INTRODUCTION
« Faites l'amour, pas la guerre ! », ce slogan des hippies des années soixante n'était pas forcément aussi utopiste et naïf qu'on ne le pensait. On peut en avoir pour preuve cette étonnante conséquence des fredaines amoureuses du Président américain Bill Clinton : l'annonce par un cinéaste soviétique, Alexandre Sorokine, du tournage d'un «film intimiste» relatant «les relations entre un haut responsable d'État américain et une jeune femme ». Le scénario de ce Titanic de la fidélité conjugale sera fondé sur le rapport du procureur Kenneth Starr et le réalisateur n'exclut pas de demander à Monica Lewinski de jouer son propre rôle. On imagine mal pareille collaboration russo-américaine, au temps de la construction du Mur de Berlin ou de la crise des missiles cubains, quand les deux superpuissances de la planète envisageaient le plus sérieusement du monde de déclencher l'apocalypse nucléaire. Il est vrai que ni Bill Clinton ni Boris Eltsine ne paraissent être à même, aujourd'hui, de jouer à la partie de poker menteur à laquelle se livrèrent, en leur temps, John Fitzgerald Kennedy et Nikita Krouchtchev. Le premier est devenu, contre son gré, la vedette d'un scandale politico-pornographique, le second est entré dans l'Histoire comme le seul chef d'État à être atteint, durant son mandat, d'une « cirrhose » du cerveau.
Pourtant, cette situation n'a rien de très nouveau. Les hommes politiques ont souvent recherché dans les flammes de la passion un moyen d'échapper aux soucis qui les assaillaient. Dans les années trente, le très modérément socialiste français Joseph Paul-Boncour écrivait à sa maîtresse cette phrase significative : « Dans tes bras, je me fous de la Yougoslavie ! », une confidence qu'aurait volontiers reprise à son compte son collègue, Louis Barthou, ministre des Affaires étrangères. Assassiné à Marseille, en 1934, avec le roi Alexandre de Yougoslavie par un terroriste oustachi, ce fringant barbichu était amateur moins d'intrigues diplomatiques que d'amours friponnes. Sous le sobriquet de Toutou, que lui valait sa passion pour les laisses et les fouets, il était avantageusement connu de quelques dames exerçant leur art, le plus vieux du monde, au One Two Two ou au Chabanais, deux des plus prestigieuses maisons closes de la capitale française, à l'époque.
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À quelque camp qu'ils appartiennent, les hommes - il faudrait y ajouter aujourd'hui les femmes — politiques ne sont point astreints à faire vœu de célibat ou de chasteté, bien au contraire. Tous, à de rares exceptions près, ont succombé aux plaisirs de la chair, voire aux charmes sulfureux des liaisons extraconjugales, par pensée ou par action. Père fondateur du socialisme scientifique et auteur d'arides traités, Karl Marx ne consacrait pas vingt-quatre heures sur vingt-quatre de sa vie quotidienne à calculer la plus-value du labeur prolétarien ou à décortiquer les manœuvres sournoises de la bourgeoisie. Marié à une aristocrate allemande et père de famille, il avait plusieurs maîtresses et laissait à son compagnon Friedrich Engels le soin de s'occuper financièrement d'elles et du produit de ses liaisons illégitimes. Après tout, ce dernier avait écrit un ouvrage intitulé L'origine de la famille, de la propriété privée et de l'État, ce qui le qualifiait indéniablement pour jouer le rôle de chaperon !
En Angleterre, dans la seconde moitié du XIXe siècle, le Premier ministre de la reine Victoria, Gladstone, était réputé pour parcourir, la nuit tombée, les rues de Londres afin d'y recueillir des prostituées qu'il conduisait jusqu'à son domicile. Là, Madame Gladstone versait à ces créatures dignes de pitié un bol de chocolat avant de les laisser en compagnie de son époux, chargé de les ramener, par un sermon bien senti, dans le droit chemin. Le pouvoir d'irradiation calorifique du chocolat étant bien connu, nul ne s'étonnait qu'à l'issue de ses séances de prêche, Gladstone ait eu un visage plutôt rubicond. Il mettait tant de passion à sauver ces pauvres âmes des flammes de l'enfer que celles-ci lui brûlaient littéralement la face. Quant au général De Gaulle, parangon s'il en fut de vertus domestiques, il avait, dans sa jeunesse, rédigé un conte plutôt canaille où il décrivait la liaison sulfureuse entre un jeune officier français et la fille d'un chef canaque, manière prémonitoire de sa part de vouloir régler les tensions intercommunautaires en Nouvelle-Calédonie, mais dont le RPCR, la branche locale du parti gaulliste de Jacques Lafleur, ne prit que tardivement conscience. L'amour est l'une des clefs de la politique, cet amour que Louis-Ferdinand Céline définissait férocement comme « l'absolu mis à la portée des caniches », d'où peut-être la fréquence de la possession d'animaux de compagnie par les grands de ce monde, depuis les carlins de la reine-mère d'Angleterre jusqu'au labrador de François Mitterrand, en passant par les chats dont Malraux aimait à s'entourer. Soyons clair ou parlons vrai, comme aimait à le dire Michel Rocard, son ancien Premier ministre, que le démon de midi a transformé en joyeux lutin: nous n'entendons pas faire ici une recension exhaustive des galipettes du personnel politique, il y faudrait de nombreux volumes et toute une vie de travail. Il ne s'agit pas non plus de juger au nom d'on ne sait quelle morale. Pas plus que des goûts et des couleurs, on ne discute des préférences sexuelles d'un tel ou d'une telle. Il ne s'agit pas de dresser un palmarès de l'infidélité ou de la déviance et, encore moins, de se livrer à une sorte de voyeurisme se dissimulant pudiquement derrière Clio. La sexualité des hommes ou des femmes politiques n'a d'intérêt que dans la mesure où elle a pu effectivement infléchir, directement ou indirectement, leurs comportements publics et le cours de l'histoire. Ce qui est en cause, ce ne sont point les pratiques sexuelles mais les conséquences politiques que peut avoir pour certains l'entremêlement entre vie publique et vie privée.