Introduction
« Changez vos stratégies et tactiques, mais jamais vos principes. »
John Kessel
«Les Français ont peur. » Ce constat en forme de cri d'alarme, vous ne l’avez pas entendu dans la bouche d’un journaliste vedette d’une grande chaîne de télévision. Il est tiré du rapport rédigé en 1977 par le « comité Peyrefitte » réuni pour essayer d’apporter des solutions à la montée de la délinquance et du sentiment d’insécurité. Plus d’un quart de siècle après, le problème reste entier. Il est même devenu central dans les préoccupations des Français.
Les questions de sécurité intérieure comme de justice soulèvent des enjeux désormais essentiels dans une société qui attend que les inquiétudes des individus qui la composent soient prioritairement traitées par l’État. Les interactions sont multiples dans un environnement complexe et fortement évolutif. En outre, nous ne sommes plus les seuls maîtres de notre destin au sein d’une Europe où l’instauration d’un espace de liberté, de sécurité et de justice est devenue prioritaire. Le choix des politiques publiques et des stratégies apparaît donc déterminant si nous souhaitons agir positivement et ne pas subir les coups du sort.
Ceci dit, un citoyen qui voudrait s’informer a bien du mal à se forger une idée sur des questions où la simplification, l’idéologie et la polémique tiennent parfois lieu de philosophie. En tout état de cause, si certains thèmes en sont très bien étudiés et présentés, il apparaît très difficile, voire impossible, de trouver un auteur qui propose une vision d’ensemble. C'est pourquoi la modeste ambition de cet ouvrage est d’apporter quelques clés de compréhension pour que tout un chacun puisse mettre en perspective des données apparemment contradictoires ou confuses.
Nous voyagerons donc ensemble pour approcher certains éléments de contexte et la réalité de la délinquance, pour discerner le rôle des acteurs, percevoir les enjeux des politiques publiques et de la justice et comprendre la réalité des stratégies déployées pour assurer la sécurité publique, la sécurité routière, le maintien de l’ordre et la lutte contre le terrorisme. Les chemins empruntés seront hexagonaux, toutefois nos observations s’enrichiront de la comparaison avec certains pays étrangers et surtout s’inscriront dans le champ élargi de l’Union européenne. Enfin, après avoir essayé progressivement de cerner les enjeux particuliers de chaque question, nous tenterons une approche plus globale pour imaginer des voies d’évolutions possibles.
Les problématiques ne sont d’ailleurs pas aussi simplistes que certains veulent parfois le faire croire. Les questions de sécurité et de justice ne sauraient à l’évidence se résumer à quelques schémas opposant de façon manichéenne le noir et le blanc, le répressif et le laxiste. À titre d’illustration, prenons l’anecdote citée par le général Vicaire, l’officier de gendarmerie qui, en 1999, sur le pont de Mitrovica, fit équiper d’une simple chemisette bleue les gendarmes déployés entre les deux communautés serbes et kosovars prêtes à en découdre violemment. Lorsqu’il évoque la philosophie du maintien de l’ordre, il cite les réflexions conduites au sein de la gendarmerie pour remplacer un instrument dont l’image est légitimement dégradée dans l’esprit des Français : le bâton de protection appelé plus communément « matraque ». Rien que la consonance de ce terme apparaît hautement négative. Il démarre son propos en évoquant le début du film 2001 Odyssée de l’espace où accompagnés par la musique d’Ainsi parlait Zarathoustra, nous assistons à la victoire du singe en évolution sur son congénère plus puissant mais moins évolué. Cette victoire sera acquise grâce à l’utilisation d’un bâton comme gourdin, qui devient ainsi une arme redoutable. Ce geste de frapper de haut en bas véhicule en lui toute l’agressivité du combat et de la destruction de l’autre. Il fallait abandonner le bâton de protection (la « matraque ») qui est porteur de ce geste violent, alors que justement la philosophie du maintien de l’ordre consiste à vouloir apaiser les tensions. La nécessité de protéger les personnels imposait aussi de trouver un instrument de remplacement. Sur le bâton initial, fut rajoutée une petite poignée perpendiculaire. Ainsi le gendarme put parer les coups, éventuellement repousser en coup direct un agresseur, mais abandonna le seul geste de haut en bas que rendait possible la configuration première du bâton. Dans la logique de cette philosophie de l’apaisement, qui ne renie rien d’une nécessaire fermeté quand la situation l’impose, la « matraque » était morte au profit du « tonfa ».