Chapitre premier
LES TENDRES ANNEES
avant l'arrivee du gouverneur
(1751-1756)
Si l'enfant est le père de l'homme, comment savoir les premières impressions, les attachements, les frustrations et les chagrins de ce temps dont on perd la mémoire ?
Dans une autobiographie1 écrite à l'âge de dix-neuf ans, Ferdinand a ramassé quelques informations et les miettes de souvenirs qu'il garde encore de ce temps-là. Né à Parme le 20 janvier 1751, il est le fruit des retrouvailles entre son père et sa mère après six ans et demi de séparation pour cause de guerre de Succession d'Autriche. Aussitôt, comme c'est l'usage, il est confié au lait des nourrices et à une sous-gouvernante qui prend soin de lui, la comtesse Marazzani, laquelle rend compte à la marquise de González, la redoutable gouvernante déjà nommée. De ses six premières années, il ne retient comme tout un chacun que très peu de choses, mais souvent essentielles : les jeux et disputes avec sa petite sœur Louise, de onze mois sa cadette, la compagnie des gardes du corps, l'arrivée pour l'anniversaire de ses quatre ans d'un jésuite français, le père Thomas Fumeron2, chargé de son instruction religieuse et de lui apprendre à lire. Alors que l'acquisition de la lecture se révèle laborieuse, il a tout de suite goûté l'histoire des saints, les images pieuses et les reliques. « Je me souviens, dit-il, combien j'avais la foi, bien que petit3. » Ce n'est donc pas un hasard si les deux souvenirs marquants qui subsistent en lui de cette époque sont assimilés en quelque sorte à deux miracles. Il raconte que le père Fumeron lui ayant donné une image de saint Louis de Gonzague, il l'embrassa et se recommanda à lui avec force pour apprendre à lire et, « le même jour, je commençai à lire correctement ». Un peu plus âgé, alors qu'il mange des caramels, il en avale un entier qui se coince dans sa gorge et lui cause une horrible douleur. « Je demandai tout de suite à la gouvernante Marazzani une certaine relique et à peine l'avais-je en main que, me la posant sur la gorge, la douleur cessa immédiatement4. » Ces souvenirs fondateurs, qui montrent « combien fut grande la divine miséricorde » à son égard, l'emportent sur tout le reste. De ses parents il n'est pas question, sinon la mention d'un voyage en France de sa mère dont il a oublié l'année du départ et celle du retour. Pas un mot non plus de sa grande sœur Isabelle qui veillait sur lui en l'absence de leur mère.
Pourtant le cercle familial nous livre de précieuses informations sur l'histoire de sa prime enfance. Ses relations épisodiques et parfois lointaines avec ses parents ont bien sûr laissé des traces. Même si l'usage détourne le père du petit enfant, la personnalité du prince régnant n'est pas sans conséquences sur le fils. Bien qu'il ait fait l'objet de portraits contrastés, les historiens s'accordent sur plusieurs points. Don Philippe est d'abord le fils chéri de sa mère, la puissante et dominatrice Elisabeth Farnèse. Elle a imposé sa loi à son fils comme à son mari, le faible, libidineux et lugubre Philippe V5. C'est elle qui a poussé son fils à s'engager dans la guerre de Succession d'Autriche (dont il ne sera en vérité qu'un spectateur) pour récupérer le duché de Parme qui appartenait aux Farnèse. Enfant extrêmement soumis, il a tenté, tant bien que mal, de satisfaire aux désirs de gloire et de puissance de sa mère, même si ce n'étaient pas les siens. Epicurien et plutôt couard, il n'est pas dévoré par l'ubris. Pourtant, au dire de l'ambassadeur de France à Madrid en 1738, le jeune homme6, qui doit épouser Louise Elisabeth dans un an au plus tard, a tout pour plaire : « On ne voit en lui aucun défaut de principes ni d'éducation. Il doit tout à son heureux naturel. Il est doux, poli, affable ; il a le cœur bon, un caractère aimable... beaucoup de goût pour la lecture. Il s'est fort appliqué à toutes ses études et y a très bien réussi, mais particulièrement aux mathématiques, aux fortifications et à tout ce qui a rapport à la marine... Outre la langue espagnole, il sait la latine, la française, l'italienne et même l'anglaise. Sa figure est charmante, sa physionomie intéressante, son humeur toujours égale et fort gaie... Il serait à désirer qu'il se fît moins une affaire importante de sa parure et de ses ajustements7. »