INTRODUCTION
Le langage commun désigne comme « drogues » un ensemble de substances d'origine naturelle ou produites par synthèse chimique, plus ou moins pures, ayant comme commun dénominateur leur toxicité et, souvent, leur capacité à susciter à terme un impérieux besoin de les consommer de façon récurrente. Les problèmes que pose, ou est supposée poser, leur utilisation, en termes de santé publique, justifieraient pleinement le statut juridique singulier qui leur est attaché depuis le début du xxe siècle. Pourtant, si habituelle qu'elle puisse nous sembler, cette approche n'en demeure pas moins discutable dans son fondement : de nombreuses substances légalisées (tels les médicaments), voire presque libéralisées (tels l'alcool et le tabac), répondent parfaitement à ces deux critères et se révèlent aussi toxicomanogènes que les drogues stigmatisées par le langage populaire.
Le propos de cet ouvrage est simple : approcher de façon synthétique les principales substances psychoactives, qu'il s'agisse ou non de stupéfiants, et souligner la problématique attachée à chacune d'entre elles, en termes de toxicité clinique comme en termes de capacité à susciter une dépendance. Pour réductrice que soit cette appréhension de la problématique des toxicomanies, elle permet de mieux cerner les enjeux que représente pour l'homme le recours aux innombrables substances capables de modifier son psychisme, qu'il s'agisse de médicaments, de médias chimiques dont l'usage est indissociable de pratiques chamaniques ou mystiques, de drogues culturelles dont l'usage a une valeur sociale, ou de drogues récréatives plus ou moins toxiques dont les cultures occidentalisées, en perte de repères sociaux, favorisent inconsciemment une utilisation massive et croissante.
1
LE CONCEPT DE DROGUES
Le recours à des « drogues » capables de modifier notre fonctionnement psychique est universel et intemporel. Est inédite en revanche la manière dont les sociétés modernes vivent leur utilisation, dans les faits comme dans l'imaginaire : le mal-être d'une population en quête d'échappatoires et d'expériences nouvelles, la délinquance associée parfois rapidement dans l'esprit populaire à la toxicomanie, l'explosion de la production de drogues de synthèse, l'expansion des trafics internationaux et des ventes en ligne renvoient des images inquiétantes que les études épidémiologiques ne font souvent que renforcer. Il n'est pas sans intérêt, dans ce contexte, de poser la question de l'objet même du débat : que recouvre concrètement la notion de « drogue » ?
1. QU'APPELLE-T-ON UNE « DROGUE » ?
Le persan droa (odeur aromatique) serait à l'origine du néerlandais droog, désignant de façon générique des substances végétales séchées commercialisées jadis par les apothicaires. Ceci explique que le pharmacien, aujourd'hui encore, entende comme « drogue » toute substance pharmacologiquement active sur l'organisme1.
Cette approche diffère de celle des médias et de notre langue actuelle pour laquelle une drogue est une substances active sur le psychisme (et donc « psychoactive » ou « psychotrope »), dont l'usage est réputé donner lieu à dépendance, souvent à déchéance sociale, et dont une dangerosité singulière fait généralement contrôler l'utilisation en la prohibant bien souvent (sauf exception médicale : traitement de la douleur par la morphine, traitement substitutif des toxicomanies aux opiacés par la méthadone ou la buprénorphine).
Cette distinction puise ses sources à la fin du XIXe siècle, lorsque fut stigmatisée la notion d'usage « voluptueux2 » de psychotropes, en l'espèce d'opium fumable, de morphine injectable ou de cocaïne. De cette époque datent les prémices d'une réprobation sociale des drogues, alors que leur banalisation dans les milieux artistiques, intellectuels et médicaux suscitait des interrogations quant à leur toxicité. La problématique médicale de la « toxicomanie », littéralement de la « folie des poisons », alors nouvellement posée par les aliénistes, vint entacher péjorativement le terme de « drogue », introduisant une rupture brutale dans les rapports millénaires entretenus par le genre humain aux psychotropes.
2. PEUT-ON PROPOSER UNE CLASSIFICATION DES DROGUES ?
La variété des substances psychoactives, de leurs modes d'action, de leurs effets cliniques et des modalités de leur utilisation, expliquent la difficulté à en proposer une classification univoque. Trois modèles d'intérêt différent peuvent être proposés :