NOTE DE L’ÉDITEUR

Malgré toutes nos recherches, il nous a été impossible de retrouver l’auteur de ce texte paru sous pseudonyme et conservé par la Bibliothèque Nationale de France Dans le cas où l’auteur reconnaîtrait son œuvre et serait à même d’en établir la preuve, il est prié de se faire connaître sans délai auprès de la société GECEP, 15 chemin des Courtilles, 92600 Asnières.

La Passion du Fouet

 

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FOUETTEURS ET FOUETTÉS

C’est en observant et en analysant des cas particuliers en grand nombre que nous avons peu à peu dégagé les lois générales de la genèse des deux tendances complémentaires, l’une passive, l’autre active, qui rapprochent fouettés et fouetteurs.

On peut classer en douze cas généraux différents l’ensemble des multiples observations faites tant par nous-même que par d’autres spécialistes de la question. Nous allons les examiner successivement.

I – L’excitation par le claquement

Il est fréquent de surprendre à l’abord d’une chambre où le lit réunit deux époux ou amants, certains bruits bien connus indiquant que l’un des deux sujets se divertit, entre autres caresses, à tapoter la chair de l’être aimé étendu près de lui. Bien des hommes se sont livrés, sans idée spéciale, à cette distraction, par elle-même sans intérêt pour nous. Mais, pour certaines natures, elle constitue un premier pas vers la passion du fouet dans toute son ampleur. Le bruit du tapotement, en même temps que le contact répété, finit par opérer une excitation chez celui qui frappe, et même sur l’organisme ainsi traité. Si cette excitation s’assouvit le plus souvent par la voie normale, il n’en est pas moins vrai qu’elle tend à être recherchée ensuite par des claquements plus actifs dont l’effet s’augmentera de la vue du rougeoiement. De là peut naître un impérieux besoin d’administrer, sans réticence, de véritables fessées. Inversement, l’accoutumance à subir d’amicales rigueurs, les rend bientôt indispensables aux effusions amoureuses à moins qu’elle ne développe un goût spécial à les rechercher pour elles-mêmes.

L’homme sera porté bientôt, dès la demi-volupté précédant le spasme, à pimenter celui-ci en claquant plus ou moins vigoureusement les parties charnues de sa compagne, ou ce sera, s’il a généralement le rôle passif vis-à-vis de sa partenaire, si c’est elle qui le « domine », lui qui sollicitera ses coups. Il se trouve parfois que la femme, intimidée par son seigneur et maître, subit ses fantaisies sans aucun acquiescement, mais sans rien objecter, par mollesse ou par crainte. L’habitude lui fera d’abord trouver l’indifférence et ensuite le besoin. Il arrive même, s’il y a prédisposition, que ce besoin la conduise à chercher un partenaire plus spécialiste des cinglades voluptueuses que celui qui les lui révéla.

II – La vue du spasme douloureux ; substituée à celle de la vibration amoureuse

Un des plus grands plaisirs que peut éprouver en amour un homme tendre ou passionné, est la vue des tressaillements du corps que son étreinte vient faire voluptueusement vibrer. Les femmes s’en rendent bien compte, et lorsqu’elles ont intérêt à flatter leur partenaire, elles ne manquent pas de simuler le plaisir.

Je ne surprendrai personne en disant que les couples bien assortis sont l’exception et que l’union de deux êtres dépend de trop de facteurs étrangers à Vénus pour que l’on fasse grand cas de ceux de l’harmonie sexuelle. L’intérêt et l’imagination sont à peu près les deux choses dont on tienne compte. La recherche systématique et consciente de l’être correspondant n’existe que pour une élite. Aussi la couche conjugale est-elle souvent « maussade » si la femme n’y apporte quelque diplomatie. Les messieurs sont, pour beaucoup, imbus de cette erreur que leur propre plaisir, dans les jeux d’Eros, entraîne forcément une caresse correspondante, chez l’objet de leur flamme. Ils entretiennent une vanité spéciale à cet endroit et sont toujours mécontents de ne point voir partager l’enthousiasme de leurs caresses. Or, l’intuition féminine perçoit qu’il y a répulsion et danger de détachement dans le cas de frigidité, et la femme mariée, librement unie, entretenue, ou même la Vénus en cage en arrive à jouer la comédie de la volupté, ses spasmes et ses cris, tout simplement parce qu’il faut « plaire ». La salacité a partout les mêmes hideurs !

