I
LE RETOUR D'UN CASQUE JAUNE
Ce jour-là, Ron Dennis en a la confirmation. Il ne s'est pas trompé. De sa démarche légèrement sautillante, il se dirige vers le podium de Silverstone. Un petit sourire – ou est-ce une grimace ? – se dessine sur son visage. Chemin faisant, il reçoit quelques félicitations qui le comblent d'aise même s'il n'en montre rien. Ne jamais offrir ses émotions en spectacle, c'est un principe chez cet homme toujours soucieux de son image. Ancien mécanicien de course, il est devenu l'un des patrons les plus en vue de la formule 1 à la tête de l'écurie McLaren. Depuis le milieu des années 80, avec Niki Lauda, Alain Prost et Ayrton Senna, puis Mika Hakkinen avant de basculer dans un nouveau siècle, il a fait courir des champions du monde qui ont contribué à écrire l'histoire moderne de la formule 1. Mais c'est vers l'avenir que s'est toujours tourné cet Anglais visionnaire et ambitieux.
Pour lui, en cet été 2006, le futur a pour nom Lewis Hamilton. Le jeune homme, qui est sous contrat avec McLaren-Mercedes depuis ses débuts en karting, vient de réaliser une course d'anthologie pour s'imposer dans l'épreuve de GP2, une catégorie qui se produit en ouverture des courses de formule 1 disputées en Europe.
Sur l'un des circuits de référence de la saison, et même s'il n'est pas encore assuré du titre, Hamilton s'est vraiment comporté en champion, mystifiant ses adversaires les uns après les autres pour remporter l'une des plus belles victoires de sa jeune carrière. Alors que l'hymne britannique résonne dans les tribunes du circuit anglais, Ron Dennis, qui a été rejoint par sa femme Lisa au pied de l'estrade, se tient droit comme un i. Anthony, le père du vainqueur, s'accroche à la barrière et parvient à maîtriser son émotion. La plupart des curieux ou des professionnels de la course qui sont venus assister à la cérémonie ont vraiment le sentiment qu'ils sont en train de vivre un moment privilégié, un de ces instants magiques et rares : l'éclosion d'un phénomène. Anthony reçoit avec gourmandise les congratulations qui sont en fait destinées à son rejeton. Il y voit la récompense de longues années de travail et de sacrifices.
Sur la plus haute marche du podium, Lewis lâche parfois la casquette qu'il tient à deux mains devant lui pour adresser un signe du pouce à un proche ou à une connaissance qu'il a repérée au milieu de la foule. Son sourire irradie et transmet son bonheur au parterre d'enthousiastes venus l'applaudir.
Ce dimanche matin 11 juillet 2006, à Silverstone, Ron Dennis est conforté dans son idée de faire de Lewis Hamilton l'un des deux titulaires de son écurie de formule 1 la saison suivante. Bien sûr, il gardera cette décision pour lui quelque temps encore. Les effets d'annonce, même pour des secrets de polichinelle, sont longuement travaillés en formule 1. Avec l'Espagnol Fernando Alonso en chef de file et Lewis Hamilton pour le seconder, son duo de pilotes aura vraiment fière allure.
Quelques minutes après la cérémonie du podium, sa combinaison de course exhalant encore quelques effluves du champagne de la victoire, le jeune pilote anglais pénètre comme chez lui dans le luxueux motor-home de l'équipe McLaren-Mercedes. Il est un des rares pilotes de GP2 à avoir accès libre au sanctuaire qu'est cet espace situé derrière les stands et que les experts de la formule 1 appellent le « paddock ». Mansour Ojjeh, l'homme d'affaires saoudien associé à Ron Dennis, est le premier à féliciter le jeune homme. Plus que jamais, devant la stature imposante du copropriétaire de l'écurie, Lewis a l'air d'un enfant. Un enfant surdoué, mais un enfant quand même.


Malgré un été resplendissant agrémenté de quelques belles performances, Lewis Hamilton ne connaît pas une fin de saison aussi tranquille que prévu. Un autre surdoué, enfant de la balle comme lui, le jeune Nelsinho Piquet – le fils du triple champion du monde brésilien –, lui oppose une résistance pugnace qui ne donnera que plus d'éclat à la couronne de champion si Lewis parvient à la ceindre.
Le samedi 9 septembre 2006, c'est fait. À la veille du Grand Prix d'Italie, l'Anglais ajoute une ligne dorée à son palmarès déjà riche. Après de multiples consécrations en karting, en formule 3 anglaise puis internationale, voilà qu'il s'impose dans un championnat très relevé, considéré comme l'antichambre de la formule 1. Il succède ainsi à son pote Nico Rosberg au palmarès de cette catégorie. Nico – lui aussi fils d'un ancien champion du monde de F1 – est la révélation de la saison qui s'achève. Le jeune Allemand fut d'ailleurs l'équipier et l'un des plus farouches adversaires de Lewis en kart. Pour l'Anglais, reste à franchir le dernier obstacle pour le rejoindre au sommet du sport automobile. Un objectif pour lequel il se prépare depuis des années, depuis son plus jeune âge, en fait.