Dans la même collection

Domaine anglais et américain :

4. Josette Hérou, Précis de littérature anglaise

15. Michel Ballard, Le Commentaire de traduction anglaise

61. Anne Trévise, Le Prétérit anglais

62. Paul Larreya et Jean-Philippe Watbled, Linguistique générale et langue anglaise

75. Annie et Jean-François Lhérété, Chronologie thématique des États-Unis

91. Pierre Sicard, Histoire économique des États-Unis depuis 1945

100. Catherine Maignant, Histoire et civilisation de l’Irlande

102. Philippe Pilard, Histoire du cinéma britannique

120. Marie-Françoise Cachin et Ann Grieve, Le Roman britannique depuis 1945

133. Jean-Philippe Watbled, La Prononciation de l’anglais

140. André Crépin, La Versification anglaise

153. Annie et Jean-François Lhérété, Chronologie thématique de la Grande-Bretagne

Michel BALLARD est professeur à l’université d’Artois où il anime un centre de recherche en traductologie (le Certa) et enseigne la traduction ainsi que la traductologie. Il a publié plusieurs manuels dans le domaine de la traduction et de sa didactique.

INTRODUCTION : QUEL EST L’OBJET DE CE LIVRE ?

AIDER, aider à comprendre, aider à agir, aider à réfléchir.

On fait généralement de la traduction en première année d’université ou dans d’autres institutions sans trop savoir pourquoi, parce que c’est là, au programme, qu’il faut le faire et montrer qu’on sait le faire. Est-ce intelligent ? Nous ne le croyons pas. C’est, à la limite, absurde. La traduction est une opération difficile, complexe, qui demande une bonne connaissance des deux langues et beaucoup de métier, de l’intelligence, du doigté. Le bachelier qui sort du secondaire et entre dans le cycle des études supérieures apprend bien vite que ses connaissances en langues sont limitées. Elles ont visé jusqu’ici surtout, et ce à juste titre, à développer une certaine capacité à s’exprimer dans une langue étrangère, à communiquer ; et c’est fort bien. Il n’entre ici aucune critique à l’égard de la conception de l’enseignement des langues dans le secondaire. Ce qui nous semble plutôt critiquable, c’est l’espèce d’aveuglement général qui consiste à plonger des étudiants ayant des connaissances linguistiques insuffisantes, et n’ayant aucune idée de ce qu’est la traduction, dans l’accomplissement régulier (et régulièrement insatisfaisant) d’une pratique délicate. Beaucoup, d’ailleurs, ne s’imaginent même pas que traduire est difficile. On veut traduire, on veut agir, peut-être serait-il bon de réfléchir avant d’agir ? Il ne viendrait pas à l’idée d’un sportif, aujourd’hui, de travailler de façon brouillonne, instinctive, en tapant simplement dans une balle. On expose de la théorie, on observe les mouvements, le jeu des autres au magnétoscope. Même le monde artistique (auquel certains veulent rattacher la traduction pour en faire une activité, qui, Dieu merci, échapperait à la systématisation) n’échappe pas à ce travail préparatoire d’exposition, de décomposition, d’analyse.

 

Ce que nous proposons donc ici, c’est d’essayer de travailler de façon intelligente. C’est-à-dire en commençant par comprendre ce que c’est que traduire, avec des exposés théoriques qui s’efforcent d’en analyser les composantes, avec des exercices d’observation qui vous invitent à repérer des différences, à nommer des opérations. Et puis, à partir de la traduction, nous remonterons aux langues, à leur observation dans une situation d’équivalence, là où elles font apparaître leurs ressemblances et leurs différences. Nous vous proposons une démarche qui a toujours existé dans les disciplines artistiques : le balisage du domaine, l’observation des techniques chez les maîtres, chez les professionnels ; et puis l’utilisation de cette technique pour observer les langues. C’est-à-dire essayer de percevoir et de comprendre le fonctionnement de l’anglais par rapport au français, mais aussi creuser et affiner la perception et la connaissance que l’on a de sa propre langue. Ce n’est pas un hasard si les étudiants de lettres modernes ont droit à un enseignement de langue étrangère : on ne prend pleinement conscience de certains aspects de sa propre langue que par comparaison ; mais encore faut-il se donner les moyens d’effectuer ces comparaisons. Ce n’est pas la seule pratique instinctive de la traduction qui peut y parvenir, il faut objectiver des processus, prendre conscience des différences, les identifier, les nommer. C’est par la nomination, par l’utilisation d’une terminologie spécifique, que l’on comprend et assimile un objet de connaissance et une pratique. Vous trouverez dans ce volume :

tout d’abord un exposé systématique concernant la traduction et les moyens de l’analyser ;

des commentaires gradués qui vont du simple au complexe et qui vous permettront à la fois d’observer et d’acquérir la terminologie nécessaire à l’observation ;

des propositions de recherche qui vous indiquent des moyens de traiter de manière synthétique les informations mises à jour ;

et enfin des prolongements bibliographiques.

