Introduction
Il faut attendre la fin du XIXe siècle pour que l'histoire soit enseignée, en France, à tous les niveaux, de la maternelle à l'université. La généralisation de son enseignement est donc contemporaine de l'enracinement de la Troisième République. Pourtant, les régimes monarchiques ne se sont pas opposés à son éclosion : à la fin de l'Ancien Régime, l'apprentissage de l'histoire est déjà présent dans les collèges et, après des fortunes diverses, il est fortement développé par la monarchie de Juillet et le Second Empire. Bien plus, si l'on veut en rechercher les premières ébauches, c'est encore plus haut qu'il faut remonter, jusqu'au temps de Louis XIV. C'est donc une durée de plus de trois siècles qu'il nous faut envisager. Notre étude se bornera à l'histoire scolaire, celle qui est enseignée dans les établissements primaires et secondaires1. L'enseignement supérieur ne sera évoqué qu'en tant qu'institution dispensant aux futurs professeurs le savoir de référence et participant à leur sélection. Quant à l'épistémologie de l'histoire et à l'historiographie, elles ne seront prises en compte qu'à travers leurs résonances dans la conception des programmes et des instructions pour la mise en œuvre de ces derniers2.
Même délimité ainsi, le champ est vaste. La recherche en histoire de l'éducation l'a inégalement exploré : comme pour les autres disciplines, l'« amont » de l'acte éducatif est beaucoup plus connu que l'« aval ».
L'« amont », ce sont d'abord les textes qui disent ce qu'il faut enseigner et comment il faut s'y prendre : documents officiels normatifs (programmes et instructions3, ouvrages et revues pédagogiques qui suggèrent des démarches. Ce sont aussi les outils mis à la disposition des enseignants et des élèves, au premier rang desquels figurent les manuels scolaires. Sur ces aspects, les sources sont aisément accessibles et la recherche déjà bien avancée.
L'« aval », ce sont la manière dont se déroulent les cours d'histoire et l'impact que peut avoir l'apprentissage scolaire de cette discipline. Dans ces domaines, malgré la multiplication des recherches depuis environ trois décennies, la moisson est beaucoup plus maigre. Les sources sont, ici, de trois niveaux. À l'échelle de l'ensemble du système éducatif, ou de telle ou telle de ses grandes composantes, on dispose de quelques rapports de synthèse, tels ceux d'Himly et Levasseur (1871) ou de Girault (1983) ou ceux qu'adresse au ministre l'inspection générale d'histoire et de géographie. À l'échelle des classes, on peut avoir recours aux analyses de situations d'enseignement faites lors d'inspections et dans le cadre d'enquêtes réalisées par des chercheurs ou encore aux comptes rendus publiés dans les revues professionnelles par des enseignants témoignant de leur pratique. Enfin, à l'échelle des individus, on peut disposer de rapports individuels d'inspection ou de travaux écrits d'élèves (cahiers, copies) : l'accès aux premiers est réglementé ; quant aux seconds, ils restent dispersés et se présentent rarement en séries continues. Quant aux témoignages d'anciens élèves ou d'anciens maîtres évoquant le souvenir des cours d'histoire qu'ils ont vécus ou des manuels qu'ils ont utilisés, ils sont rares, souvent vagues, parfois polémiques ou stéréotypés.
Ce livre, dont l'objectif est de proposer un état de la question, reflète le déséquilibre actuel de la recherche en histoire de l'éducation. Il apporte, nous en sommes conscients, plus d'éléments sur ce qu'il est prescrit d'enseigner — et pourquoi — que sur ce qui l'est réellement — et comment.
Il est construit comme un récit, un récit dont les étapes successives sont à la fois traversées par diverses interrogations et, pour une part, délimitées par les réponses qui leur sont données. Ces interrogations peuvent être ramenées à cinq : pourquoi, pour qui, quoi, comment, par qui ?
Pourquoi ? Quelles finalités sont assignées à l'apprentissage de l'histoire par la jeunesse ? Quel rôle particulier est donné à l'histoire parmi les diverses disciplines ? Qui définit ce rôle ? Dans les débats que suscitent ces questions, quel est le poids relatif des institutions en charge de l'enseignement, des groupes de pression, voire, plus largement, de l'opinion publique ? Bref, quelle est la fonction sociale de l'enseignement de l'histoire et, plus généralement, de l'histoire elle-même ?