Introduction
« Notre grand tourment, dans l’existence, vient de ce que nous sommes éternellement seuls, et tous nos efforts, tous nos actes, ne tendent qu’à fuir cette solitude. »
Guy de Maupassant




Depuis la fin des années 1970, le nombre de personnes vivant seules ne cesse d’augmenter dans les sociétés occidentales. Simple caprice conjoncturel ou évolution sociale irréversible ? Les sociologues penchent plutôt pour cette deuxième explication. Car ce n’est pas seulement le nombre de célibataires qui croît, c’est toute la structure familiale qui vacille sur ses fondations ancestrales fragilisées en ce début de millénaire.

Le nombre de divorces est en constante augmentation, tout comme celui des couples vivant sous le même toit sans être mariés. On ne se marie plus « pour la vie », on s’unit plutôt « à l’essai ». On met l’union à l’épreuve de la vie quotidienne en lui demandant de devenir le creuset de l’épanouissement personnel. Et, lorsque les problèmes apparaissent, on s’autorise rapidement à mettre fin au contrat. C'est alors que commence une période de solitude, ou du moins de « vie hors couple », dont on ne sait jamais combien de temps elle risque de durer.
Si cette situation est largement acceptée, elle n’est pas toujours vécue dans de bonnes conditions. Certains voient dans ces périodes une parenthèse agréable et constructive, alors que d’autres donneraient n’importe quoi pour s’extraire de cette confrontation pénible avec eux-mêmes.
Vivre en solo : une nouveauté sociologique
Il y a encore quelques décennies, les personnes seules faisaient peur. On n’invitait pas souvent les femmes sans mari car on les considérait comme de potentielles « briseuses de ménage ». À moins que l’ombre d’une malédiction ne pesât sur leurs épaules : « Elle doit avoir un problème pour ne pas trouver à se caser ! » Quant aux hommes, ceux qui persistaient dans le célibat avaient une réputation au mieux de séducteurs impénitents, au pire de rabat-joie ou d’handicapés du sentiment. Dans un cas comme dans l’autre, ils étaient montrés du doigt et ne pénétraient pas facilement dans les cercles sociaux des couples bien installés.

Aujourd’hui, vivre seul, hors du mariage ou de l’union officielle, ne choque plus personne. Les structures sociales admettent le célibat, de même qu’elles autorisent les couples atypiques : passés ou non devant monsieur le Maire, vivant ou non sous le même toit… Chacun peut choisir un cadre plus ou moins souple pour sa vie relationnelle, jusqu’à décider de vivre seul, sans liens ni attaches sentimentales.
LE CÉLIBAT EN CHIFFRES
Les études démographiques montrent que, dans tous les pays occidentaux, le nombre de célibataires augmente régulièrement.
Selon une étude effectuée par l'INSEE en 1999, 31 % des ménages français étaient constitués de personnes vivant seules (18,5 % de femmes et 12,5 % d’hommes). Dix ans plus tôt, ils étaient moins de 25 %.
Dans certains pays d’Europe, le nombre de personnes vivant seules est plus élevé : 39 % en Allemagne, contre 26 % au Danemark ou 27 % au Luxembourg. Alors que, dans les pays plus méridionaux, l’évolution est un peu plus lente : on compte 17 % de ménages d’une personne en Espagne, 19 % en Grèce et 21 % en Italie. On note la même évolution aux États-Unis, où le nombre de personnes vivant seules est passé de 13 % en 1960 à plus de 26 % en 2004.



Entendons-nous bien : le célibat ne relève pas toujours du choix. Et c’est bien là le problème ! Car, si certaines personnes optent délibérément pour ce mode de vie, d’autres s’y trouvent contraintes à la suite d’une séparation, d’un divorce ou d’un deuil. La solitude devient alors une obligation, et parfois même une vraie souffrance. « La vie en solo n’est pas toujours délibérément recherchée, affirme le sociologue de la famille Jean-Claude Kaufmann1. Pourtant, un nombre grandissant de ceux qui la vivent ne souhaite plus en sortir (du moins pour une période), ou devient plus exigeant sur les conditions de cette sortie. » Voilà pour le côté brillant de la médaille…

Cependant, il en est d’autres qui ne voient que sa face terne. Ils cherchent à fuir à tout prix cette réalité douloureuse et s’engagent dans la quête effrénée d’une nouvelle âme sœur en espérant que ce partenaire idéalisé saura panser leurs plaies et compenser les manques qui nourrissent leur souffrance intérieure. La vie en solo devient pour eux un épisode qu’il faut absolument écourter – quitte à se fuir soi-même et à renoncer à ses aspirations les plus profondes. Les nouveaux moyens de rencontre (sites Internet spécialisés, plates-formes d’échange ou de discussion en ligne…) accentuent encore ce mouvement en maintenant les candidats à la rencontre dans l’illusion d’une forme de facilité relationnelle. Or, si ces outils virtuels facilitent effectivement la mise en relation, ils n’aident en rien à la construction du couple qui peut éventuellement en découler.