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Du même auteur, dans la même collection :

Sept ans plus tard

Couverture de Marc Mosnier.


ISBN 978-2-7002-4720-6
ISSN 1766-3016


© RAGEOT-ÉDITEUR – PARIS, 1999-2014.

Tous droits de reproduction, de traduction et d’adaptation réservés pour tous pays. Loi no 49-956 du 16-07-1949 sur les publications destinées à la jeunesse.

1

Jeudi 7 juillet

Une portière de voiture claqua soudain devant la maison, puis une autre. Surpris, Alex regarda l’heure sur son ordinateur portable. 23 heures. Il fronça les sourcils, aux aguets.

L’écran déversait les images étourdissantes d’un rallye automobile. Fatigué par les rugissements des moteurs, Alex avait coupé le son en attendant le début de la retransmission du marathon de Gold Coast, en Australie. Il aimait le spectacle de cette foule compacte s’élançant au signal du starter dont, très vite, les meilleurs s’extirperaient, tandis que, derrière eux, le peloton s’étirerait toujours davantage.

Quand le carillon déchira le calme qui régnait dans la maison, Alex se leva d’un bond et, en trois enjambées, gagna la fenêtre. Il eut juste le temps d’apercevoir deux silhouettes disparaître à l’intérieur.

Alors qu’il s’apprêtait à gagner l’escalier pour identifier les visiteurs, une seconde voiture s’arrêta le long de la haie. Un homme en sortit, qu’il reconnut malgré la nuit. M. Cognel. Un militaire à la retraite qui vivait trois rues plus haut, près de la nationale.

Cognel poussa le portillon, habituellement fermé à clé à cette heure, remonta l’allée de sa démarche assurée et pénétra dans la maison. Son visage était grave.

Au loin, des éclairs de chaleur zébraient le ciel.

Alex enfila un tee-shirt, ouvrit avec précaution la porte de sa chambre et descendit deux marches. Combien de soirées avait-il passées là, plus jeune, à suivre en cachette les films que ses parents regardaient à la télé ?

Cette pensée lui serra le cœur. Il avait à l’époque douze ou treize ans.

Des conversations lointaines lui parvinrent. Son père recevait les visiteurs dans la cuisine. La porte était fermée.

Alex hésita un instant à les rejoindre. Depuis que son père avait arrêté de fumer, une dizaine de jours plus tôt, il était irritable. En surgissant ainsi, ne déclencherait-il pas un nouvel accrochage ? Mais la curiosité fut la plus forte.

Il dévala l’escalier, traversa le salon sans âme. Sous ses pieds, la fraîcheur du carrelage tranchait avec l’atmosphère étouffante.

Quand il pénétra dans la cuisine, la conversation cessa instantanément et les regards se braquèrent sur lui.

Ils étaient cinq. Outre son père et le militaire, étaient présents Martin Devoges, un commercial, joueur de tennis classé, qui habitait avec sa femme et ses jumelles de six ans dans la rue voisine, Gérard Fossino, le concessionnaire Ford, qui vivait deux maisons plus loin, et Max Baetzner, un retraité hyperactif qui ne supportait pas l’idée d’être au repos forcé.

– Qu’est-ce que tu fais là ? s’étonna son père.

Plus que la surprise, ses yeux exprimaient l’agacement. Alex le fixa un instant. Son père n’était plus que l’ombre de lui-même. L’ancien athlète était désormais ventru et ramolli. Ses traits fatigués avaient dévoré son visage racé, que l’assurance et la détermination avaient depuis longtemps déserté. Seuls son regard gris bleu et sa mâchoire carrée attestaient de ce passé révolu.

– J’avais soif, la chaleur est insupportable dans ma chambre.

Sous les regards des visiteurs, Alex ouvrit le réfrigérateur, sortit une bouteille d’eau gazeuse et, avant de porter le goulot à sa bouche, demanda :

– Et vous ?

– Il y a encore eu un cambriolage, répondit son père.

– Où ?

– Chez Menello, dit son père avec gravité.

Si le cambriolage avait eu lieu chez eux, son visage n’aurait pas été plus sombre. Menello. L’ami de toujours. Aussi loin que remontaient ses souvenirs, Alex le connaissait. Et depuis toujours, tout le monde l’appelait par son nom de famille, car il refusait qu’on l’appelle Joseph, prénom qu’il jugeait ridicule.

Menello. Le seul véritable ami de son père. Il l’avait soutenu au moment de sa séparation et était, à son tour, en instance de divorce. Alex n’avait jamais véritablement accroché avec lui. Certainement à cause de sa manière de parler fort, et de hausser encore le ton quand il croyait détenir la vérité.

– Quand ?

– Nous ne le savons pas. Menello a trouvé une baie vitrée fracturée en rentrant tout à l’heure, précisa son père.

Alex attrapa une banane dans la corbeille à fruits, la pela en s’appuyant contre l’évier.

– Vous tenez un conseil de guerre ? lança-t-il d’un ton ironique.

Son père soupira en fermant les yeux, incapable de masquer son exaspération.

Depuis quand Alex ne l’avait-il pas entendu rire ? Exactement trois ans. Depuis le départ de sa mère. À l’époque, Alex terminait à peine son année de troisième.

– Un conseil de guerre, non, rectifia le militaire à la retraite, mais nous ne pouvons pas rester sans rien faire. Nous nous interrogeons.

– Qu’est-ce qu’on lui a volé ?

– Bijoux, ordinateur, télévision, appareil photo, énuméra son père, ainsi qu’un tableau hérité de ses parents, qui, paraît-il, avait une grande valeur.

– Le tableau qui était accroché dans son salon au-dessus du canapé ?

Sa question sombra dans le néant.

Alex sourit à l’idée que cette croûte ait pu susciter la convoitise de cambrioleurs.

– Tu n’as rien remarqué d’anormal ? demanda Martin Devoges, en accompagnant sa question d’un geste qui rappelait le revers.

– Euh... non, rien, s’étonna Alex, surpris par la gravité du ton employé.

Il n’avait aucune envie de se joindre à leur partie de gendarmes et voleurs. Il quitta la pièce sans ajouter un mot. Le départ du marathon était imminent.

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Ce soir-là, le vainqueur couvrit les 42,195 kilomètres en deux heures, dix minutes et une seconde, laissant le premier de ses poursuivants à plus de trois minutes. Un exploit, que le speaker loua en termes dithyrambiques.

Quand Alex éteignit son ordinateur, il était un peu plus de deux heures du matin. Il sombra rapidement dans un sommeil peuplé de coureurs, de lignes d’arrivée et de dossards trempés par la transpiration.