Introduction
La définition de la liberté
La question de la liberté est au centre du regard que l’humanité porte sur elle-même depuis toujours, et à ce titre elle est une des grandes interrogations de la philosophie. Les dieux existent-ils et, si oui, nous laissent-ils libres ? Quel sens prend ma liberté d’individu dans le groupe humain où je vis ? La liberté peut-elle se fonder dans l’obéissance à autrui, au pouvoir? Et plus généralement, que signifie être libre?
1. La liberté comme pouvoir d’autodétermination
Avec la révolution des Lumières au XVIIIe siècle l’idée de la liberté a su s’imposer, en Occident, comme le principe de légitimation des sociétés humaines. Ainsi que l’affirmait Hegel, « l’histoire universelle est le progrès de la conscience de la liberté[…] » (Introduction à la philosophie de l'histoire). Le propre de notre modernité politique est d’avoir mis la liberté au fondement du droit, et d’en avoir fait le but de l’organisation collective. Dans son traité théologico-politique, publié en 1670 en Allemagne, Spinoza exprime fortement cette idée : « […] le but final de l’instauration d’un régime politique n’est pas la domination, ni la répression des hommes, ni leur soumission au joug d’un autre. Ce à quoi l’on a visé par un tel système, c’est à libérer l’individu de la crainte – de sorte que chacun vive, autant que possible, en sécurité… Non, je le répète, le but poursuivi ne saurait être de transformer des hommes raisonnables en bêtes ou en automates! Ce qu’on a voulu leur donner, c’est, bien plutôt, la pleine latitude de s’acquitter dans une sécurité parfaite des fonctions de leur corps et de leur esprit. Après quoi, ils seront en mesure de raisonner plus librement, ils ne s’affronteront plus avec les armes de la haine, de la colère, de la ruse et ils se traiteront mutuellement sans injustice. Bref, le but de l’organisation en société, c’est la liberté ! ». Comme le dit l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 (DDHC), « le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l’homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l’oppression ».
La liberté se définit généralement comme un pouvoir d’autodétermination (Rivero) dont l’exercice ne rencontre pas d’entrave : « D’après le sens propre[…] du mot, un homme libre est celui qui, s’agissant des choses que ses forces et son intelligence lui permettent d’accomplir, n’est pas empêché de faire celles qu’il a la volonté de faire. » (Hobbes, Léviathan.) Spinoza soulignait quant à lui que ce qu’on a voulu donner aux hommes (supra n° 2) c’est « la pleine latitude de s’acquitter dans une sécurité parfaite des fonctions de leur corps et de leur esprit ». Il s’agit de ce que Montesquieu appelle la « liberté philosophique », qui « consiste dans l’exercice de sa volonté, ou du moins dans l’opinion où l’on est que l’on exerce sa volonté » (Esprit des lois). Cette liberté rompt avec la conception antique, exprimée notamment par Socrate, de la liberté comprise comme connaissance et emprise sur soi, c’est-à-dire comme vertu, sagesse et raison.
2. Liberté et obéissance à la loi
Les conditions de réalisation de cette liberté-autonomie constituent une des préoccupations de la philosophie politique qui a accompagné la construction de l’État moderne. La réflexion s’articule autour de trois principes. Un principe d’ordre, à savoir que la liberté des individus étant par définition autocentrée, elle entre inévitablement en contradiction avec celle des autres. À cela s’ajoute le fait qu’il est impossible de faire tenir debout une société par simple sommation des libertés subjectives, et qu’il faut des éléments qui lui donnent sa cohésion. D’où l’importance de l’obéissance à la loi, qui définit pour chacun les conditions de sa liberté : « […] la liberté politique ne consiste point à faire ce que l’on veut. Dans un État, c’est-à-dire dans une société où il y a des lois, la liberté ne peut consister qu’à pouvoir faire ce que l’on doit vouloir, et n’être point contraint à faire ce que l’on ne doit pas vouloir[…] La liberté est le droit de faire tout ce que les lois permettent ; et si un citoyen pouvait faire ce qu’elles défendent, il n’y aurait plus de liberté, parce que les autres auraient tout de même ce pouvoir » (Montesquieu). Pour Voltaire « la liberté consiste à ne dépendre que des lois » (Pensées sur le gouvernement). Rousseau débute quant à lui sa carrière littéraire avec le regret mièvre de n’avoir pu « vivre et mourir libre, c’est-à-dire tellement soumis aux lois, que ni moi ni personne n’eût pu secouer l’honorable joug, ce joug salutaire et doux, que les têtes les plus fières portent d’autant plus docilement qu’elles sont faites pour n’en porter aucun autre » (De l'inégalité).