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Dans un écrin médiéval
Les villes du début de la Renaissance ne diffèrent guère de celles du Moyen Âge. Ce n'est qu'à partir du XVIe siècle qu'elles se modifient en profondeur par l'accélération des mutations économiques, sociales et culturelles que connaît alors la France. Cette phase de mutations, née au lendemain de la guerre de Cent Ans, prend fin dans la violence des guerres de religion. Dans ces premières décennies de l'époque moderne, le réseau urbain, encore embryonnaire, est composé de quelques grandes cités et de très nombreuses petites villes en pleine expansion. La société y est encore figée dans ses structures médiévales hiérarchisées. Lieu de l'urbanité, la ville est comme la quintessence de la civilisation. Lieu d'échanges économiques et intellectuels, la ville échappe de plus en plus à l'autorité féodale et s'affirme comme sujette du roi.
LE FAIT URBAIN DANS LA FRANCE DU XVIe SIÈCLE
Qu'est-ce qu'une ville ?
La ville est conçue tout à la fois comme un espace et une micro-société, qui se distinguent de leur environnement comme un fait extraordinaire. La ville n'est ni bourg, ni village et, de ses remparts, domine le « plat pays ». À vrai dire, définir la ville à l'orée du XVIe siècle n'est pas chose aisée. Il n'existe pas de critère indiscutable, mais un ensemble de caractères propres à distinguer une agglomération d'hommes et de femmes des contrées alentour.


La ville, lieu fortifié. Visuellement, le voyageur remarquerait d'emblée les remparts. La ville est d'abord pensée comme un lieu clos, dont les hauts murs d'enceinte, coûteux mais essentiels dans un pays qui a connu la guerre de Cent Ans et ses troubles civils, sont un marqueur identitaire à très forte valeur symbolique. Il y aurait en France plus d'un millier d'agglomérations fortifiées, mais certainement pas autant de villes, car d'autres critères rentrent en jeu. Dans cette masse figurent par exemple nombre de bastides* du Sud-Ouest et autres « villeneuves », issues de chartes de partages* seigneuriales.

La ville, fait juridique. Hors du commun, la ville l'est souvent par les origines juridiques qu'elle revendique, à savoir par les chartes et serments qui ont scellé son émancipation, toujours incomplète. En cela, la ville procède de l'autorité féodale tout en incarnant sa contestation, ou du moins son affaissement. En effet, les habitants de la ville sont fiers des franchises, libertés et autres privilèges concédés par le seigneur féodal sur les terres duquel la ville s'est développée. Le bourgeois est, par définition, celui qui y est reconnu comme résident et participant aux droits particuliers de la ville ; il est héritier, bénéficiaire et dépositaire de ces droits. Dans le nord du royaume surtout, les communes clament leur originalité, faisant référence aux serments de communes, prêtés au Moyen Âge contre l'autorité féodale pour lui arracher des franchises et les défendre. La distinction est plus confuse dans le sud du royaume où les villages, presque tous dotés de consulats, sont des communautés d'habitants au même titre que les villes.

Le prestige de la ville. La ville est aussi un lieu de prestige. Elle concentre un capital sacré, historique et politique qui justifie sa fonction de commandement sur le « plat pays ». Le capital sacré se mesure à l'aune des reliquaires et des églises qui les abritent, créant autant de lieux de pèlerinage qui drainent vers elle de nombreux voyageurs.
Le capital historique est d'abord question d'ancienneté, ou de l'idée que l'on s'en fait et qui peut produire bien des discours étymologiques fantaisistes. Les origines antiques sont les plus prestigieuses. Héritières des capitales de diocèse, les cités sont issues des civitates de l'Empire romain et se distinguent toujours par la résidence d'un évêque ou d'un archevêque, comme à Bourges ou à Arles.
Le capital politique, sujet à plus de changement, est affaire de concentration administrative et de résidence d'hommes de marque. Outre la présence éventuelle d'un prélat, la ville peut abriter une cour de justice prestigieuse*, comme Bordeaux et son parlement*, ou une cour princière comme Nantes et celle des ducs de Bretagne. À ce titre, le déplacement du roi et de la cour de France des châteaux de la Loire vers Paris a renforcé un prestige déjà considérable, eu égard aux origines de l'antique Lutèce.