Or, le vieillard ou même l’homme rivé dans sa virilité avant le temps normal garde le désir de s’enivrer de la vision d’un corps qui se pâme. Ce désir évolue parfois vers Lesbos, mais peut aussi s’inverser en partie : ne pouvant plus faire... plaisir, on fera de l’effet tout de même, bien qu’un tout autre effet, par le moyen de la cinglade. Ainsi se recrutent certains adeptes du fouet.

III – Flagellation sadique

Nous entrons ici dans un autre ordre d’idées. Dans le cas précédent, les flagellants n’ont en vue qu’un spectacle. Ici, il s’agit d’hommes et de femmes aimant à meurtrir, à entamer la chair au moyen de verges, de martinets et autres instruments dont certains sont dignes d’une salle de torture moyenâgeuse... Il y a, par exemple, de mignons petits rouleaux, assez semblables à un automasseur, mais garnis de pointes acérées, et qui, promenés sur la peau par une main énergique, déterminent l’effusion du sang. Les pointes sont d’une faible longueur et n’atteignent que les capillaires. Le sang coule donc en nappe et c’est ce que recherchent les sadiques flagellants.

Il y a toujours eu des voluptueux cruels, et certains hommes ayant éprouvé de nombreuses déconvenues amoureuses le deviennent par ressentiment. Leur état d’âme est analogue à celui de l’enfant qui frappe le mur contre lequel il s’est cogné. Nous avons eu l’occasion d’étudier un de ces dévoyés dont le cas nous parut typique.

Fiancé durant quatre ans à une jeune fille comptant trois printemps de moins que lui, et abandonné au dernier moment pour un caprice, il faillit mourir d’une fièvre cérébrale dont sa robuste constitution eut néanmoins raison. Dans son délire, il revivait la dernière scène, où la cruelle enfant lui avait signifié la reprise de son cœur. La fièvre aidant, il lui semblait courir après l’infidèle et parfois l’approcher assez pour lui appliquer, à toute volée, une claque sonore sur les fesses. Cette course ne s’achevait lorsque, ayant réussi à serrer d’assez près la poursuivie pour la cingler sans arrêt, une étrange langueur s’emparait de lui et l’amollissait au point de rendre son bras inerte. Alors le sommeil se faisait plus profond et au rêve succédait une détente morne jusqu’à ce que les mêmes hallucinations se répétassent.

Complètement rétabli, le souvenir du songe bizarre qui, si longtemps, l’avait hanté, lui devint une obsession, dont je l’ai débarrassé par la suggestion hypnotique, et qui l’avait amené à rechercher auprès de jeunes personnes, rétribuées à cet effet, des voluptés analogues à celles que lui avait procurées Morphée.

IV – Réminiscence d’une fessée voluptueuse

Voilà un cas sur lequel j’attire tout spécialement l’attention des éducateurs et éducatrices – ces dernières surtout. Les jeunes garçons de douze à quatorze ans subissent encore, dans le plus grand nombre des familles, l’ire de leurs parents d’une façon cuisante et humiliante. Or, cet âge est celui où les organes sexuels achèvent de se former et où leur fonction commence à solliciter l’attention, si vive à cet âge. Au moment de la puberté, une espèce de malaise, d’irritation, d’état fébrile s’empare souvent des jeunes gens et les amène à trouver, s’ils n’ont une orientation sérieuse et une bonne hygiène, le siège de l’éréthisme dont ils commencent à ressentir les effets. Il est superflu de dire que tout ce qui peut exalter ou intensifier cet état doit être soigneusement évité par les éducateurs. Or une mère qui fouette son fils aux approches de la puberté développe chez lui l’éréthisme auquel il est sujet. L’afflux de sang provoqué par les claques ou le martinet s’étend jusqu’aux organes sexuels et le frottement de ces organes occasionné par les chocs répétés équivaut, pour peu que la verge porte sur les vêtements ou sur la peau, à une véritable masturbation. Jean-Jacques Rousseau nous dit, dans ses Confessions, qu’il a éprouvé pour la première fois la joie sexuelle durant une correction appliquée par sa préceptrice.

