Remèdes à l'amour
L'Amour avait eu connaissance du titre et de l'argument de ce petit livre : « C'est une guerre contre moi, à ce que je vois, une guerre qui se trame ! », dit-il. Retiens-toi, Cupidon, d'accuser d'un tel crime ton poète : moi qui ai tant de fois, sous ton commandement, porté haut le drapeau que tu m'avais confié. Je ne suis pas ce fils de Tydée à cause duquel ta mère, blessée, regagna le fluide asile de l'éther grâce aux chevaux de Mars...

Souvent les autres jeunes gens tiédissent, à la longue : moi j'ai toujours aimé, et si tu veux le savoir. aujourd'hui j'aime encore. Ce n'est pas toi, caressant enfant, ni notre art, que j'irais trahir, et nulle Muse nouvelle n'est venue détisser notre œuvre précédente. Si tel amant brûle heureusement pour un être répondant à son amour, qu'il en profite et que l'heureux garçon navigue à son vent ; mais si quelqu'un souffre sous les lois d'une indigne maîtresse, qu'il ressente donc, avant d'être acculé au pire, les bienfaits de notre art. Pourquoi cet amant-ci, le cou serré d'un nœud coulant, a-t-il pendu son lugubre fardeau à une haute poutre ? Pourquoi tel autre s'est-il, d'une lame impitoyable, transpercé la poitrine ? Te voici, bel ami de la paix, l'odieux responsable d'un meurtre. Celui qui, s'il n'y renonce, est promis à périr d'un amour malheureux, laisse-le renoncer, et tu ne seras pas responsable de ses funérailles.
Car tu es un enfant, et n'as besoin que de jouer; joue ! À ta jeunesse sied un règne sans rigueurs. Laisse à ton beau-père le soin de combattre avec le glaive et la lance acérée, et vainqueur, d'en revenir couvert du sang d'un multiple massacre. Toi, cultive les arts de ta mère, auxquels on s'adonne sans risques, et dont les crimes charmants n'ont jamais endeuillé des parents. Emploie ton talent à ce qu'on casse la porte au cours d'une dispute nocturne ou à ce qu'on décore les entrées d'une avalanche de couronnes festives ; pousse les garçons et les filles à se rejoindre en douce et à donner du souci, par toutes sortes de malices, à un barbon méfiant; qu'un amant tantôt dise des compliments, tantôt des injures à une porte insensible, pour finir, repoussé, en chantant tristement. Tu auras ton content de larmes sans crime de sang; ton flambeau mérite mieux que d'aller nourrir l'avidité des bûchers funéraires.
Ainsi plaidai-je; alors l'Amour doré bougea ses ailes endiamantées et, face à moi : « Soit, me dit-il, achève donc l'écrit que tu as en projet. »

Venez à mes leçons, jeunes gens abusés que leur amour aura trahis de toutes les manières. Apprenez à guérir par qui vous apprit à aimer. Une même main vous apportera blessure et remède. La terre nourrit les herbes salutaires en même temps que les nocives et l'ortie croît souvent à côté de la rose. Cette blessure qu'elle avait faite, en ennemie, au fils d'Hercule, la lance en bois du Pélion, en amie, la cicatrisa. Mais tout ce que je dis aux garçons vous concerne aussi, jeunes filles, croyez-moi; l'on donne ici des armes aux deux camps. Si l'emploi de l'une d'entre elles, en soi, ne vous convient pas, en transposant le modèle vous apprendrez bien des choses.
L'utile dessein que je forme est d'éteindre des flammes cruelles et que l'âme ne soit plus esclave de sa drogue. Elle eût vécu, Phyllis, si elle avait pu m'avoir pour professeur, et le chemin qu'elle emprunta neuf fois, elle y fût passée plus souvent ; ce n'est pas mourante que Didon eût vu du haut des remparts les vaisseaux troyens dédier leurs voiles au vent ; ni la douleur n'aurait, contre le fruit de son propre sein, armé une mère qui châtia son mari en versant, par vengeance, un sang qu'ils avaient en commun. Mon art eût empêché Térée, si fort que lui plût Philomèle, de commettre l'affreux forfait qui lui valut d'être changé en oiseau. Donne-moi Pasiphaé : elle aura vite délaissé l'amour de son taureau ; donne-moi Phèdre : Phèdre renoncera à son ignoble amour. Rends-nous Pâris : Hélène restera à Ménélas et Pergame ne tombera pas, vaincue, aux mains des Grecs. Scylla, fille dénaturée, eût-elle lu notre mince opuscule, le cheveu pourpre fût, Nysos, resté fixé sur ta tête. Sous ma direction, jeunes gens, maîtrisez vos funestes soucis, et que votre barque aille droit avec ses passagers. Lire Ovide était vital quand vous apprîtes à aimer; c'est encore Ovide qu'il vous faut lire à présent. Libérateur de tous, je délivrerai de leur despote les âmes asservies ; mais chacun se doit de contribuer à son propre affranchissement.