1.

Charlotte Lang ferma son ordinateur portable et le posa à côté d’elle sur le canapé de la terrasse, sans cesser de le fixer comme si cette maudite machine était la source de tous ses ennuis. La frustration de son constant échec la rongeait, ainsi que l’angoisse, insidieuse, qui se profilait derrière… Elle soupira.

— Je ne le trouverai jamais, n’est-ce pas ?

Juste en dessous d’elle, son père, accroupi devant un massif débordant de fleurs, arrachait les mauvaises herbes.

— Qui sait, ma chérie ? Tu as si peu d’éléments… Bien sûr, Aimee est sa fille, mais…

A bout de nerfs, elle tourna brusquement la tête.

— Combien de médecins militaires américains ont pour nom Marshall Hunter ? J’ai dû envoyer des centaines d’e-mails !

— Si j’ai bien compris, le dernier t’est encore revenu ?

— Oui, comme d’habitude… Mais pourquoi m’a-t-il donné cette adresse s’il avait l’intention de la supprimer ?

Et pourquoi lui avoir laissé un contact alors qu’il avait tout fait pour s’assurer qu’elle ne pourrait le joindre une fois leur aventure terminée ?

Ce dernier jour à l’hôpital d’Honolulu, au moment où il était envoyé en mission, avait-il eu lui aussi la sensation d’une perte irrémédiable ? Avait-il jugé impossible de la quitter sans lui laisser un moyen de la joindre ? Il avait glissé un mot portant son adresse e-mail dans la poche de sa blouse pendant qu’elle l’embrassait une dernière fois en s’efforçant de ne pas pleurer, d’ignorer la chaleur familière qui l’avait envahie sous son baiser…

De toute façon, il avait dû le regretter après son départ puisque aucun des messages qu’elle avait envoyés n’avait reçu de réponse. Tempérament volage ? Elle en doutait. Manque de confiance en soi ? Certainement pas. Il avait tellement d’assurance ! Sauf, pourtant, lorsqu’elle avait évoqué sa famille : un voile était passé sur son regard vert, qui était devenu soudain froid et distant.

Elle avait compris que c’était un sujet à éviter. Bien entendu, elle s’était souvent demandé ce qu’il cachait…

— Tu as pensé qu’il ne tenait peut-être pas à être retrouvé ?

Son père ne mâchait jamais ses mots…

— Sincèrement, j’en suis convaincue.

Aucune trace de lui dans le cyberespace, où tout le monde de nos jours étalait son nom, sa photo, et jusqu’à des informations confidentielles… Sauf lui, ce qui lui indiquait clairement ce qu’elle refusait de s’avouer depuis le début.

Marshall avait vraiment voulu couper les ponts à tout jamais. Il avait dû lui laisser son adresse sous le coup de l’émotion… Ce jour-là, chaque baiser avait été leur dernier, suivi d’un autre, puis d’un autre, jusqu’à ce que son ami Rod vienne le tirer par le bras pour l’entraîner vers le camion de l’armée.

Les doigts pressés sur ses lèvres gonflées pour tenter de conserver la chaleur et l’odeur de Marshall, elle l’avait regardé monter, puis avait refoulé ses larmes quand le véhicule avait disparu au tournant, l’emportant pour toujours.

— Papa, j’ai toujours su que nous n’avions pas d’avenir ensemble.

— Ma chérie… Et si tu cessais cette recherche épuisante ?

Son père n’avait pas une haute opinion de l’homme qui avait mis sa fille enceinte. Normal, il ne connaissait pas Marshall… et refusait de considérer le fait que celui-ci ignorait qu’elle avait eu un enfant de lui. Mais elle était persuadée que c’était un type bien… Du moins se le répétait-elle pour s’en convaincre.

— Pas question !

Lors de leur première rencontre, aux urgences de l’hôpital d’Honolulu où elle effectuait un stage, il lui avait fait une forte impression : alors qu’il la taquinait sur son accent, son regard intense s’était rivé au sien et ils s’étaient avancés l’un vers l’autre. En le voyant sourire, elle avait pensé avoir découvert ce qu’elle cherchait depuis toujours…

Leur service terminé, il lui avait pris la main pour l’entraîner sur la plage. Ils avaient marché pieds nus sur le sable chaud tandis que les vagues s’écrasaient à quelques mètres d’eux ; la grande main solide de Marshall tenant la sienne, son épaule lui frôlant le bras, elle s’était crue arrivée au paradis.

Puis, en pleine chaleur, au milieu des rires et des bavardages émanant des restaurants du bord de mer, il l’avait attirée contre lui et embrassée avec passion. Elle s’était accrochée à lui comme à une bouée de sauvetage, chaque fibre de son corps tendue… Elle avait eu envie de lui, du plaisir que lui, et lui seul, pouvait lui donner.

Après l’avoir soulevée dans ses bras, il avait traversé en courant la plage et l’avenue qui la longeait pour s’arrêter au premier hôtel qu’ils avaient croisé. C’était ce soir-là qu’avait débuté leur liaison en une explosion de passion insatiable. Deux semaines plus tard, ils s’étaient séparés de façon abrupte, quand il avait été muté avec son bataillon dans un endroit inconnu alors qu’elle s’apprêtait à regagner la Nouvelle-Zélande.