DIX OBJECTIFS POUR UN CHANGEMENT DE CAP
Nous le savons : la crise écologique globale — épuisement et raréfaction des ressources, déséquilibre des grands cycles naturels, pollution des milieux de vie — est en passe de bouleverser les conditions d'habitabilité de la planète. Il faut maintenant que nous y croyions : cette crise menace d'imposer une récession brutale à l'activité économique, d'affaiblir les capacités productives, de précipiter des drames sociaux, d'inverser le sens du progrès et de fragiliser l'espèce humaine au moment où les besoins de l'humanité augmentent, à mesure de sa croissance démographique et de l'extension planétaire du modèle occidental de la société de consommation. Ce risque majeur de collapsus n'est pas contestable et, d'ailleurs, il n'est plus contesté. Il est même inévitable s'il n'est pas anticipé.
Tout se passe comme si la nature, autrement dit la réalité physique et vivante à laquelle l'espèce humaine appartient et dont elle dépend, quel que soit le génie des conquêtes scientifiques et des innovations technologiques, opposait un refus non négociable à la frénésie des activités humaines. Au monde fini que nous habitons ne saurait correspondre une croissance infinie de la consommation de matières et d'énergie. La nature commence d'ailleurs à le faire savoir, sans états d'âme : bouleversement climatique aux conséquences humaines imprévisibles, déplétion des combustibles fossiles qui constituent le moteur de notre développement, raréfaction et contamination de la première des sources de vie, l'eau, accumulation de pollutions, de molécules chimiques et de déchets toxiques préjudiciables à la santé, érosion de la diversité biologique, diminution de la fertilité des terres, des fleuves et des océans qui nourrissent les hommes...
Cette crise relève de l'humain, rien que de l'humain. Elle est la conséquence directe de nos comportements et de nos modes de production et de consommation. L'obsession quasi pathologique d'une croissance illimitée de biens, de services, de déplacements et d'innovations est identifiée à l'idée d'une civilisation évoluée. Le moteur du progrès s'est emballé. Au point que tout concourt désormais à ébranler les fondements de la société : nos organisations économiques, nos modes de fabrication, nos systèmes de transport, nos manières de nous nourrir, d'acheter, de nous loger, de travailler et de nous distraire, nos façons d'habiter le territoire ou de nous déplacer, nos petites habitudes comme nos grandes manies.
Mais c'est justement parce qu'elle relève des hommes que la crise n'est pas sans issue. Interrompre la spirale nous appartient, ici et maintenant, à commencer par ce pays — la France — dont nous sommes les citoyens. Le moment est venu de donner un contenu au terme de « développement durable » qui, depuis le Sommet de la Terre de Rio, constitue la doctrine officielle du gouvernement français comme de la plupart des autorités de la planète. Sans plus attendre, il s'agit de faire ce que les discours et les expertises répètent à longueur de temps.
Les questions que soulève l'impératif écologique sont complexes, multiformes et interdépendantes. Les réponses nécessiteront des transitions peut-être difficiles. Elles impliquent un choix prioritaire qui mobilise à la fois l'action de l'État, celle du monde économique et la responsabilité de chacun.
Nous proposons ici quelques grandes orientations dont les principes nous semblent incontournables : une économie économe dans ses flux de matière et d'énergie, une industrie reconvertie vers la production de biens durables et recyclables, une consommation d'énergies fossiles en baisse massive, une agriculture respectueuse du sol, de l'eau et des équilibres écologiques, des moyens budgétaires et fiscaux revisités, la relocalisation du travail et des activités, des circuits courts d'échange, une limitation de l'étalement urbain, un système de transports ne reposant plus essentiellement sur le mode routier, un patrimoine naturel réellement préservé, l'application du principe de précaution dans le domaine de la santé, une recherche scientifique réorientée...
La nécessité d'un changement de cap de nos sociétés s'impose dans tous les champs de l'action publique, de l'activité économique, de l'organisation sociale et des comportements individuels. Le problème n'est pas seulement d'ordre industriel, énergétique, agricole, fiscal, territorial ou scientifique. Il concerne aussi et surtout le ressort de nos existences, à savoir une course à la puissance, à la vitesse et aux consommations de tous ordres qui constitue une finalité humaine illusoire, autant qu'elle épuise les systèmes naturels. L'enjeu dépasse infiniment la sphère économique et sociale, il invite à la réorientation de nos liens collectifs et de nos trajectoires personnelles vers un mode de vie désormais inséparable de la finitude qui caractérise le milieu naturel.