I
LES FACULTÉS ÉTRANGES DES ANIMAUX
1.
Opération « Animaux 6e sens »
Octobre 1994. Coup de téléphone de Rupert Sheldrake : « Erik, je viens à Paris la semaine prochaine. Je voudrais lancer un projet international qui me tient à cœur. Aurais-tu le temps qu'on se voie ? » Bien sûr que j'avais le temps ! Difficile de décliner l'invitation de l'un des scientifiques les plus audacieux – et les plus controversés aussi – de notre époque…
Cela faisait une petite quinzaine d'années que je connaissais Rupert Sheldrake. Plus exactement depuis que, en 1981, son premier livre, Une nouvelle science de la vie 1, avait déclenché un vent de révolte dans la communauté scientifique internationale. Un raz-de-marée de haine, aurait-on pu dire… Un article du magazine Nature , pour ne citer que celui-là, avait violemment critiqué l'ouvrage : « Ce traité absurde est le meilleur candidat à l'autodafé depuis de nombreuses années. » Et pour être bien certain d'avoir fait passer son message, l'éditeur avait titré l'article : « Un livre à brûler ». Comme on le voit, les arbitres de la science n'ont pas toujours la main légère ! C'est que, diplômé de Cambridge et de Harvard, membre de l'Académie royale des sciences, professeur à Cambridge, le jeune biologiste britannique venait de saper les fondements mêmes de toutes les théories matérialistes et rationalistes sur la Vie et l'Univers, avec sa théorie des « champs morphiques »2. Il suggérait que la nature est dotée d'une mémoire, d'une conscience, et qu'elle a un but. La nature, une mémoire et une conscience ? Voilà l'hérésie ! La nature, un but ? Double hérésie ! D'où réactions violentes de la communauté des juges du bien-penser. Heureusement, des voix se sont élevées dans le monde entier pour prendre la défense du jeune biologiste : des journalistes, des chercheurs de toutes disciplines, des grands noms de la science parmi lesquels des Prix Nobel, ont apporté leur soutien.
Quinze ans et deux autres livres chocs plus tard, Sheldrake avait réussi non seulement à démontrer le bien-fondé de sa théorie, mais aussi à la confirmer avec des expériences scientifiques concluantes. Cependant, tout en continuant ses travaux, il s'était passionné, au fil du temps, pour la parapsychologie scientifique. Tant qu'à se faire brûler en place publique, autant le faire pour de bonnes raisons… Le biologiste n'avait peur de rien ! Voilà ce qu'il n'hésitait pas à clamer dans un nouveau livre qu'il m'avait fait envoyer aussitôt la fin de notre conversation téléphonique. Dans cet ouvrage, après avoir expliqué qu'il y a, dans la nature, des pans entiers de mystères obstrués par de solides murailles d' a priori , il se lance dans une croisade pour tenter de changer les mentalités. Cette fois, pas de grandes théories : Sept Expériences qui peuvent changer le monde 3est lisible par tous, même par des écoliers. Il invite chacun à un parcours initiatique à travers la vie quotidienne. Et il lance un étonnant appel au grand public en proposant de petites expériences de parapsychologie à faire à la maison, en famille, avec des amis. Je le voyais venir : si Rupert m'avait appelé, c'est qu'il avait une idée derrière la tête. Par exemple : me demander si Psychologies Magazine accepterait de participer à ce genre d'expérience…
Une opération nationale
Eh bien j'avais vu juste ! Une semaine plus tard, lors de notre rencontre, il m'explique qu'il veut lancer une vaste opération. Internationale si possible, et dans laquelle notre magazine pourrait s'engager. Cependant, cette opération devait être ciblée uniquement sur les animaux de compagnie. À moitié étonné – après tout, Rupert est biologiste ! – je lui demande comment il a eu cette idée. Il me raconte alors que l'une de ses voisines, une veuve, a un fils dans la marine marchande. Or, cette dame sait toujours à l'avance quand son fils revient en permission, même s'il ne la prévient pas : systématiquement, trois heures avant son retour, le chat de la maison commence à s'énerver et s'assied sur le paillasson de la porte d'entrée. Ce qu'il ne fait jamais pour d'autres personnes ou en d'autres circonstances. C'est ce comportement qui a mis la puce à l'oreille de Sheldrake : s'agirait-il de télépathie4 ? Il se met alors à s'intéresser à toutes ces histoires étonnantes que l'on raconte sur les animaux, et surtout à essayer de dénicher d'autres témoignages similaires à celui de sa voisine. En peu de temps, les lettres commencent à affluer. Et, cette fois-ci, ce ne sont pas des « histoires que l'on raconte », ou « dont on a entendu parler », mais des gens bien réels qui lui expliquent tout simplement que leur chien ou leur chat est capable de savoir qui téléphone, quand son maître va rentrer, qu'il a un jour deviné l'heure à laquelle sa maîtresse a accouché, à quelle heure un enfant de la maison a été opéré, qu'un membre de la famille a eu un accident…