1.
Quatre ans plus tard…
Hamley’s, le célèbre magasin de jouets londonien, fourmillait d’enfants et de leurs parents. Ann tenta de se frayer un chemin dans la foule, tout en regardant les milliers d’articles en promotion autour d’elle. La plupart étaient encore bien trop chers, mais certains lui donnaient d’excellentes idées de cadeaux.
Depuis qu’elle avait empoché le chèque de Nikos Theakis et abandonné Ari, elle avait passé très peu de temps en Angleterre. Etre de retour dans son pays lui procurait un sentiment d’irréalité.
Quatre années s’étaient écoulées depuis sa séparation d’avec son neveu, et elle continuait cependant d’être assaillie par la culpabilité. « Oh, Carla, dis-moi que j’ai pris la bonne décision, dis-moi qu’Ari est heureux… »
Tout ce qui importait était qu’il connaisse, ainsi que l’avait promis Nikos Theakis, une enfance idyllique.
Une tristesse familière l’envahit tandis qu’elle repensait au jugement du frère d’Andreas sur sa sœur et au mépris évident dans son regard lorsqu’il l’avait regardée prendre le chèque.
Les yeux embués de larmes, elle contourna un étalage de peluches. Interloquée par leur prix exorbitant, elle ralentissait le pas quand une conversation de l’autre côté de l’allée centrale attira son attention.
— Ari, mon chéri, parle anglais. Nous sommes à Londres maintenant.
Lentement, Ann tourna la tête. Son regard s’arrêta un instant sur l’immense voie ferrée où des trains miniatures circulaient en sifflant, avant de se poser sur un bambin encadré de deux femmes.
Tous trois lui tournaient le dos.
— C'est le train qu’oncle Nikki est allé m’acheter ! annonça l’enfant d’une voix flûtée.
Tandis que la plus jeune des deux femmes se penchait vers lui, Ann reconnut, le souffle coupé, la nourrice qui lui avait enlevé Ari.
Seigneur ! Cet enfant ne pouvait donc être que…
Au bord du vertige, elle les fixa, tétanisée. Soudain, la nurse tourna légèrement la tête dans sa direction, et leurs regards se croisèrent. La jeune femme la dévisagea d’un air surpris et, s’en apercevant, l’autre femme, plus âgée, élégante mais d’apparence fragile, se retourna à son tour et l’observa avec curiosité.
C'était probablement la grand-mère d’Ari ! Après avoir murmuré quelques mots à la nourrice, qui hocha lentement la tête, elle se dirigea vers Ann.
— Veuillez m’excuser, lui dit-elle d’une voix un peu hésitante, teintée d’un léger accent étranger. Mais… est-il possible… ? se peut-il… ? quelque chose en vous me fait penser à mon petit-fils…
Ann déglutit péniblement, la gorge nouée. Au même instant, une silhouette masculine apparut dans son champ de vision. Vêtu d’un pardessus de cachemire, Nikos Theakis revenait à grands pas des caisses du magasin, cherchant son neveu du regard. Dès que ses yeux se posèrent sur elle, il se pétrifia.
— Oui, je suis bien Ann Turner, la tante d’Ari, répondit-elle, s’avançant vers eux.
Ensuite, tout se brouilla dans sa tête. Le visage rayonnant, la grand-mère d’Ari prit ses mains dans les siennes, tandis que Nikos Theakis fonçait dans leur direction, l’air furieux.
— Doux Jésus, c’est incroyable ! dit Sophia Theakis en anglais à son fils. Nikki, cette jeune femme est la tante du petit Ari !
Nikos Theakis resta de marbre.
— Incroyable, en effet, répliqua-t-il d’une voix acerbe.
Sa mère ne remarqua rien. Déjà, elle entraînait Ann vers Ari, toujours plongé dans l’observation des trains miniatures.
Après avoir doucement posé le bras sur l’épaule du garçonnet, la mère de Nikos Theakis lui murmura quelques mots en grec. L'enfant tourna la tête et, pour la première fois en quatre longues années, Ann contempla le petit garçon qui n’était encore qu’un bébé la dernière fois qu’elle l’avait vu.
Très vite, le visage de l’enfant devint flou à cause des larmes qui lui embuaient les yeux. S'accroupissant, elle prit ses petites mains dans les siennes.
— Bonjour, Ari, dit-elle d’une voix douce.
Il fronça légèrement les sourcils.
— Ya-ya dit que tu es ma thia. Mais je n’ai pas de thia, juste un thios, mon oncle Nikki. Tu es mariée à oncle Nikki ? Parce que , tu serais ma thia, conclut-il avec une logique imparable.