eISBN 978-2-8100-0610-6

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Vendredi 11 octobre 2013.
Saint-Pée-sur-Nivelle.

 

 

Mon cher Thierry,

 

Je continue à suivre le foot et le rugby depuis le Pays basque, où je me suis marié avec Régine. «  Madame Régine », comme tu disais en rigolant, est devenue madame Larqué. Ta femme Françoise était de la noce. Sa présence m’a réchauffé le cœur. J’ai pensé à toi ce jour-là, comme je pense souvent à toi. Le Mondial qui se profile me rappelle cet Euro 2012 que nous n’avons finalement pas commenté ensemble. Je ne t’oublie pas. Le public ne t’oublie pas. Il me le confie régulièrement à la radio, dans la rue, dans les couloirs de la télévision. Un quart de siècle à arpenter tous les deux les stades de France, d’Europe, du monde entier, ça en fait des souvenirs ! À la télé, les téléspectateurs nous voyaient furtivement derrière nos micros au coup d’envoi, à la mi-temps et à la fin des rencontres. Ils nous entendaient tour à tour nous enflammer, nous indigner, nous amuser, lorsque nous commentions. J’avais envie de les entraîner un peu plus loin en notre compagnie, dans les coulisses de notre aventure, pour prolonger avec eux ces moments d’amitié et de complicité qu’ils partageaient avec nous. Je voulais aussi faire le point sur ce sport qui nous a tant fait vibrer. À quoi ressemble-t-il en 2014 ? Qu’en aurions-nous dit toi et moi ?

 

Je vais essayer de nous raconter un peu…

Prologue

Quand je me suis fait licencier de TF1 à la fin de l’été 2010, après la calamiteuse Coupe du monde des Bleus en Afrique du Sud, je me souviens avoir déclaré dans une interview que rien ni personne, pas même toi, Thierry, ne me pousserait à refaire de la télé. Une déclaration qui a laissé ma femme dubitative…

 

Mais cette compétition, tant sur le plan sportif que professionnel, ne m’avait pas procurée de grandes émotions. C’est le moins qu’on puisse dire ! Aux commentaires sur TF1, notre duo avec Christian Jeanpierre ne décollait pas. Il ronronnait doucement. Pour être objectif, on était proche de l’encéphalogramme plat. Nous avions pourtant eu notre période d’adaptation, mais in fine, le mélange avait viré au «  robinet d’eau tiède ». Il n’y avait pas d’enthousiasme, même si, à notre décharge, les matchs n’étaient pas tous bons, et je ne parle pas seulement de ceux des Bleus. Avec l’ensemble de l’équipe de TF1, nous n’avons pas trouvé le tempo, ni pendant les retransmissions ni en dehors. Peut-être étais-je moi aussi responsable de cette ambiance morose. Je mets toutefois à part ma relation avec Arsène Wenger. Nous dînions souvent ensemble après les matchs et c’était toujours agréable d’échanger avec lui ; des bouffées d’oxygène dans un climat bien gris qui tranchait tellement avec les grands moments que j’avais pu vivre en 1982, 1986, 1994 ou 1998 ! Oui, ce Mondial au pays de Mandela ne m’a procuré aucun plaisir, même si ce n’était pas le bagne et que je suis bien conscient que beaucoup d’amateurs de foot auraient tout de même bien échangé leur place contre la mienne. En rentrant en France, je n’étais vraiment pas satisfait du mois écoulé. Mais je n’ai eu ni le temps ni l’envie de ressasser. Chez moi, au Pays basque, je me suis remis à la tâche et occupé activement des mes stages de foot car l’activité bat son plein en été.

