CHAPITRE PREMIER
Les bases
LA SEINE
Paris est né de la Seine. Le fleuve coule là en plein centre de la cuvette géologique qui s'étend jusqu'aux côtes de Normandie et de Lorraine, dans une stratification de couches calcaires de la fin du secondaire et du tertiaire, entrecoupées de marnes blanche et verte, de meulières, de sables, de grès et de gypse. Les principales couches qui forment les buttes et les plateaux dominant les vallées sont de calcaire meuliérisé, exception faite de la région entre la Seine, la Marne et l'Oise, qui sont d'un calcaire éocène un peu plus ancien. L'alternance entre les calcaires et les marnes est évidemment favorable à de multiples nappes phréatiques, qui se traduisent, au long des affleurements des reliefs, par des alignements de sources. Creusant, alluvionnant, décrivant ses méandres en y déposant sables et graviers alors qu'il approche du niveau de base (le niveau moyen du fleuve est aujourd'hui à 26 mètres au-dessus de la mer), le fleuve a déterminé le site. La Seine est un fleuve de plaine, assez égal dans son débit, alimenté qu'il est par un large bassin que drainent des rivières qui convergent précisément dans le voisinage de Paris. Cette concentration, qui assure la régulation en temps normal, est la principale cause des crues lorsque s'additionnent les hautes eaux de la Seine, de l'Aube, de l'Yonne et de la Marne.
Le site se lit aisément. Il tient à l'abaissement du niveau de base au quaternaire : la large Seine s'est contentée d'un lit plus étroit, et l'a recreusé au milieu de l'ancien. Par-delà le méandre actuel subsiste l'amphithéâtre dessiné sur la rive droite par l'ancien méandre que la Seine a abandonné à l'époque où l'homme, déjà, polissait la pierre de ses outils mais dont les sources voisines font un marécage presque continu autour d'un plateau qui sera celui des Halles. On le retrouve dans le Paris contemporain, autour des boulevards qui, de la Concorde à la Bastille, ceinturent le centre de la ville. Il demeure, jusqu'au XVIe siècle, la zone inondable par excellence, celle dont les marais justifient en permanence le franchissement par des ponceaux et que gonflent à la moindre crue les résurgences de la nappe phréatique. C'est là que nous trouvons, du Moyen Âge au XIXe siècle, les principaux égouts de la capitale. En 1910 encore, la crue de la Seine rappellera la proximité de la nappe phréatique aux habitants du quartier Saint-Lazare obligés de circuler en bateau.
L'abaissement du fleuve et son amoindrissement ont asséché quelques bras que laissait subsister l'ancien lit. C'est le cas de ce bras mort qui, sur la rive gauche, double au sud le lit actuel et que souligne la déclivité dans laquelle s'insèrent au XIIe siècle le nouveau cours de la Bièvre à l'est, au XIVe le canal creusé par Saint-Germain-des-Prés pour alimenter en eau ses fossés à l'ouest. Comblé en 1540, il est aujourd'hui occupé par les rues Jacob et de l'Université. Autre conséquence de l'abaissement de la Seine, il fait émerger une douzaine d'îles constituées par les anciens hauts-fonds. Elles vont pour longtemps embarrasser la navigation, mais elles facilitent le franchissement du fleuve.
De forts escarpements à plus de 60 mètres, voire à 120, dits collines ou buttes, sont sur la rive droite les vestiges de la rive concave de l'ancien méandre : ils ont aujourd'hui nom Chaillot, Montmartre (le point culminant, à 129 m), Belleville (d'abord Poitronville), Ménilmontant (un ancien Mesnil-Mautemps), Charonne. Au centre, deux «monceaux» offrent un habitat mieux protégé des divagations du fleuve : le monceau Saint-Gervais est encore perceptible derrière l'Hôtel de Ville, le monceau Saint-Jacques a cessé de l'être, nivelé par Haussmann lors du percement de la rue de Rivoli et du boulevard de Sébastopol. La rive gauche, elle, porte encore la trace de l'ancien lit, que bordaient les hauteurs de Sèvres et de Montrouge aux limites du plateau, ainsi que les escarpements plus proches de Montparnasse, de Sainte-Geneviève et de la Butte aux Cailles.
L'étiage est rarement dramatique, les crues rarement catastrophiques. On peut encore naviguer en juillet-août. Il arrive même que les orages provoquent des crues alors qu'on attendrait l'étiage. Malgré la fonte des neiges qui grossit les eaux venues du Morvan ou du plateau de Langres, on passe encore normalement sous les ponts en mars-avril. Lorsque la crue de printemps interdit le passage, alors que les provisions de vin sont faites depuis longtemps, c'est le prix des bûches, des fagots, du foin et autres pondéreux qui enchérit. Le gel interdit souvent la navigation pendant quelques semaines de janvier et février, et la débâcle qui suit emporte parfois les ponts, mais la Seine est plus souvent gelée en amont que dans Paris. De tels incidents garderont toujours un caractère exceptionnel, et l'on parle longtemps des hivers où les Parisiens ont franchi le fleuve à pied sec. On s'attend à la crue annuelle, qui survient entre janvier et avril. On s'étonne quand une crue submerge brutalement la place de Grève en juin, compromettant la bonne ordonnance du feu de la Saint-Jean : force sera même, en 1426, de déplacer le bûcher déjà allumé.