Introduction
L'évolution de l’environnement (complexité, incertitude, mondialisation…) couplée à l’émergence de nouveaux critères de performance dans les organisations amène à repenser leur mode de management. L'exigence de performance globale implique une remise en cause de l’articulation entre la stratégie et le pilotage opérationnel.
L'accent est dorénavant mis sur des approches de moins en moins mécanistes et figées au profit de démarches privilégiant une fertilisation croisée entre les volets conceptuel et opérationnel de la stratégie.
Pour faire face à de nouveaux enjeux (sociaux, environnementaux...), les organisations sont amenées à lier la notion de performance multidimensionnelle à leurs pratiques managériales. Dans ce contexte, le contrôle de gestion est appelé à assurer le couplage entre les logiques stratégique et opérationnelle pour assurer le pilotage de la performance globale.
Cet ouvrage présente dans un premier temps l’introduction progressive de la logique managériale dans la conception et la mise en œuvre des démarches stratégiques. L'enrichissement du cadre d’analyse stratégique, parallèlement à l’évolution de la notion de performance, entraîne l’apparition de nouveaux modes de gouvernance plus à même de soutenir la performance.
Dans un second temps, une approche rénovée du contrôle de gestion susceptible d’accompagner le redéploiement stratégique et d’assurer un pilotage plus efficace est présentée. La mise en perspective des différentes approches du contrôle de gestion permet de mettre en évidence l’incapacité des approches classiques à répondre aux nouveaux enjeux de pilotage de la performance globale.
Dans ce contexte, les outils de pilotage évolués, à savoir les « nouveaux tableaux de bord », l’approche stratégique des coûts et le benchmarking sont ainsi présentés dans un troisième temps. Ces derniers privilégient davantage l’anticipation voire la proaction en contribuant à rythmer la dynamique organisationnelle et à structurer les actions de ses membres par rapport à une ligne directrice clairement établie. Cette volonté de favoriser l’arrimage et l’articulation du volet stratégique avec le volet opérationnel se traduit par le couplage de l’analyse des capacités organisationnelles avec l’analyse stratégique externe.
Fondé sur le triptyque réflexion-décision-mise en œuvre, un renouveau stratégique sera enfin proposé visant à mettre sur le même pied d’égalité la phase de mise en œuvre avec les phases de réflexion et de décision. Ce souci d’une mise en cohérence des volets formulation et mise en œuvre stratégique nécessite la mise en place d’un système d’information performant adossé à des technologies de l’information et de la communication de plus en plus évoluées.
En conséquence, l’efficacité d’une démarche stratégique devient de plus en plus tributaire de mécanismes organisationnels capables d’harmoniser l’action des différents niveaux hiérarchiques et de maintenir, en externe, un système de veille stratégique. Servant de point d’ancrage entre la vision, la formulation et l’action stratégique, le pilotage de la performance globale apparaît ainsi étroitement lié à la capacité de changement de l’organisation autant dans ses dimensions techniques et structurelles que managériales.
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Management stratégique et performance
La littérature foisonnante sur la stratégie d’entreprise puise ses sources dans l’effervescence intellectuelle, au cours des années 1950, de chercheurs universitaires de l’université de Harvard. Le modèle de planification stratégique classique formalisé par Gilmord et Bradenburg (1962), puis rendu célèbre par le modèle LCAG des quatre professeurs concepteurs de la Harvard (Learned, Christensen, Andrews et Guth), s’inscrit dans une logique mécaniste et formalisée qui a largement sous-tendu toutes les écoles de pensée en stratégie jusqu’au début des années 1980. Les quatre auteurs de la Harvard définissent la stratégie comme un processus visant à prévoir par extrapolation les variables économiques, à programmer des décisions et à budgéter des séquences d’actions censées assurer la croissance de l’entreprise.
Cohérente avec la croissance économique, cette acception pour l’essentiel statique de la stratégie va sérieusement être remise en cause par les turbulences économiques répétées qui ne cesseront de perturber l’environnement de l’entreprise depuis la crise de 1973.
Ce chapitre traitera, dans cette perspective, de l’évolution des schémas stratégiques mettant en évidence le passage d’une démarche rigide et mécaniste adossée à un cadre d’analyse figé exclusivement orientée en termes de prescriptions séquentielles à une démarche managériale et volontariste plus à même de soutenir la performance de l’entreprise.
