LUNDI
1
Marie-Hélène
Il se sentit foudroyé ; la respiration coupée, la bouche sèche, la gorge nouée... en chute libre. Elle dégageait un charme fou ; environ trente-cinq ans, un mètre soixante-dix, le corps svelte, les cheveux châtains et courts, les yeux marrons que soulignaient les montures discrètes de ses lunettes. La voix était douce et posée. Le regard vif et chaleureux rassurait tandis que son sourire illuminait son visage, un sourire magnifique. Il n'y avait pas de mots pour décrire ce qu'il ressentait. Il la fixait intensément, sans réaction. Il était comme un adolescent boutonneux subjugué par la couverture de Play Boy.
– Monsieur Sirsky, c'est bien cela ? lui demanda-t-elle, assise derrière son bureau, ses doigts jouant machinalement avec un stylo.
Il acquiesça.
– Nico Sirsky. Nico, c'est bien votre prénom ? poursuivit-elle d'une voix si remarquable qu'il la reconnaîtrait désormais entre toutes.
– Oui, ce n'est pas un diminutif.
– Quelle est votre date de naissance ?
– Un 11 janvier, il y a 38 ans.
– Et que faites-vous dans la vie ?
– Divorcé.
Drôle de réponse, mais ce fut la première qui lui vint à l'esprit en la regardant. Il s'était marié trop jeune, à vingt-deux ans, et avait un enfant. Célibataire, les femmes l'intéressaient peu, sauf pour la bagatelle. D'ailleurs, aucune d'elles ne lui avait fait un tel effet. Il croyait que ces fadaises n'étaient bonnes que pour les romans ou le cinéma.
– Monsieur Sirsky ? pressa la jeune femme.
Il examina ses mains. Pas d'alliance.
– Monsieur Sirsky ? !
– Qu'est-ce que vous voulez savoir ? interrogea-t-il, tout penaud.
– Connaître votre profession, cela suffira !
Quel con il faisait...
– Commissaire divisionnaire.
– Plus précisément ?
– Chef de la brigade criminelle de la Police judiciaire de Paris.
– Au 36 quai des Orfèvres ?
– Tout juste.
– Je suppose que c'est un métier stressant.
– C'est vrai. Mais pas plus que le vôtre, je suppose.
Elle sourit. Elle était merveilleuse.
– C'est donc votre beau-frère, le docteur Perrin, qui vous envoie, reprit-elle sur le ton banal de la conversation.
Sa sœur avait insisté ; elle se comportait comme une seconde mère pour lui.
– Que vous arrive-t-il exactement ?
– Pas grand-chose.
– Je vous en prie, laissez-moi en juger, monsieur Sirsky.
– Depuis environ trois mois, j'ai mal à l'estomac.
– Avez-vous déjà consulté ?
– Jamais.
– A quoi ressemblent ces douleurs ?
– A des brûlures, lâcha-t-il en soupirant. Parfois à une crampe...
Avouer une faiblesse n'était pas dans sa nature.
– Etes-vous plus angoissé ou plus fatigué que d'habitude ?
Il fit une moue dubitative. Son travail lui pesait ; il se réveillait en pleine nuit hanté par l'image de corps ensanglantés. Impossible de partager l'angoisse qui l'assaillait. Avec qui aurait-il pu le faire ? Ses collègues ? Il y avait bien de temps en temps des soirées passées à plaisanter sur les cadavres comme pour en chasser les fantômes. Mais cette habitude décrite dans les feuilletons n'était guère de mise en réalité. Rien de mieux que de rentrer chez soi, de retrouver sa famille et les exigences du quotidien pour garder les pieds sur terre. Les petits tracas avaient le mérite de remettre les priorités à leur place et de faire oublier les situations sordides de la journée ! C'est pour cette raison qu'il avait décidé de recruter parmi les hommes mariés, pères de familles : quatre-vingts pour cent de ses effectifs répondaient à ce critère. Cet équilibre était nécessaire pour résister à la pression des affaires de la brigade criminelle, lui seul ne respectait pas la règle qu'il imposait aux autres.
– Monsieur Sirsky, vous n'avez pas répondu à ma question, s'agaça la jeune femme.
Il adopta cet air buté qui faisait clairement comprendre à son interlocutrice que ses efforts étaient inutiles. Elle n'en tirerait rien de plus et changea de sujet.
– Quand ces brûlures apparaissent, avez-vous trouvé le moyen de les calmer ?
– J'ai essayé en mangeant, mais ça n'a rien changé.
– Vous allez vous déshabiller et vous allonger sur la table.
– Me déshabiller... complètement ?