DU MÊME AUTEUR

Deux hommes pour un fauteuil. Chronique de la cohabitation, 1997-2001, Fayard, 2001

La Madone et le Culbuto ou l’Inlassable Ambition de Ségolène Royal et François Hollande (avec Carl Meeus), Fayard, 2006

Ségolène Royal, l’insoumise (avec Carl Meeus), Fayard, 2007

À Gilles,
Pour Antoine et Grégoire

Introduction

« En fait, il a peur. » Combien de fois ai-je entendu cette sentence au cours de conversations à bâtons rompus entre confrères ? Ces discussions qui meublent les interminables attentes des spécialistes de la vie politique : des sorties de réunions dont nous sommes exclus aux longs trajets qui commencent à l’aube pour aller entendre un discours prononcé à la mi-journée, en passant par ces fins de dîners entre journalistes qui ne sont pas intimes mais nourrissent la même passion pour ces animaux si singuliers. C’est là que nous parlons et plaisantons sans tabou, sans retenue. Comme les carabins qui s’esclaffent de blagues sordides, pour conjurer la mort. Nous parlons à tort et à travers, pour mieux maîtriser, ensuite, nos réflexions et nos questions. C’est dans ces moments-là que s’élaborent les hypothèses et les analyses les plus folles, les plus drôles, les plus intuitives aussi. Et pourquoi pas les plus justes ?

Car souvent, dans l’écume de ce verbiage inconséquent, une remarque revient. « En fait, Sarko a peur. » Peur du complot. Peur de la trahison. Peur de perdre ses fidèles. Peur de ne pas être à la hauteur. Peur de commettre de lourdes erreurs, comme ses prédécesseurs à l’Élysée. Peur de la presse, qu’il finit par abhorrer. Peur d’aller en banlieue où s’agitent des « mineurs de plus d’un mètre quatre-vingts ». Peur de perdre sa femme, sa moitié. Peur de lui-même.

Ce raisonnement vous paraît choquant ? Farfelu ? Incongru, concernant un homme qui ne cesse d’afficher sa puissance ? À moi aussi. Pourtant, en interrogeant les politiques qui le connaissent bien sur l’isolement dont il commençait à être victime à l’Élysée, j’ai vu se confirmer cette lecture des premiers pas du sarkozysme présidentiel. J’ai enquêté plus précisément sur le sujet, le raisonnement tenait toujours. La peur peut être un carburant performant, à condition de maîtriser sa vitesse.

Alors, autant tout poser sur la table. Analyser, décortiquer, confronter cette hypothèse aux faits, pour en arriver à ce livre. Telle une intime conviction, il se forge autour de moments forts, de signaux qui s’additionnent, et de confidences, plus nombreuses et franches que je l’imaginais, de la part de ceux qui croient sincèrement en lui mais doutent de certaines de ses postures.

Il ne s’agit pas de s’ériger en pamphlétaire pour railler les supposées fragilités d’un président qui se veut si fort. Le projet serait stérile. Il ne ferait que renforcer la conviction des pro- et anti-Sarkozy, pour lesquels la politique est encore un sujet digne d’intérêt.

Il n’apporterait aucun élément nouveau face à la crise politique qui ronge notre vieille démocratie. Les Français ne votent plus, soit parce qu’ils croient que les responsables politiques n’ont plus aucun pouvoir sur les vrais enjeux de notre siècle, soit parce qu’ils sont persuadés qu’ils n’en ont pas la volonté. Soit les deux. Nicolas Sarkozy a suscité l’intérêt, positif ou négatif, en 2007, parce qu’il promettait les deux. Il avait et la volonté et le projet. Ceux qui ont voté pour ou contre lui, pour l’aider à accomplir son programme ou au contraire pour aider celle qui s’y opposait, n’ont pas douté de sa sincérité. Or, le malentendu des premiers pas a donné le sentiment que, en réalité, Nicolas Sarkozy avait dissimulé ses véritables ambitions.

Chercher à comprendre les ressorts intimes du président de la République, c’est tenter d’approcher la sincérité du personnage qui mène le destin de notre pays. S’il est sincère, sa présidence aura un sens. Contestable ou non, elle aura un sens politique. S’il ne l’est pas, ses éventuels successeurs devront s’efforcer sincèrement de renouveler les valeurs politiques pour pallier ce manque.

L’un des admirateurs de Nicolas Sarkozy, après m’avoir livré des éléments peu complaisants à son endroit, me fit cette remarque : « C’est intéressant comme sujet de livre. Ça peut l’amener à se poser des questions sur lui-même. Il déteste ça, mais ça peut lui rendre service. »

J’avoue que je ne me suis pas posé cette question.

L’illégitime

Tous les soirs, l’enfant attend sa mère en haut de l’escalier. Elle rentre tard. Ses deux frères sont avec la jeune fille qui les garde. Pas Nicolas. Il attend en haut des marches. Il veut être le premier à l’embrasser. Être rassuré. Elle est revenue, elle est là, elle est près d’eux. Elle ne les a pas abandonnés.

D’où lui vient cette peur ? Cette crainte qu’un jour il n’espère en vain le son du pas maternel. Cette même crainte qui le saisit l’été, quand elle confie ses trois garçons à ce couple d’amis, qui a une si belle villa, dans le golfe de Saint-Tropez. Elle se débrouille comme elle peut. Elle doit travailler, mais elle tient à ce que ses trois fils profitent de belles vacances. Quand elle repart, elle est convaincue qu’ils vont être heureux. Elle les imagine débordants de gaieté. Mais lui, à peine les a-t-elle quittés qu’il est envahi par le cafard. Il n’a envie de rien. Il se sent comme illégitime. Illégitime en ce lieu. Illégitime par rapport aux autres. Illégitime comme se sentent les enfants abandonnés.