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LE SOMMET DE L'ESPOIR
2 septembre 2002. Séance plénière du sommet de Johannesburg sur le développement durable. La salle est archicomble pour écouter les discours des chefs d'État et de gouvernement venus du monde entier.
Une large tenture bleu océan couvre la paroi derrière la tribune. Celle-ci présente une décoration africaine que je trouve des plus sympathiques. Elle s'orne d'une série de plantes et minéraux aux formes diverses et aux couleurs éclatantes. La nature trône donc ici en maître, dépouillée des habituels drapeaux qui sont autant de symboles patriotiques, reflets d'un orgueil parfois démesuré. Le choix des organisateurs est judicieux. Voudraient-ils nous rappeler que, si chacun de nous naît dans un pays, nous n'en habitons pas moins la même Terre, ils ne pourraient faire mieux.
Jacques Chirac s'approche du pupitre, et le silence qui gagne l'assemblée reflète plus qu'une politesse convenue : il est signe d'une véritable attente. Perdu au fond de l'assistance, attentif et anxieux, me voulant le plus discret possible, je commence à faire les cent pas de long en large. L'événement qui se déroule sous mes yeux marque l'aboutissement d'années d'efforts pour faire partager les convictions auxquelles je suis attaché. Heures de conversations informelles, échanges de notes, séances de travail, tout cela va prendre sa forme officielle dans les prochaines minutes.
Je ne suis pas le seul à attendre. Depuis plusieurs jours, la rumeur s'est répandue parmi les centaines de diplomates et de journalistes présents au sommet. On murmure que les propos du chef d'État français seront à la mesure des certitudes de son auteur ; que son diagnostic sur la situation de la planète sera implacable, et ses propositions, solides. Vont-ils être déçus ?
Les membres de la délégation française ont tout mis en œuvre pour que ce ne soit pas le cas. Ils n'ont pas ménagé leur peine. À commencer par le président lui-même. Arrivé en Afrique du Sud deux jours avant la séance plénière, il a couru en soixante-douze heures un véritable marathon. Il a tenu des réunions préparatoires, mené des entretiens avec des chefs d'État et de gouvernement, rencontré des journalistes, des représentants des ONG, des homologues francophones, participé à la table ronde sur le financement du développement dans les pays pauvres, et j'en passe. Il voulait ainsi convaincre ses divers interlocuteurs et distiller ses idées dans le huis clos des rencontres préparatoires. En sont sorties une douzaine de déclarations publiques dont, à chaque fois, le moindre mot a été pesé, soupesé, analysé par le staff présidentiel.
Les trois ministres qui l'accompagnent ont eux aussi multiplié les rencontres et les séances de travail. Les diplomates et les élus, sans oublier les représentants de la société civile qui ont fait le voyage, membres d'associations aussi bien qu'industriels, n'ont pas chômé non plus. Quant à moi, j'ai découvert de l'intérieur ce qu'est une rencontre internationale, la difficulté des préparatifs, les tensions, les arbitrages incessants pour limiter la casse et aboutir à un texte final acceptable par tous. J'ai suivi les sherpas qui hissent les dossiers jusqu'à l'ultime phase du sommet, un exercice qui ne va pas de soi, c'est le moins qu'on puisse dire. Moi qui ai gravi depuis plus de vingt ans pas mal de montagnes, j'ai vite compris que ce genre de sport, pratiqué par les hauts fonctionnaires, réclame un surcroît de force et d'endurance et que, pour n'être qu'intellectuel, il n'en mobilise pas moins des énergies insoupçonnées.
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Dès les premières phrases du discours, le ton est donné. Les paroles ne démentent pas la rumeur : on est loin du politiquement correct. D'entrée de jeu, le président martèle des vérités bien senties : « Notre maison brûle et nous regardons ailleurs. La nature, mutilée, surexploitée, ne parvient plus à se reconstituer et nous refusons de l'admettre. L'humanité souffre. Elle souffre de mal-développement, au Nord comme au Sud, et nous sommes indifférents. La Terre et l'humanité sont en péril et nous en sommes tous responsables. »
Au fond de la salle, mon anxiété s'apaise, mes pas se ralentissent. Jusqu'au bout, je me suis dit : ce discours, il y aura bien quelqu'un pour le désosser, le démolir, du moins l'affadir. Pour le moment, ce n'est pas le cas. Les phrases s'enchaînent aux phrases, et je retrouve les idées qui me tiennent à cœur et pour lesquelles je me bats depuis des années. Ma part personnelle dans ce discours ? Décisive, ont affirmé les uns qui voient alors en moi le principal conseiller du président en matière d'écologie. Faible, ont répondu les autres qui en sont restés au Nicolas Hulot d'il y a vingt ans et ne veulent connaître que le baroudeur en ULM. La vérité se situe entre ces extrêmes. Alimenté par des notes et des contributions multiples, le texte de Johannesburg a été rédigé conjointement avec un diplomate qui a été en poste au ministère de l'Environnement avant de devenir membre du cabinet présidentiel, un homme sensible et érudit en qui j'ai trouvé un véritable allié. Lui aussi fait un peu figure de révolutionnaire dans son milieu. Il s'est ainsi rendu au premier forum de Porto Alegre et entretient des contacts réguliers avec ATTAC. À sa manière, il contribue à faire bouger les choses de l'intérieur, quitte à heurter par ses positions atypiques, comme la remise en cause du libéralisme ou l'attention portée à la taxe Tobin. Mais on ne se refait pas : j'aime les êtres qui ne sont pas là où on les attend.