chapitre premier
La Madone et les machos
Cette fois-ci, c'est elle ! Et elle seule.
À la une du Nouvel Observateur, en ce mois de décembre 2005, Ségolène Royal offre son sourire tranquille. Sous le front lisse et serein, le regard est doux mais déterminé. Son visage rayonne d'une certitude presque gourmande. Cette femme-là croit en son destin. Elle affiche la même quiétude inébranlable que les madones de Raphaël. Elle semble solide et gracile à la fois. Avec un insoupçonnable pli de provocation au coin de la lèvre.
« élysée 2007, et si c'était elle… », proclame l'hebdomadaire. Et cela fait bien rire Ségolène, car l'hypothèse ne fait plus rire personne, justement. Au contraire, les éléphants socialistes tremblent devant cette femme au doux visage.
Ségolène est si fière. C'est comme si elle avait forcé la porte d'un de ces très sélects clubs anglais irrémédiablement interdits aux représentantes du sexe dit « faible ». Elle est confortablement installée dans un gros fauteuil en cuir, regarde droit dans les yeux ces vieux gentlemen choqués par tant d'insolence et d'arrogance. Quelle impudence d'avoir le front de venir les narguer sur leurs terres ! Peut-être que, tout à l'heure, une fois qu'ils auront recouvré leurs esprits, la prieront-ils avec beaucoup d'égards de rejoindre d'autres salons, réservés aux femmes ? Mais si elle tient vraiment à rester parmi eux, certains seraient prêts à lui concéder un strapontin. En février dernier, interrogé sur la possibilité pour Ségolène Royal d'entrer à l'élysée, l'un d'eux, Laurent Fabius, a éludé et promis, s'il était élu, de constituer un gouvernement respectant la parité hommes/femmes, au sein duquel elle aurait naturellement toute sa place. À sa place…
Ségolène enregistre la condescendance, ne répond pas et jubile. La madone des médias a pris la tête de la course à l'élysée au sein du vieux PS. Pas un socialiste ne résiste à l'inexorable popularité de Ségolène Royal. Laurent Fabius et Dominique Strauss-Kahn, qui se voyaient déjà seuls en haut de l'affiche, forts de leur carrure d'hommes d'état ? Humiliés ! Les très médiatiques et populaires Bernard Kouchner et Jack Lang ? Ils prennent un coup de vieux. Même la figure du père, Lionel Jospin, a du mal à résister au tourbillon Royal. Alors son compagnon, François Hollande, encore moins. Relégué au fond de la classe… Ségolène plaît. Ségolène aime plaire. Les socialistes devront faire avec.
Année noire pour la gauche, l'année 2005 ? Allons donc ! En tout cas, pas pour elle. Bien sûr, les premiers mois ont été durs. Très durs, même. Le référendum sur le projet de traité constitutionnel européen a constitué un véritable calvaire. François aurait pu y perdre son poste de Premier secrétaire. Elle a tout fait pour que cela n'arrive pas. Il a quand même dû renoncer à son titre de présidentiable. Elle a aussitôt repris le flambeau. Dans un premier temps, elle s'est contentée d'occuper l'espace. Début septembre, personne n'a trop prêté attention à la petite phrase, dans un entretien accordé au quotidien Le Monde, où elle n'écartait pas l'hypothèse de sa candidature à l'investiture. Dans les milieux politiques, Ségolène Royal n'est pas vraiment prise au sérieux.
Et puis il y a eu, quinze jours plus tard, cet entretien avec Jean-Marie Rouart dans Paris-Match. Oh, pas grand-chose, en fait. Elle ne fait pas la une, juste quelques pages à l'intérieur, dont l'une avec sa fille, Flora. Jouant au badminton avec sa mère. Et puis, quelques petites phrases habilement distillées : « S'il s'avère que je suis la mieux placée, et donc que je suis sollicitée par le PS parce que je peux faire gagner mon camp, je le ferai (…). Cela n'est possible que si François me sollicite et me soutient. » Que de précautions pour une candidature ! Mais le coup médiatique est très joli. Un modèle du genre, même. Ségolène s'affiche comme une femme comblée par sa vie privée et sa vie professionnelle, dont l'ambition élyséenne tombe comme une évidence tranquille. Elle use d'un seul argument : sa qualité de femme. Sur le fond, cette pseudo-candidature n'a rien de bouleversant. Sur la forme, c'est le véritable tournant de l'aventure présidentielle de Ségolène.