implique désormais pour lui : toute cette perspective de corvées et de solennités officielles pour effacer son image trop peu conventionnelle et lui faire emprunter sa nouvelle tenue présidentielle. On a mobilisé tous les corps d’armée, enrégimenté tous les bataillons en grande tenue pour combattre le bling-bling. Je ne suis pas certain que cet engouement, afin de replonger les Français dans leur histoire, atteigne le but recherché. Demain il sera au plateau des Glières dont il veut faire, suivant le modèle de Mitterrand, sa Roche de Solutré. Au total beaucoup d’Histoire, beaucoup de passé. Cela dit, Sarkozy a prononcé un très beau discours sur Lazare Ponticelli, surtout dans son prologue. Peut-être un peu long, trop biographique. Plus sentimental que politique, ce qui est son péché mignon en matière historique. Rien sur l’Allemagne, l’ennemi d’hier devenu l’ami d’aujourd’hui. Rien non plus, ce qui est plus surprenant, sur l’Europe. Je ne crois pas que Sarkozy gagnera en gravité et en sérieux en accumulant les célébrations historiques. Les Français n’attendent pas de lui un abonnement hebdomadaire à Historia. D’autant plus que si la guerre de 14-18 est une page écrite dans le sang à la gloire des soldats, elle est devenue un cri de désespoir contre un État et les généraux qui ont fait facilement bon marché de leurs vies. On ne pouvait pas le dire il y a trente ans. Trop d’hommes avaient souffert. Mais aujourd’hui c’est la folie sanguinaire de ce conflit inutile qui choque. Lazare Ponticelli refusait d’avance tout hommage posthume. Il avait haï cette guerre et ne souhaitait pas sur sa tombe les larmes de crocodile des officiels d’aujourd’hui qui sont les petits-fils des officiels d’hier qui ont eu si peu de scrupules à donner tant de chair fraîche aux canons. D’ailleurs tous les écrivains ont témoigné de l’horreur de cette guerre industrielle, mécanique, qui loin d’exalter l’héroïsme individuel comme autrefois, l’écrasait sous les gaz asphyxiants et les bombes au shrapnell. Drieu La Rochelle, Montherlant, Maurice Genevoix, Giono, ont été les porte-voix d’un conflit si atroce qu’il a fait haïr la guerre comme jamais. Une Grande Guerre inutile d’hier, aussi inutile que celle qui aujourd’hui ravage l’Irak.
Le Tibet, une Tchétchénie spirituelle
Mardi. – Après la Chine qui s’est si bien réveillée au point de devenir une des grandes puissances mondiales, c’est au tour du Tibet de sortir de sa léthargie. Pourtant que de moyens ont employés les Chinois pour mettre au pas ces hommes rebelles à toutes les formes de colonisation qu’ils voulaient leur imposer ! Cette potion amère, cocktail bizarre d’idéologie communiste et d’économie de marché, le Tibet se refuse à l’avaler. Peut-être parce qu’ils habitent sur le toit du monde, les Tibétains ont accès à de hautes valeurs spirituelles. Leurs moines suivis par la population vont-ils faire plier la Chine pour qui un bain de sang de plus ou de moins n’est pas un vrai problème ? Mais ces cadavres des martyrs de Lhassa dont se moque la Chine gênent les pays occidentaux qui en bons Tartuffes, voudraient qu’on les leur dissimule : cachez ce sang que je ne saurais voir. Car ce ne sont pas les jeux Olympiques qui sont en cause – s’il ne s’agissait que de cela – mais des intérêts, beaucoup d’espèces sonnantes et trébuchantes. On a mis un bémol sur la Tchétchénie pour ne pas être privés du gaz russe. Comment concilier nos affaires et nos droits de l’homme ? J’ai trouvé la réaction de Rama Yade comique : elle a décidé que personnellement, elle bouderait les Jeux de Pékin. La belle affaire ! Elle pourra aussi donner une interview comme lors de la visite de Kadhafi. Je crains qu’on ne laisse le Tibet se tchétchéniser ou se bagdadiser. Tout le monde pleurera sur les malheurs des moines tibétains mais personne n’osera affronter la Chine. Boycotter les JO, comme le souhaite Ségolène Royal ? Je ne suis pas certain que ce soit la bonne solution. Un refus d’envoyer nos athlètes dans l’Allemagne antisémite et liberticide d’Hitler aurait-il changé quoi que ce soit ? Ouvrir une fenêtre sur le monde, faire passer un courant d’air de liberté, c’est peut-être, hélas !, le seul moyen que nous ayons de voir un jour la Chine qui fait commerce de tout, marchander un peu de liberté.