Introduction
Si l'art semble être une constante de l'humain, il n'a pas toujours été qualifié et nommé en tant que tel. Si la pratique remonte à l'homme des cavernes, la notion d'artiste, qui plus est d'artiste professionnel, est récente et propre à certaines civilisations. Par ailleurs depuis des siècles l'art fait l'objet de transactions de toutes sortes, licites ou illicites, et d'enjeux multiples : œuvres sacrées à la valeur symbolique, œuvres renommées suscitant les envies et la convoitise des collectionneurs, œuvres d'artistes de génie que les puissants attirent à eux pour leur plus grande gloire. À partir du XIXe siècle avec l'industrialisation, les œuvres d'art se transforment pour partie en produits culturels, inscrits dans le circuit de la consommation de masse, porteurs d'une valeur économique de premier plan. Enfin aujourd'hui la mondialisation et la dématérialisation, qui touchent à la fois la production, la distribution et la diffusion, obligent à repenser globalement les échanges.
À qui appartiennent donc ces œuvres : à leur auteur, au commanditaire à l'investisseur qui permet leur création et assure leur fabrication et leur commercialisation, au public d'amateurs distingués qui sait les apprécier, ou au consommateur, que nous sommes tous, qui a, pour la première fois de l'humanité, accès à une véritable caverne d'Ali Baba, une infinité d'œuvres ou de produits, qu'il peut découvrir, stocker, ou échanger légalement ou non ?
Enfin dernière question : quels sont au fond ces objets ? Pendant des siècles, voire des millénaires, les œuvres ont eu avant tout une fonction rituelle ou religieuse et une dimension sacrée avant d'être considérées comme création humaine, appartenant à leur auteur. Close, indissociablement liée à son auteur, telle que l'a défini le romantisme, créée par une force intime, une nécessité intérieure, l'œuvre est-elle un « Tout » intangible et quasiment sacré, ou bien un produit conçu pour divertir, informer, cultiver tout en transmettant la dimension esthétique que lui a apporté son auteur ? Cette idée d'œuvre close revendiquée par son seul créateur appartient-elle au passé et n'est-elle plus qu'une fiction romantique, à laquelle se substituerait une sorte de flux créatif, alimenté par une pluralité d'acteurs ?
De tout temps les créations artistiques ont été à la fois réalisation individuelle et projet collectif. Lorsqu'aujourd'hui le numérique bouleverse la relation entre l'artiste et un récepteur actif, que la césure entre professionnel et amateur s'estompe et que l'œuvre échappe de plus en plus à sa définition juridique, sommes-nous dans l'extrême nouveauté ou bien ces pratiques ne renouent-elles pas avec celles des siècles passés ? C'est ce que nous allons essayer de débrouiller pour inscrire un grand débat d'actualité dans une perspective historique large.
L'art a toujours suscité convoitises, transactions troubles, admiration réciproque entre artistes et mécènes. Depuis le lointain péché de simonie, c'est-à-dire le trafic d'objets sacrés, religieux, et par extension celui des objets d'art, condamné pendant des siècles, le commerce de l'art est entaché de transgression et oscille entre sacralité et lucrativité. Le religieux et le politique ne sont jamais très loin, comme en témoignent les réactions violentes que provoquent encore aujourd'hui certaines œuvres ou certains créateurs.
Les questions, touchant aux transactions commerciales portant sur des œuvres transmuées en produits et enjeu majeur des industries culturelles, apparaissent comme cruciales. Au niveau international le débat n'est pas nouveau et la récurrence de désaccords profonds et persistants notamment dans le cadre de négociations telles que celles de l'OMC est révélateur d'approches différentes et relevant parfois de l'ordre du mal/ entendu, où du quiproquo mais aussi et surtout de la prédominance des préoccupations économiques. L'âpreté des négociations et les enjeux du vote de la Convention sur la diversité culturelle en 2005 ont réaffirmé l'importance internationale du sujet. Par ailleurs dans un monde globalisé la lutte contre le piratage, la contrefaçon ou le vol d'objets d'art constitue un objectif partagé tout comme un objet de transactions aux contreparties politiques ou économiques. Au moment où la numérisation et la diffusion incontrôlée à l'échelle planétaire de la musique, puis du cinéma et plus tardivement des livres, semblent échapper à tout contrôle effectif, la question des différents mécanismes d'appropriation des œuvres d'art et des produits culturels apparaît tout à la fois comme un enjeu économique primordial et un sujet de société de premier plan.