Abîme
J'ai toujours aimé les vertiges et les chutes. Tout ce qui est lisse et plat m'ennuie, et je ne trouve matière à réfléchir et à créer que dans l'accident, les ruptures, le bord extrême des gouffres. Tous mes romans cheminent sur des frontières, des arêtes, dans la proximité des abîmes qui guettent nos existences à la façon des sirènes d'Ulysse. Cette histoire d'images n'échappe pas à la règle et il m'a fallu vaciller longuement pour parvenir à la dire et à la filmer.
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Pour autant, l'abîme est une notion très littéraire. C'est un nom pour les poètes, un joli mot tout frotté de mythologie. On pourrait presque s'en moquer. Alors que le mot abîmé nous est immédiatement familier. On pourrait l'inviter dans notre cuisine ou dans une conversation de tous les jours. On l'emploie davantage pour les choses, les objets, que les êtres humains. Est-ce à dire que nous ne supportons pas l'abîme, que nous n'y résistons pas ? Et que dès lors que nous y chutons, nous ne pouvons y survivre ?
Le personnage de Juliette s'est laissé chuter. Elle est descendue au plus bas, volontairement. Elle a tourné le dos à tout soleil, pensant qu'elle ne le méritait plus, et pourtant, c'est bien vers le soleil que les autres la convaincront d'aller de nouveau.
Absence
Il y a longtemps que je t'aime est une photographie de l'absence, des absentes et des absents. Je voulais réfléchir sur cette anti-matière de nos vies. Comment parvenons-nous à vivre dans l'absence des êtres aimés, que cette absence soit brutale et définitive comme celle que la mort installe ou qu'elle soit temporaire, passagère. Pierre, son fils, est mort, et Juliette reste en vie, mais toute sa vie, elle la centre sur cette absence, choisissant elle-même de s'absenter de toute forme d'existence sociale, familiale, humaine, amoureuse pour n'être plus qu'un être creusé par le vide et la perte. Victime de l'absence majeure de l'être qu'elle chérissait le plus, elle devient elle-même l'absente pour Léa, sa jeune sœur, sans se soucier des conséquences que ce retrait provoquera.
Mais au-delà de ces pertes, ce qui m'intéressait aussi, c'était de savoir si nous parvenons à combler l'absence, à retrouver l'autre, à aller de nouveau vers lui. Juliette et Léa, séparées durant quinze années, sont devenues des étrangères l'une pour l'autre, alors qu'elles ont été tellement proches jadis. Il se trouve que dans le film, c'est un drame qui provoque cet éloignement et cette rupture, mais parfois, c'est le cours de la vie, dans ce qu'il a de plus simple et de plus banal, qui nous éloigne de ceux qui nous ont été proches, qui nous en sépare, qui nous fait disparaître les uns aux autres, et lorsque, plus tard, des années après, la même vie dans ses caprices et ses accès d'ironie nous réunit de nouveau, souvent la gêne s'installe après les premiers mots, nous ne savons plus trop quoi nous dire, comme si le temps avait agi à la façon d'un rasoir pour séparer à jamais ce qui avait été uni, et qui ne peut en aucun cas être recollé.
Accent
Lors de notre première rencontre, je me souviens que Kristin m'a demandé si son accent anglais ne me posait pas de problème, me disant qu'apparemment, il gênait des metteurs en scène en France. Je lui ai répondu que dans les films de Claude Sautet, personne n'était dérangé par l'accent allemand de Romy Schneider, que l'histoire n'expliquait jamais d'ailleurs. Au long des jours de tournage, j'avais fini par oublier totalement l'accent de Kristin, et puis, par moments, je ne sais pas à la faveur de quelle circonstance, il revenait dans mes oreilles, à la façon d'une mélodie agréable, étrange et mystérieuse, et je me disais alors qu'il accentuait la complexité et le décalage du personnage de Juliette.
Accident
Nous avons frôlé le pire lorsque la patte soudée d'un gros projecteur d'une dizaine de kilos a cédé et qu'il est tombé sur la tête de Christophe, un électricien qui se trouvait juste en dessous. Miraculeusement, il s'en est tiré avec une grosse bosse, quelques points de suture. Un petit rien pour un rugbyman comme lui. Aujourd'hui, et sans doute pour sa vie entière, il garde gravé sur son crâne un souvenir d'Il y a longtemps que je t'aime.
Acteurs
Il me serait, je crois, très difficile de tourner avec des acteurs que je n'apprécierais pas sur le plan humain. J'ai besoin de ressentir une forme de camaraderie, de proximité avec les acteurs. C'était en tout cas très net sur ce film. Peut-être parce que les rôles masculins principaux incarnés par Serge, Laurent, Frédéric, Mouss, Olivier témoignent tous les cinq d'une facette de moi-même, et qu'il aurait été impossible de tenir totalement à distance ces miroirs vivants, sans entretenir avec eux une complicité réelle, quand bien même je la savais temporaire. Ce qui est curieux, c'est que je n'étais pas du tout dans le même état d'esprit, ni le même besoin, avec les actrices. Je les voyais avant tout comme des comédiennes, alors que pour les acteurs, je voyais des hommes, qui avaient le même âge que moi, avec lesquels je discutais, je buvais un verre, et que je faisais passer de temps à autre devant la caméra. Mais ces passages de l'autre côté ne constituaient pas à mes yeux l'essentiel dans notre relation.