INTRODUCTION
La crise qui a frappé les relations intra-européennes et le dialogue transatlantique, et qui persiste en 2004, incite à s’interroger sur un contexte d’actualité géopolitique et sur une plus longue durée de solidarité idéologique ou d’éloignement et de rupture entre l’Europe et les États-Unis depuis la fin de la guerre froide (chapitres Iet II).
L'étude des malentendus transatlantiques se dirigeait spécifiquement avant 1989-1991 sur le cas français, celui d’une France défaite en 1940 et qui ne pouvait totalement abdiquer sa culture nationale de souveraineté et de vocation universelle à la fois, face au déploiement de la mission des États-Unis soutenue par la puissance. La guerre froide, à partir de l’année 1947, quand Londres et Paris s’adressent à Washington pour y chercher soutien économique et protection militaire contre l’expansion soviétique et communiste marque le début d’une ère de partage de valeurs occidentales jugées fondamentales. Les mobilisations dans le combat pour les Droits de l’Homme après la Conférence d’Helsinki de 1975 témoignent de cet engagement symphonique où un dissident comme Soljénitsyne peut être entendu des rives de la Seine à celles du Potomac… Quelles qu’aient été les divergences entre les États-Unis et l’Europe de l’Ouest, la solidarité essentielle appuyée par une défense commune autour de l’OTAN n’a pas été brisée entre 1947-1949 et 1989. Les repères chronologiques, la guerre froide, la Détente des années 1970, le retour à la guerre froide des années 1980 sont communs d’un côté et de l’autre de l’Atlantique. En France, la condamnation radicale de la guerre américaine au Vietnam par le général de Gaulle n’est pas allée jusqu’à une consommation de la rupture avec Washington et le Président Nixon sert la main de De Gaulle lors de son voyage en Europe via la France, au début de l’année 1969.
Les évolutions de l’après-guerre froide impliquent des données nouvelles. Avec l’effondrement et le recul de l’empire soviétique, une Autre Europe, celle des ex-démocraties populaires, cherche une intégration dans un espace de paix, de stabilité, de sécurité et de prospérité (chapitres III, IVet V). La sécurité renvoie, une nouvelle fois, vers la puissance américaine : les États-Unis ne sont-ils pas les grands vainqueurs de la guerre froide ? Cette Autre et Nouvelle Europe a entamé des relations à la fois quasi naturelles et pourtant pleines de désillusions avec la Vieille Europe qui se pense et se construit depuis plus de cinquante ans. Ces relations qui supposent un partage de représentations communes et l’acceptation de règles se développent en une synchronie non dépourvue de tensions et de heurts, à travers le dialogue noué par les États-Unis avec l’Europe sortie du communisme et la Russie sortie de l’URSS. Ces quinze dernières années sont marquées au sceau de la concurrence et de la compétition de puissance (chapitres VIet VII). La complication réside dans le fait que la Vieille Europe et les États-Unis semblaient s’accorder en 1990 sur un faisceau de références et sur une mémoire commune ; or, il semble que cette idéologie ait éclaté après le 11 septembre 2001 (chapitre 7). La Nouvelle Europe glisse vers un tropisme américain, la Vieille Europe se débat et s’accroche à une promotion de l’ONU comme lieu de positionnement de la communauté internationale, comme lieu de l’énoncé du droit international (chapitre VIII).
Ces évolutions compétitives s’inscrivent dans le contexte de guerre anti-terroriste, assumée par les États-Unis depuis l’automne 2001. Elles sont soutenues par un langage politique radical, celui du groupe des néo-conservateurs qui nourrissent la légitimation idéologique de l’administration républicaine. Elles débouchent sur des formules abruptes érigées en concepts, destinés à cadrer et à entériner la fracture entre l’Europe et les États-Unis pour le futur. La dramatisation de la guerre puis de l’après-guerre en Irak fait croire à un conflit en profondeur entre les États-Unis et la Vieille Europe.
Faut-il accepter que les failles transatlantiques s’érigent en frontières durables, alors que ce sont des systèmes politiques, et des sociétés riches du Nord qui, de Washington à Paris en passant par Berlin, Londres, Madrid ou Rome, se trouvent confrontés à des interrogations internes et externes pour lesquelles ils n’ont pas de réponse et à une remise en question des systèmes conçus et voulus comme démocratiques depuis la fin du XVIIIe siècle, qui s’épuisent et ne convainquent plus ?