1. Logique managériale et démarche stratégique
A. L'architecture stratégique classique
La finalité de la démarche stratégique classique consiste à prévoir par extrapolation les variables économiques, à programmer des décisions et à budgéter des séquences d’actions censées assurer la croissance de l’entreprise. La rupture avec la logique de planification financière fondée sur le recours systématique au calcul des flux de trésorerie va être incarnée par le modèle d’Ansoff (1965). Ce dernier propose un modèle de décisions stratégiques reposant ainsi sur trois piliers à savoir, dans un premier temps, l’élaboration du système d’objectifs de l’entreprise, puis, l’élaboration des choix stratégiques et, enfin, la confrontation des objectifs et des résultats.
L’auteur fait remarquer que toute décision repose sur un processus séquentiel en quatre étapes :
- la phase conceptuelle au cours de laquelle une appréciation du contexte de la décision stratégique est effectuée ;
- la formulation de différentes voies d’action possibles sachant que le planificateur n’est pas en mesure d’évaluer avec précision l’impact des différentes possibilités d’action qui s’offrent à lui ;
- l’évaluation des avantages respectifs des différentes voies d’action. Le critère d’évaluation retenu n’est plus exclusivement le profit à long terme. Il s’agit, au contraire, d’adopter un vecteur d’objectifs dont le profit ne constitue que l’une des composantes ;
- le choix de la voie ou des voies d’actions à suivre. L'approche adoptée est en cascade dans la mesure où des règles de décisions sont sommairement définies puis convergent, par paliers successifs, vers le choix optimal.
La figure 1.1, page suivante, présente les principales étapes du modèle de planification stratégique initial d’Ansoff.
Si l’objectif fondamental reste la maximisation du profit à travers la fixation d’un seuil de rentabilité des capitaux investis, l’auteur propose d’intégrer des sous-objectifs économiques qui reflètent la situation compétitive de l’entreprise (croissance des ventes, efficacité interne, extension de la gamme de produits, développement de la clientèle, flexibilité face aux fluctuations du marché) et des objectifs « non économiques ». Ces derniers renvoient autant aux préférences sociopolitiques des différents membres de l’organisation qu’aux valeurs sociales partagées par ses dirigeants. Les objectifs arrêtés sont appelés à être en conformité avec le « profil d’aptitudes » de l’entreprise résultant, en fait, d’un double diagnostic tant externe qu’interne.
En favorisant le passage du niveau « business » (activité) au niveau « corporate » (global), la démarche intègre dans la définition du plan stratégique l’étude des couples produits/marchés sans pour autant estimer préalablement les ressources nécessaires à la mise en œuvre du plan.
Cantonné à sa dimension technique, l’exercice stratégique se révèle incapable de clarifier la direction stratégique dans laquelle l’organisation doit s’engager et de capitaliser l’apprentissage acquis à différents niveaux hiérarchiques. Le planificateur, dans son acception classique, se heurte en somme à l’incapacité d’apprécier la pertinence des informations internes et externes à l’entreprise dont il peut disposer.
L'écueil fondamental des systèmes de planification réside dans son incapacité à combiner et à articuler efficacement deux activités clés à savoir d’une part, le contrôle de la performance et de l’autre la planification de l’action (Mintzberg, 2004). Le contrôle de la performance renvoie à une approche quantitative d’évaluation a posteriori des performances par rapport à des objectifs et à des budgets prédéterminés. En revanche, la planification de l’action permet de générer des programmes ciblés reposant sur un ensemble d’actions clairement définies dans le temps et dans l’espace.
Mintzberg (op. cit.) distingue, à la lumière d’un examen approfondi des différents travaux sur la planification stratégique, quatre hiérarchies de la planification à savoir la hiérarchie des objectifs, la hiérarchie des budgets, la hiérarchie des stratégies et la hiérarchie des programmes qui seront successivement présentées.
La hiérarchie des budgets
En se déclinant de manière différenciée pour chacune des sous-unités de l’organisation à travers un processus hiérarchique descendant, ascendant ou négocié, l’élaboration des budgets procède d’une logique analogue à celle des objectifs. Ces derniers reposent sur l’activité de l’allocation des ressources exprimées essentiellement en termes quantitatifs et sur celle du contrôle des différentes unités de l’entreprise.
L'élaboration des budgets semble ainsi privilégier davantage la rigueur et le contrôle que l’activité proprement stratégique.