A. L'architecture stratégique classique
La finalité de la démarche stratégique classique consiste à prévoir par extrapolation les variables économiques, à programmer des décisions et à budgéter des séquences d’actions censées assurer la croissance de l’entreprise. La rupture avec la logique de planification financière fondée sur le recours systématique au calcul des flux de trésorerie va être incarnée par le modèle d’Ansoff (1965). Ce dernier propose un modèle de décisions stratégiques reposant ainsi sur trois piliers à savoir, dans un premier temps, l’élaboration du système d’objectifs de l’entreprise, puis, l’élaboration des choix stratégiques et, enfin, la confrontation des objectifs et des résultats.
L’auteur fait remarquer que toute décision repose sur un processus séquentiel en quatre étapes :
- la phase conceptuelle au cours de laquelle une appréciation du contexte de la décision stratégique est effectuée ;
- la formulation de différentes voies d’action possibles sachant que le planificateur n’est pas en mesure d’évaluer avec précision l’impact des différentes possibilités d’action qui s’offrent à lui ;
- l’évaluation des avantages respectifs des différentes voies d’action. Le critère d’évaluation retenu n’est plus exclusivement le profit à long terme. Il s’agit, au contraire, d’adopter un vecteur d’objectifs dont le profit ne constitue que l’une des composantes ;
- le choix de la voie ou des voies d’actions à suivre. L'approche adoptée est en cascade dans la mesure où des règles de décisions sont sommairement définies puis convergent, par paliers successifs, vers le choix optimal.
La
figure 1.1, page suivante, présente les principales étapes du modèle de planification stratégique initial d’Ansoff.
Si l’objectif fondamental reste la maximisation du profit à travers la fixation d’un seuil de rentabilité des capitaux investis, l’auteur propose d’intégrer des sous-objectifs économiques qui reflètent la situation compétitive de l’entreprise (croissance des ventes, efficacité interne, extension de la gamme de produits, développement de la clientèle, flexibilité face aux fluctuations du marché) et des objectifs « non économiques ». Ces derniers renvoient autant aux préférences sociopolitiques des différents membres de l’organisation qu’aux valeurs sociales partagées par ses dirigeants. Les objectifs arrêtés sont appelés à être en conformité avec le « profil d’aptitudes » de l’entreprise résultant, en fait, d’un double diagnostic tant externe qu’interne.
– Archétype de la planification stratégique traditionnelle
Le dispositif préconisé est structuré par rapport à trois catégories de décisions : les décisions opérationnelles, les décisions administratives et les décisions stratégiques. Les décisions stratégiques intègrent essentiellement les questions extérieures à la firme et relatives aux choix des produits et des marchés susceptibles ainsi d’optimiser les investissements effectués. Elles permettent via une allocation optimale des ressources de définir de manière rationnelle les domaines d’activité de l’entreprise. Les décisions opérationnelles, quant à elles, sont censées obtenir de l’exploitation courante le maximum de profit. Enfin, les décisions administratives reflètent la répartition de pouvoir et des responsabilités ainsi que l’acquisition et le développement des ressources de l’entreprise.
Le tableau suivant synthétise les caractéristiques des trois catégories de décisions :
Tableau 1.1 – Typologie des décisions
En favorisant le passage du niveau « business » (activité) au niveau « corporate » (global), la démarche intègre dans la définition du plan stratégique l’étude des couples produits/marchés sans pour autant estimer préalablement les ressources nécessaires à la mise en œuvre du plan.
Cantonné à sa dimension technique, l’exercice stratégique se révèle incapable de clarifier la direction stratégique dans laquelle l’organisation doit s’engager et de capitaliser l’apprentissage acquis à différents niveaux hiérarchiques. Le planificateur, dans son acception classique, se heurte en somme à l’incapacité d’apprécier la pertinence des informations internes et externes à l’entreprise dont il peut disposer.
L'écueil fondamental des systèmes de planification réside dans son incapacité à combiner et à articuler efficacement deux activités clés à savoir d’une part, le contrôle de la performance et de l’autre la planification de l’action (Mintzberg, 2004). Le contrôle de la performance renvoie à une approche quantitative d’évaluation a posteriori des performances par rapport à des objectifs et à des budgets prédéterminés. En revanche, la planification de l’action permet de générer des programmes ciblés reposant sur un ensemble d’actions clairement définies dans le temps et dans l’espace.
Mintzberg (op. cit.) distingue, à la lumière d’un examen approfondi des différents travaux sur la planification stratégique, quatre hiérarchies de la planification à savoir la hiérarchie des objectifs, la hiérarchie des budgets, la hiérarchie des stratégies et la hiérarchie des programmes qui seront successivement présentées.
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La hiérarchie des objectifs
Celle-ci est principalement du ressort de la direction générale qui, en définissant au nom de l’organisation les objectifs de l’entreprise, déclenche le processus de formulation de la stratégie. Descendant en cascade le long des différents niveaux hiérarchiques, ces objectifs sont appelés à constituer un moyen d’incitation et un moyen d’évaluation des performances futures de l’entreprise.
Si la démarche adoptée a le mérite de reposer sur une hiérarchisation des objectifs, il n’en demeure pas moins qu’elle a le plus souvent passé sous silence la nature du lien entre l’établissement des objectifs et la formation de la stratégie.
■ La hiérarchie des budgets
En se déclinant de manière différenciée pour chacune des sous-unités de l’organisation à travers un processus hiérarchique descendant, ascendant ou négocié, l’élaboration des budgets procède d’une logique analogue à celle des objectifs. Ces derniers reposent sur l’activité de l’allocation des ressources exprimées essentiellement en termes quantitatifs et sur celle du contrôle des différentes unités de l’entreprise.
L'élaboration des budgets semble ainsi privilégier davantage la rigueur et le contrôle que l’activité proprement stratégique.