1.
De la route principale, on ne voyait pas la maison. Kristie était passée souvent à cet endroit sans s’apercevoir que derrière les murs couverts de lierre se cachait une importante propriété, abritée par des arbres vénérables.
La demeure, basse et large, semblait avoir été agrandie au fil des siècles, ce qui aboutissait à un étonnant mélange de styles. L'intérieur, meublé sobrement mais avec un goût exquis, avait encore plus de charme. Loin de ressembler à un musée comme on aurait pu s’y attendre, il révélait par des indices aisément repérables — un journal ici, un livre là, une veste jetée sur un dossier de chaise — que c’était un endroit où l’on vivait.
— Felicity aimerait que le mariage ait lieu en été, n’est-ce pas, chérie ?
Kristie se retourna au moment où une jeune fille en fauteuil roulant entrait dans la pièce. Cheveux sombres somptueux, yeux gris magnifiques, elle était d’une beauté stupéfiante et elle souriait, l’air heureux, malgré son handicap.
— Au début de juin, le jour de mon anniversaire, répondit-elle. Je ne trouve pas de date plus parfaite.
— Chérie, je te présente Kristie Swift, la dame dont je t’ai parlée.
— Celle qui va prendre les choses en mains et tout organiser pour le grand jour ?
Felicity fit rouler son fauteuil jusqu’à Kristie et lui tendit la main.
— Vous êtes la bienvenue, dit-elle. Vous ne pouvez savoir à quel point c’est un soulagement pour ma mère de n’avoir à s’occuper de rien. Elle est dans tous ses états, la pauvre.
Elle avait prononcé ses dernières paroles dans un chuchotement et avec, dans le regard, une lueur espiègle qui lui donnait l’air d’une adolescente, alors que, Kristie le savait, elle venait de fêter son trentième anniversaire.
— Mon frère n’est pas encore là ? demanda-t-elle en orientant son fauteuil vers la fenêtre d’où l’on découvrait la longue allée conduisant à la maison.
— Il est en route, affirma sa mère. Il ne devrait pas tarder. Pourquoi ne prendrions-nous pas un verre en l’attendant ?
A l’adresse de Kristie, elle poursuivit :
— Le père de Felicity est mort il y a plusieurs années. C'est mon fils qui prend en charge les événements comme celui-ci. Je ne sais pas ce que je ferais sans lui.
Avec ses cheveux gris argent à la coupe soignée et sa peau à peine ridée, Mme Mandervell-Smythe avait beaucoup d’allure.
— Tu serais obligée de te trouver un autre homme, suggéra Felicity. Les candidats ne manquent pas.
— Mais aucun qui arrive à la cheville de ton père.
— Je crains que cette perle rare n’existe pas. Papa était quelqu’un d’exceptionnel. Il n’empêche que j’aimerais vraiment que tu rencontres quelqu’un qui te plaise, maman. Je n’aime pas te voir seule. Ah ! Le voilà enfin !
La mine excitée, Felicity fit pivoter son fauteuil et quitta le salon.
Mme Mandervell-Smythe sourit avec indulgence.
— Felicity adore son frère. Mais comme il vit et travaille à Londres, elle ne le voit pas très souvent.
Quelques instants plus tard, les deux jeunes gens pénétrèrent dans la pièce, le frère poussant le fauteuil de sa sœur. Dès que les yeux du nouveau venu se posèrent sur Kristie, elle eut l’impression d’être traversée par un courant électrique. Sa gorge s’assécha, son cœur manqua un battement.
Puis l’attention du visiteur se reporta sur sa mère. Tandis qu’il la saluait, Kristie eut le loisir de l’observer. C'était un homme extrêmement séduisant, doté des mêmes cheveux sombres, des mêmes yeux gris intenses que sa sœur, et d’un charisme hors du commun.
— Voici Kristie Swift, dit Mme Mandervell-Smythe. Je l’ai chargée d’organiser le mariage de Felicity. Kristie, je vous présente mon fils, Radford.
— Je vous plains ! plaisanta-t-il en se tournant de nouveau vers la jeune femme. Ma sœur a la réputation de changer d’idée tous les quarts d’heure.
Kristie n’écoutait plus. Radford ! Radford Mandervell-Smythe ! Ou Radford Smith comme sa sœur avait l’habitude de l’appeler. Radford n’était pas un prénom courant. Il ne pouvait s’agir d’une coïncidence. Le sourire qu’elle arborait s’évanouit. Son visage se figea et elle n’arriva pas à se résoudre à toucher la main qu’il lui tendait.