1.
Tout était en place.
Tel un prédateur, il attendait, immobile, l’œil aux aguets.
Assis à l’écart, à la meilleure table, le sultan Tariq Omar surveillait la salle de bal. L'arrogance de son port de tête et l’ironie de son regard sombre et froid suffisaient à garder le public à distance. Par précaution, ses gardes du corps se tenaient cependant à l’arrière-plan, prêts à se jeter sur quiconque tenterait de l’approcher.
Tariq les ignorait, ainsi que les regards fixés sur lui, acceptant cette surveillance avec l’indifférence ennuyée d’un homme qui, depuis sa naissance, est l’objet de l’intérêt du public. Considéré comme un des plus beaux partis de la planète, il était poursuivi par des cohortes de femmes pleines d’espoir. Il était l’image même de l’homme de pouvoir, dur et impitoyable, et il était d’une beauté presque indécente.
Dans cette salle remplie de beaux partis, Tariq suscitait un intérêt qui touchait au délire. En général, il exploitait sans le moindre scrupule ce privilège. Ce soir pourtant, il ne s’intéressait qu’à une seule femme, et elle n’était pas encore arrivée.
Rien dans son attitude ne laissait deviner qu’il nourrissait une autre préoccupation que le bal de charité très en vue qu’il présidait. Son beau visage aristocratique était dénué d’expression, même si cette soirée cruciale était l’aboutissement de longs préparatifs.
Son but : prendre le contrôle de Tyndall Pipeline Corporation. Cet oléoduc dont la construction était déterminante pour l’avenir du Tazkash, pour la sécurité et la prospérité de son peuple, et qui devait traverser le désert. Un projet essentiel à tous points de vue : économique, environnemental et financier. Tout était en place.
Sauf Harrison Tyndall. Le directeur général refusait de coopérer et même de négocier. Tariq savait pourquoi.
Sa fille.
Farrah Tyndall. Une fille à papa riche et gâtée, noctambule, toujours à la dernière tendance de la mode. Et habituée à obtenir tout ce qu’elle voulait.
Par le passé, des semaines de négociations délicates entre l’Etat de Tazkash et la Tyndall Pipeline Corporation avaient échoué et, durant cinq longues années, les ponts avaient été rompus. C'était bien dommage, mais cela prouvait que les désirs d’une femme pouvaient influer sur le cours des affaires.
Assis à côté de lui, Hasim Akbar, son ministre des Affaires pétrolières, toussota respectueusement :
— Peut-être devrais-je faire le tour de la salle pour voir si Mlle Tyndall est arrivée, Votre Altesse ?
— Non. Si elle était là, je le saurais, répondit Tariq dans l’anglais parfait qu’il avait acquis durant ses études.
— Elle est très en retard, remarqua Hasim, incapable de dissimuler son anxiété croissante.
— Naturellement. Etre à l’heure n’est pas dans ses habitudes.
Sans aucun doute, Farrah Tyndall se trouvait quelque part dans les coulisses, prête à faire son entrée, sûre que tous les projecteurs seraient alors braqués sur elle. Après avoir passé la journée chez son coiffeur et son styliste, elle s’attendait à recueillir les fruits de leur labeur. Fidèle à l’idéal que lui avait fixé sa mère, elle ressemblait à toutes les femmes que Tariq avait connues : ses ongles, ses chaussures et sa coiffure constituaient l’essentiel de ses soucis.
— Il se fait tard. Peut-être est-elle déjà là sans que nous l’ayons remarquée ? suggéra nerveusement Hasim.
— Vous n’avez sans doute jamais eu l’occasion de voir une photo d’elle. Sinon, vous sauriez que, s’il y a un talent qu’elle possède à merveille, c’est bien celui de se faire remarquer.
— Elle est belle ?
— Sublime… Si elle était arrivée, tous les hommes seraient déjà agglutinés autour d’elle pour l’admirer.
Comme il l’avait admirée lui-même la première fois, sur la plage, dans le campement désert de Nazaar.
Sa beauté aurait suffi à aveugler n’importe qui, et il en avait été victime. Il n’avait pas su voir sa véritable nature, si frivole, mais aujourd’hui, il n’avait plus que faire de sa beauté et de son caractère. Durant les mois précédents, son équipe s’était employée à acheter discrètement toutes les actions disponibles de Tyndall Pipeline Corporation. Il ne lui manquait plus que vingt pour cent pour en prendre définitivement le contrôle et réaliser le projet de pipeline.