DIEU A FINI LE MONDE, il a ses cent cinquante trimestres, il peut enfin prendre sa retraite.
Il loge maintenant avec saint Pierre au dernier étage d’une grande tour, près du ciel, au-dessus des nuages et de ses locataires, les hommes.
Son logement est somptueux, meublé en style Louis XV et très confortable. Il a un salon de musique, un fumoir, une bibliothèque avec plein de livres en latin, un home cinéma, une piscine intérieure, une salle de sport et une grande terrasse avec des arbres.
Mais Dieu s’ennuie.
Depuis qu’il a son parkinson saint Pierre refuse de jouer au mikado, alors ils jouent aux dominos, sans entrain. Dieu n’aime pas beaucoup les dominos.
Chaque soir, c’est un rituel, il se met à genoux, il déroule un petit tapis sur le sol, pose son oreille dessus et écoute. Et chaque soir son visage se crispe, il entend les voisins du dessous qui s’amusent. Le rire des femmes surtout lui est intolérable.
Dieu est jaloux des hommes. Leur bonheur lui fait mal.
– Vous les avez trop gâtés. Fallait pas leur faire le paradis terrestre, lui reproche saint Pierre.
– Faut me comprendre, quand j’ai eu fini Adam et Ève, j’étais gâteux, c’étaient mes premiers, j’étais fier, je trouvais que je les avais bien réussis. Ils étaient jeunes, ils étaient beaux, ils étaient tout nus, ils m’ont attendri, alors j’ai décidé de leur offrir le paradis sur terre. J’ai été trop bon.
– Trop bon trop con.
– Vous avez tout à fait raison.
– Maintenant ils ne vous attendrissent plus ?
– Ah non ! Quand je vois Adam avec sa casquette américaine, dans son 4 × 4 or métallisé, à côté d’une Ève décolorée en pantalon de cuir, en train de remorquer un scooter des mers, j’ai honte d’avoir fait ça.
– Ne vous occupez pas d’eux, vous vous faites du mal pour rien.
– C'est plus fort que moi, lui répond Dieu, j’y suis trop attaché.
Partisan du chacun chez soi, saint Pierre a toujours pensé que c’était une très mauvaise idée d’habiter dans le même immeuble.
– Voulez-vous qu’on déménage ? demande-t-il.
– Non, je veux rester près d’eux.
– Alors essayez de leur gâcher la vie. Au lieu de multiplier le pain et les poissons, multipliez-leur les ennuis.
– Vous avez raison. Je vais m’occuper d’eux, dit Dieu. Et une méchante lueur s’allume dans ses yeux. Mais est-ce que je vais réussir?
– Vous avez bien réussi le paradis, il n’y a pas de raison que vous loupiez l’enfer.



Encouragé, Dieu se met à chercher et, avec la complicité de saint Pierre, il trouve.
C’est surtout la nuit que les idées viennent.
Leurs chambres sont contiguës, une porte de communication toujours ouverte leur permet de se parler durant leurs insomnies.
Ils échangent des idées et se renvoient la balle.
C’est devenu un jeu entre eux. Ils ne pensent plus aux dominos, ils s’amusent comme des petits diables…
AU PARADIS TERRESTRE ON AVAIT DES ROBES BLANCHES toujours immaculées, même quand il y avait eu des nouilles à la sauce tomate à midi.
Dieu n’avait pas encore inventé les taches.
L'idée lui est venue en voyant passer un troupeau d’anges tout blancs. Il imagine des taches sur leur robe. Une grosse tache de framboise sur le devant, puis des petites taches de jaune d’œuf, autour des taches de chocolat et sur le jabot, une grande tache de vin comme si les anges s’étaient vomi dessus. Derrière il leur fait des taches vertes, comme s’ils s’étaient assis dans l’herbe.
Dieu s’amuse comme un enfant qui fait du coloriage.
En même temps il pense aux hommes, aux ennuis qu’il peut leur apporter avec ses taches.
Il imagine un président de la République pendant son allocution télévisée avec une grosse tache sur sa cravate, une jeune mariée avec de la mousse au chocolat sur sa belle robe, un petit garçon avec une tache de cambouis sur son pantalon tout neuf, et le charcutier, son stylo à la main, qui vient de faire un gros pâté sur sa déclaration d’impôts.
Dieu, ensuite, eut l’idée de faire des taches qui restent, celles qui ne partent pas à la lessive. Des taches sur le soleil, des taches de vin sur le visage des nouveau-nés, des taches sur les poumons des hommes et une tache noire sur la mer qui grandit, qui grandit…
AU PARADIS TERRESTRE, c’était tous les jours dimanche.
Dieu, qui voulait le bonheur des hommes, n’avait inventé que le dimanche. C'est seulement quand ses relations avec les hommes commencèrent à s’aigrir qu’il eut l’idée d’inventer un autre jour.