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PRINCIPES MÉTHODOLOGIQUES
1. DÉFINITION DE L’OBJET : LA TRADUCTION, ET DE L’INSTRUMENT D’INVESTIGATION : L’UNITÉ DE TRADUCTION
1.1 Aspects de la traduction
1.1.1 L’opération

La traduction est un acte qui implique un ensemble de processus mentaux. Elle consiste à réexprimer un texte à l’aide d’un autre système linguistique que celui dans lequel il a été originellement formulé. Le texte résultant doit satisfaire à un certain nombre de critères de fidélité qui sont variables selon l’option de traduction adoptée (littéraliste, libre, communicative, dynamique).

La raison d’être de la traduction est la différence linguistique. Une langue constitue à la fois un moyen de communication pour le groupe qui l’utilise et un écran pour les autres groupes. Une langue est de la matière constituée en système de communication, c’est-à-dire qu’elle est, dans son organisation et dans sa manière de signifier, l’émanation d’un esprit, d’une sensibilité, d’une culture, qui cherchent à s’exprimer sous forme de représentations diverses.

La traduction est une opération mentale, qui repose pour son accomplissement sur des processus intellectuels et intuitifs comme la compréhension et le jugement, mais l’objet sur lequel ces qualités humaines travaillent est de la matière : à l’origine, il y a un texte qui est une matérialité discursive, et la traduction vise à recréer un autre texte, autre matérialité discursive, qui est censé entretenir avec l’original un rapport de fidélité. Le jugement de fidélité et de qualité que l’on porte sur la traduction ne peut s’exercer qu’au travers des formes, porteuses de sens et d’effets stylistiques.

1.1.2 Le résultat

La traduction est un résultat : un texte, un ensemble formel signifiant. C’est à partir de ce résultat, par sa comparaison avec l’original, que nous allons travailler. Cette procédure va nous renvoyer à deux choses :

la comparaison des systèmes linguistiques dans leur fonctionnement en discours ;

l’accomplissement de la traduction elle-même. A partir des traces de l’opération, qu’est-il possible d’inférer concernant son fonctionnement et son éventuelle systématisation ?

1.2 L’unité de traduction
1.2.1 Définition générale de la notion d’unité

Nous partirons d’une définition générale de la notion d’unité par rapport à celle d’ensemble :

l’unité est le tout, ce qui fait que l’ensemble est perçu comme ensemble ;

l’unité peut aussi désigner l’un des éléments constituants d’un ensemble ;

l’unité, c’est également ce qui assure la cohésion entre les « unités constituantes », ce qui fait que le tout n’est pas une simple addition d’éléments mais un ensemble d’éléments comportant un liant entre eux. Nous allons appliquer cette définition générale à la traduction, mais pour cela il faut avoir présent à l’esprit l’ensemble des paramètres impliqués dans la traduction.

1.2.2 Analyse de l’opération de traduction

La traduction présuppose une écriture à l’aide d’un code de départ, dont l’aboutissement a été le texte de départ.

La traduction est d’abord une lecture par le traducteur, qui fait intervenir sa connaissance du code de départ, son intelligence, ses connaissances extralinguistiques, sa sensibilité, et aussi forcément sa subjectivité. La traduction n’est pas un phénomène simple et direct, la lecture peut être accompagnée de « désirs de traduire » qui se manifestent sous forme de premiers jets ponctuels.

La lecture est une phase d’interprétation (appelée aussi phase herméneutique), d’élaboration du sens, elle ne saurait constituer à elle seule « la traduction ».

La traduction est aussi une réécriture qui s’effectue selon un processus mystérieux et complexe. Il y a une reformulation à partir du sens abstrait (au sens de sens « extrait » du texte) et puis des opérations de comparaison avec les formes de départ afin de s’assurer de la qualité du rendu. On constate également, lors de la reformulation, des retours à la phrase herméneutique ; la mise en forme oblige parfois le traducteur à s’interroger à nouveau sur le sens du texte. Il n’y a pas une, mais des manières de traduire (ce que nous appelons des options de traduction) et celles-ci sont déterminées par une attitude envers les rapports que doivent entretenir formes de départ et formes d’arrivée. Cette attitude peut être inconsciente ou bien le résultat d’un choix délibéré, ou bien encore elle peut être déterminée par des courants institutionnels (par exemple, il est de tradition de traduire près du texte à l’université, un éditeur peut décréter qu’une traduction doit être faite rapidement et de façon libre pour des raisons commerciales ou d’efficacité).

Il faut également être conscient du fait que la traduction n’est pas un simple transfert de mots, de structures, elle est, à un certain moment, un travail interne du texte d’arrivée pour qu’il soit acceptable comme texte. Il faut tenir compte de cette caractéristique pour décrire ce qu’est une unité de traduction, de façon réaliste.