Extrait

Les villes qui fument le crack n’aiment pas qu’on dise qu’elles sont belles. La nuit, quand elles allument leurs chandelleries minables sous la pluie, elles ont les yeux qui se rincent le sang, en mille morceaux de miroirs, dans les flaques d’eau.
Et au matin, dans le vent gris, après avoir passé les heures noires à se délaver la fièvre dans la fureur et dans le rhum, elles sont comme des filles naufragées dont la bouche lasse et solitaire se souvient à peine du prix amer et sans saveur des baisers marchandés, la veille, dans un coin avachi de l’obscurité.
Là, dans l’avant-jour encore en berne, le corps a froid, plus froid encore lorsqu’il a plu, pendant des heures, à veine ouverte, sur les pare-brise. Et que la nuit n’a pas porté conseil. Et que la peur n’a pas voulu se vidanger dans le sommeil.
À cause des pas, à cause des voix, à cause des rires, à cause des danses et des voitures, toutes les nuits, qui brûlent leur rage dans nos crânes.
Et tout le jour aussi, en boucle et exténués, d’un bout à l’autre de la ville, on voit des litanies d’automobiles têtues et contrariées, et des motards et des piétons sauvages qui recommencent leur voukoum et battent, dans tous les sens, comme dans une sorte de labyrinthe, le macadam exaspéré.