Les premières sensations voluptueuses sont celles qui frappent le plus. L’enfant qui aura en même temps éprouvé un premier spasme connexement à l’émotion résultant du châtiment, à la chaleur et à la sensation des cinglades, ne trouvera pas, devenu jeune homme, une parfaite satisfaction génésique à l’acte normal ; il s’y accoutumera peut-être, mais certaines natures rechercheront les conditions de leur première volupté. C’est ainsi que de tout jeunes gens forment la clientèle de maisons spéciales aménagées de manière à simuler une école, une salle d’études, un cadre familial, etc.

Le caractère de la personne qui fouette joue un rôle point négligeable. Si elle est relativement jeune et bien campée-fût-elle la mère de l’enfant corrigé-elle influe sur lui par la voie psychologique. La femme trouble l’adolescent en raison de son charme physique et celui-ci peut avoir sur un jeune organisme un effet qui relègue au second plan la notion de parenté. Autrement l’inceste n’existerait pas.

V – Jeux inspirés par l’éveil des sens

Beaucoup de garçons, voire de fillettes répètent dans leurs jeux ce qu’ils ont vu faire autour d’eux, on joue « à la maîtresse d’école » ou « au papa et à la maman ». Cela ne va pas sans le privilège de corriger les petits ou petites camarades à qui c’est le tour de « faire les gosses ». Ces jeux, presque innocents, prennent à l’âge de la puberté un singulier attrait. Inutile de dire, n’est-ce pas, qu’ils entrent pour leur part dans la genèse de la passion du fouet. S’il paraît grandement superflu de dire que cette passion ne serait pas née – ou du moins resterait exceptionnelle – si les châtiments corporels n’étaient pas en honneur, il y a utilité à exhorter les intéressés à proscrire absolument la fessée des procédés coercitifs. C’est en Angleterre qu’on fouette le plus les enfants et c’est dans ce pays que la flagellation passionnelle est le plus répandue.

D’ailleurs, la valeur du fouet en matière de pédagogie est contestable ; ce moyen de coercition est proscrit dans les familles averties et sérieuses. L’expérience montre en effet que le châtiment corporel rend l’enfant sournois et développe chez lui cette disposition d’esprit : pas vu, pas pris, pas de mal. Par influence morale, en faisant prendre aux enfants, dans la mesure de leur compréhension, le sens de leur responsabilité personnelle, du tort qu’ils se causent en agissant mal, on obtient leur développement causal et on leur forme un caractère. Il y a évidemment des cas réfractaires à cette méthode (comme d’ailleurs aux effets de toutes les fessées du monde). À ceux-là, la suggestion hypnotique telle que l’applique le savant Dr Berillon, est indiquée. Ajoutons que l’exemple de la rectitude influe énormément sur les enfants. Ils ont d’autant plus de considération pour les paroles de leurs éducateurs que ceux-ci leur paraissent plus parfaits. Une famille d’où sont bannies les discussions bruyantes, les propos légers, les excès de toutes sortes, la colère et l’alcool, rencontre rarement une difficulté à diriger sa progéniture. On m’objectera les fils « d’excellentes familles » qui ont failli gravement au devoir et à l’honneur. Je répondrais que si, dès ses premiers mois, l’enfant est observé attentivement et si l’on s’attache à réprimer ses travers, à entraver le développement des mauvais instincts et défauts, on n’aura jamais de déconvenue.

Mais la vigilance doit être constante, on ne doit jamais manifester à l’enfant la moindre complaisance pour un travers, de quelque drôlerie qu’il s’accompagne, l’accoutumer à l’ordre, à la propreté, au travail dès que l’âge le permet, lui inspirer le mépris des caprices et des impulsions irraisonnées et le goût de l’harmonie dans la pensée et les actions.