 

Un matin de juillet 2010, je traverse la cour du collège de Saint-Jean-de-Luz, quand mon portable se met à sonner. C’est Édouard Boccon-Gibod, le président de TF1 Production. Il souhaite que l’on se voie pour «  évoquer ma situation ». Que de dribbles inutiles alors que la chaîne veut seulement siffler la fin de la partie… Cinq ans après toi, Thierry, c’est donc de moi dont TF1 entend à présent se séparer. Je réponds à mon interlocuteur que je suis bien occupé ici et que l’on peut sans doute s’éviter de dépenser le prix d’un billet d’avion aller-retour pour Paris. «  Faites-moi une proposition d’ici vingt-quatre heures », dis-je. Le lendemain, à l’heure dite, nouveau coup de fil. Boccon-Gibod m’annonce cash le montant de mes indemnités, qu’il arrondit au millier d’euros supérieur. Je donne mon accord. Mon licenciement a donc duré deux minutes et quinze secondes, le temps de deux brèves conversations téléphoniques ! Je n’ai pas essayé une seule seconde de défendre mon cas auprès de la chaine. Je savais que la décision avait été prise par le PDG, Nonce Paolini, de manière unilatérale. Les dés étaient pipés. Inutile de ramer. TF1 avait tranché, je subissais, bon gré, mal gré, sans aigreur. Depuis ce jour, je n’ai pas reçu de nouvelles de la direction, seulement un texto de Christian Jeanpierre. C’est la règle du genre.

 

À ce moment-là, je n’ai pas de plan B. En vingt-sept ans passés à TF 1, aucun autre diffuseur ne m’a sollicité. Je ne m’imaginais pas qu’une chaîne viendrait me chercher. La télé pour moi à cet instant, c’était bel et bien terminé ! D’ailleurs, quand j’ai regardé le premier match diffusé sur TF 1 après mon départ, ça ne m’a fait ni chaud ni froid. Je n’avais aucune nostalgie, aucune amertume, aucune animosité en entendant commenter Lizarazu et Jeanpierre. Étonnamment, ma femme, elle, semblait se soucier de mes réactions. Elle était malheureuse devant la télé et m’a demandé plusieurs fois, comme pour s’en assurer, si je n’éprouvais réellement rien de particulier à ne pas être moi, derrière le micro. Mais non ! De toute façon, si je lui avais dit que j’allais immédiatement «  rechausser les crampons » pour de nouveau sillonner la planète et commenter des matchs, ça ne l’aurait sans doute pas fait rire. Mais en lui confiant que je n’en avais plus envie, elle s’inquiétait. Le paradoxe féminin, sans doute… À sa décharge, je conçois que la situation pour elle était compliquée. Moi, j’ai tendance à savoir tourner la page pour de bon. Je pense que c’est plutôt un atout d’ailleurs. Cette position m’a notamment servi quand j’ai arrêté ma carrière de footballeur professionnel. Et si j’arrêtais là les commentaires à la télé, il me restait RMC, ce qui était mieux qu’une compensation. Et puis rapidement, C Foot, l’éphémère chaîne de la LFP et L’Équipe TV, m’ont fait des propositions. J’ai donc repris les chemins des studios, mais pas des stades.

 

On a tendance à l’oublier, mais en 2010, tu as toi aussi couvert la Coupe du monde pour M6. Tu envoyais des petits reportages et faisais des plateaux pour la chaîne. Tu étais content de vivre l’événement de l’intérieur, même si tu ne commentais pas les matchs. Mais l’Afrique du Sud, ce n’est pas le Lichtenstein ou la principauté d’Andorre ! C’est un pays gigantesque. Je commentais des matchs tous les deux ou trois jours dans des villes, des provinces, des régions différentes et très éloignées les unes des autres. Il était donc difficile pour nous de se voir. Nous avons dîné ensemble au Cap, un soir. Et puis le fameux jour de la grève des joueurs et de l’épisode du bus à Knysna, tu m’as inévitablement appelé… et insulté ! Je t’ai rappelé que je n’y étais pour rien, tu n’as pas pu t’empêcher de t’emporter au téléphone. Tu as vécu cet épisode comme un affront terrible fait au sport et à nos couleurs. C’était une honte pour toi. Tu voulais renvoyer les joueurs en France «  à coups de pied au derrière ».