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EAN 978-2-80981-496-5

Copyright © L’Archipel, 2014

AVERTISSEMENT

Je soussigné Michel Ferrari avoue être l’auteur du hold-up de l’UBS. Après plus de vingt-quatre ans de silence, je livre aujourd’hui ma version complète des faits : celle de l’organisation du casse.

Je raconte comment et avec qui j’ai entrepris ce travail. Les 31 400 000 francs suisses dérobés à l’UBS le 25 mars 1990, quelque 20 millions d’euros, n’ont jamais été retrouvés…

Tous les lieux, événements et personnages de cette histoire sont réels. Toutefois, pour des raisons évidentes, certains des noms de ses acteurs ont été modifiés.

PRÉFACE

Ce récit n’est pas celui d’un gangster et d’un braquage comme les autres.

Certes, le cambriolage du siège central de l’UBS à Genève, le dimanche 25 mars 1990, fait partie des « casses du siècle » de l’histoire du grand banditisme, au même titre que celui des égoutiers de Nice ou du train Glasgow-Londres, mais sa genèse commence bien avant.

Cette histoire est d’abord celle de son cerveau, l’auteur de ce livre. Une histoire tragi-romantique, assurément rageante, qui transpire la sincérité et la frustration de notre héros bafoué, cerveau ingénieux du forfait bien sûr, mais fait cocu comme un bleu par des complices bien plus tortueux : les caïds corses du gang de la Brise de Mer.

C’est l’histoire de Michel Ferrari, « petit » prof de tennis français de la région genevoise devenu, par le hasard des rencontres, trafiquant de devises dans les folles années 1980, puis, autant par défi que par appât du gain, le cerveau du casse de l’UBS.

C’est ensuite l’histoire de la préparation minutieuse du casse, montage, repérages, plan A, plan B… Celle du casse lui-même bien sûr, un vol atypique sans véritable braquage, ni prise d’otage, ni coup de feu, ni victime. C’est enfin la tentative avortée d’empocher le magot.

Bilan : l’équivalent de 31,4 millions de francs suisses en devises étrangères qui s’envoleront dans la nature (enfin, pas tout à fait), et trois participants seulement qui paieront leur dû – assez lourdement d’ailleurs : les « Suisses » de l’affaire : Michel Ferrari et ses deux complices, condamnés chacun à sept ans et demi de prison.

Curieusement, seul Michel Ferrari parle et s’est toujours battu pour raconter sa vérité.

Le premier complice s’est muré dans le silence. L’autre, aujourd’hui décédé, est parvenu à se faire innocenter au terme d’un second procès pittoresque. Quant aux Corses, rattrapés sur le tard puis jugés en France, ils en sont sortis blanchis comme des premiers communiants. Pas pour toujours. La plupart sont désormais hors d’état de nuire, victimes de règlements de comptes divers et variés.

C’est pourquoi le livre que vous tenez entre vos mains est un petit miracle. Jusqu’ici, depuis plus de quinze ans, Michel Ferrari n’a essuyé que refus et renoncement gêné des éditeurs en raison de la mise en cause nominale de ses complices. Avocats et conseils plus ou moins bien intentionnés sont passés par là. Il était temps de passer outre. C’est fait1.

L’histoire folle de Michel Ferrari commence donc bien avant le casse. Dessinateur-technicien de formation, il devient prof de sport à Genève. C’est dans le cadre chicos d’un club de tennis réputé qu’il noue des relations avec des clients affolés par l’arrivée de la gauche au pouvoir en 1981. Ainsi devient-il presque naturellement porteur de valise : un joli business. C’est probablement avec incrédulité que vous lirez son histoire, son mode opératoire, et la réception des biens « évadés fiscalement » au cœur de la première banque de Suisse !

Quelle ironie, au moment où tous les Moscovici d’Europe­ enfourchent le cheval de guerre lancé par les Américains pour récupérer dans les banques suisses ce qu’ils estiment leur être dû !

Pour ceux qui l’ignorent, l’année en cours pourrait être l’année des porteurs de valises à l’envers : de Suisse en France. Les banques, notamment genevoises, ont d’ores et déjà prévenu leurs clients français : votre argent, on n’en veut plus. Soit vous vous dénoncez auprès du fisc de votre pays, soit on vous fait un chèque et vous vous débrouillez. C’est beau, la fin du secret bancaire !

Pour revenir au casse, et sans surprise, l’UBS continue de refuser toute interview sur cette « trop vieille affaire ». Il n’est pas question d’absoudre qui que ce soit. Les banquiers suisses transpirent d’un malaise plus profond : ils savent qu’ils sont arrivés au bout du système. Même prise en flagrant délit d’incitation d’évasion fiscale par l’admi­nistration américaine, UBS paie mais continue de faire comme si de rien n’était.

Alors, question à mon ami Michel, que j’ai connu, tout jeune, au volant d’une Ferrari (fallait l’inventer, celle-là !) « Et toi, t’as jamais eu un petit problème de morale ? » La réponse fuse : « La morale ? Quelle morale ? Quand tu sais que la plupart des devises qu’on a tirées venaient de trafiquants de drogues, notamment en provenance de la Banque du Maroc… »

Soupir. « Mais le casse, on aurait pu et dû le faire tout seuls. » Il y a de quoi ruminer, en effet, quand on sait que c’est notre contact, complice des Corses, qui nous a vendus. Contre récompense !

Alors, qu’est devenu le magot saisi par les félons de la Brise de Mer ? Dilapidé en champagne et bombasses en bord de mer ? Pas forcément, en tout cas pas longtemps.

