PREMIÈRE PARTIE
Métamorphoses
CHAPITRE PREMIER
La formation de la personnalité
Werner Maser écrivit, à l'automne de 1971, qu'il était désormais possible de retracer sans lacunes la vie d'Adolf Hitler12. Cette affirmation était prématurée, car, depuis lors, d'autres documents ont été découverts, et bien d'autres études ont paru. De plus, la discussion entre « hitlérologues », la publication d'ouvrages psychanalytiques exposant des thèses parfois contradictoires et fondées souvent sur des évidences lacunaires ou contestables ont soulevé une série de problèmes et posé des questions nouvelles concernant la genèse de la personnalité d'Hitler et les sources de ses idées principales. Tout cela rend nécessaires certaines réévaluations. Le débat s'est cristallisé autour de quelques grands thèmes, tels ceux de ses ascendants, de ses relations avec ses parents, de l'influence du contexte autrichien, de ses années viennoises et munichoises, thèmes autour desquels nous nous proposons de reconstituer son enfance et sa jeunesse.
Peut-on déjà y déceler des indices, les causes probables de troubles psychiques et nerveux ? Peut-on notamment percevoir chez lui narcissisme et égocentrisme, ainsi que les signes avant-coureurs de cette déshumanisation et de cette «pétrification» progressives qui sont si caractéristiques de sa personnalité ?
En écrivant Mein Kampf, Hitler a voulu « rendre compte au peuple allemand» de sa vie et de ses idées. Cette autobiographie ne commence pas, comme c'est en général le cas, par l'indication du jour et de l'année de sa naissance, mais par celle du lieu. Et il se félicite que celle-ci soit survenue à Braunau-sur-Inn, ville située à la frontière de ces deux États dont la « réunification » devait lui apparaître comme la tâche primordiale offerte à la jeunesse et qui devait être poursuivie par tous les moyens. Le futur dictateur annonce donc dès le début la couleur de ce qui allait devenir un de ses principaux leitmotive : réunir le même sang dans le même Reich. Tant que ne sera pas créé un seul État pour tous les Allemands, ceux-ci n'auront pas le droit de présenter d'autres revendications, notamment coloniales. La petite ville de Braunau, « allemande par le sang et autrichienne par la nationalité », lui apparaissait comme le symbole de sa mission. Même s'il nous faut prendre cette réflexion comme la simple expression de ses préoccupations au moment où il se trouvait emprisonné, elle nous éclaire sur les objectifs qu'il se donnait dès 1924-1925 et sur l'usage qu'il allait faire de ses origines.
Pour le reste, Adolf Hitler admet qu'il ne se souvient plus de grand-chose en ce qui concerne les premières années de sa vie, ce qui n'a rien d'anormal. Pourtant, ce sont des années cruciales pour la formation d'un être.
Pour reconstituer cette « préhistoire », il faut se pencher sur sa famille, le milieu dans lequel le nouveau-né a ouvert les yeux, fait ses premiers pas, éprouvé ses premiers plaisirs et ses premières peines.
LES ASCENDANTS
La grande inconnue, c'est le grand-père paternel ; il s'agit là d'une de ces ironies de l'histoire : l'homme qui devait exiger plus tard de chaque Allemand qu'il puisse certifier que ses parents et grands-parents étaient des aryens ne fut jamais en mesure de fournir une telle preuve ! Pareille carence n'a pas manqué de piquer les curiosités, d'attiser les spéculations et les médisances. Les adversaires politiques, les historiens et jusqu'aux proches du Führer (lui-même s'en est préoccupé) ont essayé de percer le mystère. Malgré des recherches approfondies, on n'a aujourd'hui aucune certitude sur ce point.
Voici les faits. Le 17 juin 1837, une paysanne de quarante-deux ans, originaire de ce qu'on appelle le « quartier forestier » de l'Autriche, Maria Anna Schicklgruber, donnait le jour à un garçon dans la maison d'un fermier à Strones, dans le district de Zwette, au nord-ouest de Vienne. L'enfant, de père inconnu, reçut le prénom d'Alois. Pourquoi n'est-il pas né dans la maison du père de Maria Anna, située dans le même village, et pourquoi n'a-t-elle pas voulu indiquer le nom du père de l'enfant ? Les parents Schicklgruber, Johann et Theresia, avaient vendu leur maison à leur fils Josef en 1817 et n'y avaient gardé qu'une petite chambre. Sa mère étant morte (en 1821), il semble compréhensible que Maria Anna n'ait pas voulu accoucher chez son vieux père. Pourquoi alors n'est-elle pas allée chez son frère ? On l'ignore. Mais il semble que celui-ci éprouvait quelques difficultés financières et qu'il dut vendre la ferme quelque temps plus tard. L'enfant est donc né dans la maison de Johann Trummelschlager, un paysan qui devait devenir son parrain et qui donc pourrait avoir été le père — mais aucun indice ne semble étayer pareille hypothèse.