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Bonjour
« Tu es une des rares personnes que je connaisse à savoir dire bonjour ! » me confie un jour une cliente. Interloquée par cette remarque, j'ouvre de grands yeux interrogateurs. Elle m'explique : « Quand tu m'accueilles, tu es vraiment là, totalement présente à moi et cela se sent dans ton sourire, dans tes yeux et dans ta manière de prononcer ce simple mot : bonjour. »
J'ai alors réalisé que j'avais fait mienne cette phrase d'Éric Berne, père de l'Analyse Transactionnelle : « Dire bonjour correctement, c'est voir l'autre personne, prendre conscience d'elle, se manifester à elle et se tenir prêt à ce qu'elle se manifeste à soi.(…) Pour dire bonjour, on se débarrasse de tous les détritus accumulés dans la tête depuis qu'on est venu au monde. Ensuite on reconnaît que ce bonjour particulier ne se reproduira jamais. C'est là un apprentissage qui peut demander des années. »
Dire bonjour, c'est voir l'autre, le reconnaître, l'accueillir, lui manifester de l'estime – je vous estime suffisamment pour m'adresser à vous –, lui donner une place dans notre paysage. Être présent à l'autre fait toute la différence dans un simple salut. Saluer « par politesse » demanière automatique, sans prendre le temps de respirer, de regarder l'autre, ne produit pas les mêmes effets. Lorsque le mot bonjour sort de votre bouche, tout un travail inconscient a été mené par votre cerveau. Le dire trop vite court-circuite ce travail interne, et si vous ne respirez pas en prenant le temps d'être vraiment présent à ce qui se passe, vous laissez la place aux apprentissages inconscients de votre enfance. Vous dites bonjour, mais le volume, le ton, la direction des yeux, votre poignée de main, tout dit votre rapport à vos parents : soumission, bravade… et bien sûr cela influence le regard que va porter sur vous votre interlocuteur.
Nous comprenons bien que, si dans le passé, nous avons souffert de l'attitude d'un proche, nous avons tendance à aborder les nouvelles personnes avec plus ou moins de méfiance. Mais le phénomène est si automatique et inconscient que la projection est le plus souvent abusive. Notre méfiance est injustifiée puisque nous n'avons encore aucune expérience avec cette personne en particulier. Parfois, la réalité est juste teintée de rose ou de noir, comme si nous portions des lunettes de couleur, d'autres fois, elle est fantasmée. Pour peu que les enjeux soient importants pour nous, il est probable qu'alors, nos systèmes de stress et de protection soient pleinement activés.
Si nos parents ont exigé obéissance et soumission, nous aurons tendance à adopter cette attitude d'obéissance et de soumission face à la hiérarchie, voire à généraliser cette attitude à toute personne. Si nous avons appris à nous considérer nous-même comme insignifiant, notre bonjour sera teinté de cette insignifiance.
Si un frère nous terrorisait, la vue de toute personne qui lui ressemble, ne serait-ce que parce qu'elle a un âge proche de celui du frère en question, déclenchera l'alerte de l'amygdale1. Bien sûr, nous allons nous contrôler et nous comporter correctement, mais si la fuite est impossible, nos yeux seront probablement fuyants, hors de notre contrôle, et notre voix n'aura pas la fermeté habituelle.
Notre cerveau nous simplifie la vie en automatisant ses réponses. Il assimile les nouvelles informations et généralise autant qu'il le peut ses réponses. Ces généralisations peuvent nous porter préjudice dans les relations humaines. Ce que nous voyons n'est pas la personne mais ce que nous projetons sur la personne. Nous ne sommes pas forcément conscients de ces projections, mais elles dirigent nos attitudes. Avec l'inconvénient majeur que cela invite une réaction de notre vis-à-vis. C'est un peu comme si nous le dirigions vers des comportements qui nous permettent de confirmer nos croyances.
Il est important d'être réellement présent à soi. Dire un vrai bonjour nécessite de prendre quelques instants pour plonger en soi et sentir ce qui s'y passe, nettoyer les résidus de notre passé, balayer les attentes. Présence à soi, puis à l'autre, ici et maintenant. En effet, force est de reconnaître que nous avons toutes sortes d'attentes envers autrui. Nous laissons rarement l'autre libre d'être qui il est. Notre histoire personnelle nous influence. Nos expériences passées, notre imaginaire mettant en scène nos émotions refoulées, nos projections mentales, les préjugés véhiculés par l'entourage, nous conduisent hors de notre conscience à avoir des attentes quant au comportement, aux pensées et aux sentiments des autres. Nos émotions alimentent nos projections, comme dans la petite histoire suivante.