Jacques Follorou, spécialiste du gang corse, affirme que, sur 125 millions de francs français de l’époque, seuls deux ont été retrouvés.

Le procès parisien de 2004, après quatorze ans d’enquête, accouchera hélas d’une souris. Pas de témoin, pas de butin, pas même de Michel Ferrari pour comparaître. Tous les « méchants » ont des alibis en béton.

Des alibis qui ont dû coûter bonbon… Méthodes traditionnelles du gratin du crime organisé : investissements divers et parasitage des services de l’État, corruption et autre menaces. Sans parler des indépendantistes armés, qui sait ?

Vingt-quatre ans après, Michel Ferrari, quand il peine à boucler ses fins de mois, s’en veut encore. Reconverti – avec un certain succès – dans le commerce de l’onglerie, il pâtit désormais de la concurrence, toujours à l’affût d’un nouveau filon. Avec sa fine moustache, ses biceps toujours saillants sous ses T-shirts de djeuns, Michel sait surtout qu’il doit son salut à sa femme et à son fils, qui l’attendaient à sa sortie de prison.

Nicolas BURGY

Journaliste à la Radio Télévision Suisse.

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1. Rendons hommage à l’excellent travail de contre-enquête de certaines émissions de télévision, et notamment celui de la RTS (Radio Télévision Suisse), qui ont fait participer l’auteur et les policiers en charge de l’enquête.

PROLOGUE

La date a fait histoire. Le 25 mars 1990, à Genève, une bande de malfaiteurs s’enivrait de la récolte du plus gros magot jamais volé à une banque européenne. Avec la clé de la fortune s’ouvraient pour eux les portes de la vie. Ils allaient jouir de cette formidable force créatrice qui rallie, produit, libère, soulage, corrompt. Ils allaient trôner au-dessus de l’arène au fond de laquelle se courbe le monde… et dans laquelle je suis resté les baskets dans la poussière, moi, Michel Ferrari, initiateur de ce tapage doré.

Au terme de ce que la presse suisse et internationale a appelé « le casse du siècle », j’ai été présenté comme le « cerveau de l’opération ». Hélas, mes célèbres neurones ne m’ont pas aidé à choisir mes complices­, puisqu’ils sont partis avec le magot sans me laisser un centime…

Le butin dérobé ? 31 millions de francs suisses, plus de 20 millions d’euros. Une coquette somme : plus de deux cent vingt kilos de billets. Le plus gros vol en espèces jamais réalisé dans une banque européenne au XXe siècle. Je parle ici d’argent « véritablement volé », c’est-à-dire non retrouvé par la police.

L’affaire a surtout fait scandale parce que nous avions attaqué un véritable molosse de la finance mondiale, la plus grande banque du pays, à savoir l’Union de banques suisses.

Eh non, je n’ai jamais eu honte de cet extraordinaire pactole. J’avais mes rêves, et le système avait ses torts… ce qui ne m’empêche pas de reconnaître mes responsabilités. Le code civil s’applique à tout un chacun en fonction de ses actes. Il se moque bien des motivations ou des intentions, cela ne me choque pas.

Mais des antécédents comme les miens vous reviennent toujours à la figure. Au mois de mai 2004, deux journalistes français, Jacques Follorou et Vincent Nouzille, publient Les Parrains corses. Leur histoire, leurs réseaux, leurs protections1. Par curiosité, j’achète le livre. En le parcourant, je trouve un lexique. Quel choc ! À la lettre F, je découvre mon nom écrit en toutes lettres, alors que je n’ai jamais eu, avant cette affaire, de véritables relations avec le milieu corse…

Qu’y faire ? Le passé peut resurgir à tout moment. Et, avec lui, la sourde fermentation de mes souvenirs se ravive. Tout me revient : le coup, l’arrestation, la prison, les parloirs, les humiliations. Et ma haine pour les personnes qui m’ont trahi : les Corses. Ces vulgaires voleurs de bagnoles sans un gros coup à leur actif, sauf le mien. Ceux-là mêmes avec qui je devais partager la moitié du butin, ma part s’élevant à 15 millions de francs suisses (soit 10 millions d’euros). Ces malhonnêtes dans la malhonnêteté.

Bien sûr, même s’ils m’avaient donné ma part de magot, j’aurais pu me faire arrêter. Mais la prison quand des millions vous attendent n’a pas le même goût ! Vos angoisses quant à l’avenir disparaissent. Vous sentez déjà l’air de la liberté, cet air duquel ils m’ont privé pendant des années. Par instants, j’ai rêvé de les croiser, et de les charger devant la justice… Mais, finalement, j’ai décidé, pour me venger, de laisser faire la « loi du milieu », autrement plus expéditive. La preuve : deux jours après son acquittement dans le « casse du siècle », le Corse Alexandre Chenevière a été surpris dans un guet-apens à Mimet, dans les Bouches-du-Rhône. Il se rendait au domicile de l’un de ses enfants. Une dizaine de balles de 9 mm ont été tirées par une ou plusieurs personnes dissimulées dans des fourrés autour de la maison. Grièvement blessé, touché de quatre balles dont une à la tête, il a été hospitalisé au nord de Marseille. Il est décédé en 2009.

Pour ma part, je n’ai plus rien à perdre ou à gagner dans cette histoire. Le pognon est parti sur « Oubliland », et je ne le reverrai jamais. Pratiquement toutes les personnes sont mortes ou innocentées par la justice, ce qui limite les risques de représailles.

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1. Éditions Fayard.