 

L’humanité, en tout ce qui lui survient de fâcheux, doit accuser seulement son ignorance et son laisser-aller. Si vous trouvez plus simple de frapper que d’agir par une méthodique persuasion, renoncez à une partie notable de la considération de vos enfants ; si vous manifestez de la complaisance pour vos propres désordres, si vous vous montrez impulsif, partisan du moindre effort, etc. vous n’avez évidemment aucun titre à être écouté de vos pupilles, lorsque vous faites des remontrances : alors frappez, vous aurez ce point commun avec la brute qui a tort et dont la seule ressource est d’assommer l’interlocuteur. Si votre enfant a une bonne nature, tant mieux pour vous ; s’il est quelconque, il restera ainsi ; mais s’il a un naturel mauvais vous en favorisez le développement, en préparant sa récolte pour le jour où il sera, physiquement, en âge de regimber. Dans tous les cas, vous déposez en lui le germe d’une funeste passion.

VII – Lesbiennes usant du fouet

Ainsi que nous avons vu, au début de ce chapitre, le fouet servir d’excitant entre époux ou amants, il est utilisé par l’homosexualité féminine dans le même but. Il est avéré que, dans chaque couple féminin homosexuel, l’une domine l’autre. Suivant une expression usitée chez les... amatrices, l’une « fait l’homme ». N’entendez pas seulement par là qu’à l’heure des effusions, l’une mimera l’amour masculin, mais bien qu’en général l’une commande, dirige, influence l’autre et... la corrige, le cas échéant. Le genre de correction en honneur chez ces dames est évidemment le fouet. L’excitation qu’il opére est souvent le trait d’union entre l’ire et le pardon du « petit homme ».

VIII – Les amitiés et les pensions

Si les dortoirs des collèges et pensionnats de tous genres pouvaient parler, ils révèleraient d’étranges modes d’érotisme naissant. Chez les garçons comme chez les filles s’élaborent par affinités naturelles des amitiés, les unes très innocentes, les autres (qui se ressemble s’assemble) facilitant singulièrement, par la collaboration de deux jeunes intelligences, l’éveil de l’instinct génésique.

La précocité du besoin sexuel, encore que toujours anormale et préjudiciable à plus d’un titre, résulte le plus souvent de causes héréditaires. Elle est quelquefois déterminée par l’exemple, par l’ascendant d’un plus âgé – chose fréquente au pensionnat.

Sous prétexte de jeux, jeunes gens et aussi petites pensionnaires imiteront ce qu’ils ont vu faire, satisferont leur curiosité de « voir » comment est fait le petit camarade – ou l’« amie ». Comme toujours, dans les amitiés de pension, on trouve un caractère qui domine et l’autre qui est dominé. Les dominateurs, garçons ou fillettes, goûteront un plaisir morbide, point aisément oubliant, à fouetter. Quant aux dominés, l’émotion, le plaisir vicieux d’être touchés aux abords du sexe et sur une partie cachée, l’humiliation, sont autant de facteurs qui les prédisposent pour l’avenir au masochisme et à la passion du fouet.

IX – Où peut mener l’habitude de la coercition pédagogique

Les instituteurs et institutrices, les pions, et généralement ceux qui ont à surveiller une classe de jeunes enfants, n’usent pas toujours de pensums pour réprimer les écarts de leurs élèves. Il en est qui usent de châtiments corporels, malgré toutes les circulaires ministérielles. En l’an de grâce 1899, nous avons, pour notre part, encaissé une moyenne de quatre à cinq gifles par jour dans une école libre payante, située dans le quatorzième arrondissement de Paris. Et une trentaine de petits condisciples participaient journellement à la distribution. Nous ne sommes pas partisans, nous l’avons dit, de ce système, mais tant que, comme à l’école en question, on ne frappe pas plus bas que les joues, il n’y a que demi-mal. Mais nous savons, par des amis, que dans presque tous les internats de garçons ou de filles, on fouette. Imaginez-vous un pion, ou une maîtresse de classe, ayant une trentaine d’élèves à surveiller toute la journée et distribuant chaque jour quatre ou cinq fessées. Ne vous paraît-il pas que cet entraînement crée une habitude et tend même à l’exagérer ? Du moment où point la tendance à fouetter, pour le plaisir de fouetter, on a le vice. L’expérience démontre qu’il se développe souvent chez des membres de l’enseignement, précisément parce qu’ils ont commencé par user, sans aucune idée vicieuse, de la correction par le fouet.