INTRODUCTION
La France dans le monde en 1958
LA SITUATION DIPLOMATIQUE DE LA FRANCE
En 1958, le monde n'est plus dans la phase aiguë de la guerre froide, mais il n'en est pas encore à la détente. Il entre dans une phase de coexistence pacifique. D'un côté, le camp occidental, groupé autour des États-Unis d'Amérique, solidement établi en Europe de l'Ouest, avec toutes ses dépendances coloniales, en particulier en Afrique, dans tout le continent américain et en Océanie; de l'autre, le camp oriental, où l'Union soviétique a réussi à gagner à la cause du marxisme-léninisme l'Europe de l'Est et l'immense Chine (1949). Entre les deux blocs, tout pas en avant est considéré comme une agression. Aussi la situation internationale est-elle gelée. À l'ère nucléaire, la guerre froide génère tout au plus des crises liées à quelques abcès de fixation, symboles d'un monde déchiré: l'Allemagne (1949), la Corée (1953), l'Indochine (1954). Les relations entre les deux blocs évoluent de la confrontation militaire et idéologique à la compétition économique, à la course aux armements et à l'espace. Les Américains ont bâti leur stratégie sur une politique d'isolement de l'URSS, et le secrétaire d'État, John Foster Dulles, ne manque pas une occasion de rappeler qu'il faut rester sur ses gardes. Les Soviétiques pratiquent le régime de la « douche écossaise », alternant propositions de paix et menaces de guerre, employant volontiers un ton sarcastique : en juillet 1958 Nikita Khrouchtchev, le secrétaire général du Parti communiste de l'Union soviétique, compare l'intervention anglo-américaine au Proche-Orient aux coups de force de Hitler, et rappelle au Premier ministre britannique « la triste et pénible expérience de Suez ». L'opposition Est/Ouest se traduit non seulement par des échanges de notes virulentes, mais aussi par un très important effort de propagande, en particulier du côté soviétique à la suite du succès du lancement de Spoutnik, le 4 octobre 1957. Les Soviétiques multiplient leurs offres de désarmement, d'arrêt immédiat des expériences d'armes atomiques et à hydrogène, d'interdiction de l'emploi de ces mêmes bombes et des fusées téléguidées, offres à discuter lors d'une conférence au sommet. Ils proposent, à la suite du ministre polonais des Affaires étrangères, Rapacki, la création en Europe centrale d'une zone désatomisée, la liquidation des bases militaires en territoire étranger. Ils reviennent inlassablement sur leur idée d'un traité de paix avec l'Allemagne, qui doit régler à leur avantage la question du statut de Berlin. L'Europe n'est pas la seule cause des crises.
La naissance du tiers-monde complique en effet le jeu des rapports Est/ Ouest. À la période de décolonisation asiatique (Inde : 1947, Indonésie : 1949) succède une seconde vague, surtout africaine. Après la conférence de Bandung (1955), où les États récemment décolonisés célèbrent leur volonté d'indépendance et de coexistence pacifique, à Suez, en 1956, les deux grandes puissances coloniales européennes subissent un revers diplomatique face à un État du Proche-Orient. Le tiers-monde proclame plus ou moins pacifiquement son intention de ne plus être traité en objet de la politique internationale ; la décolonisation transforme les rapports de forces, bouscule le jeu de l'Organisation des Nations unies et place les puissances occidentales sur la défensive. Le mouvement des non-alignés animé par le Yougoslave Tito, considéré comme révisionniste par le communisme orthodoxe, par l'Indien Nehru, figure emblématique des indépendances asiatiques, et par le colonel Nasser, auréolé de sa victoire sur les Franco-Britanniques, est de plus en plus influent sur la scène internationale et en particulier au sein de l'ONU, où le groupe afro-asiatique est en passe de dicter sa loi aux anciennes métropoles coloniales.
Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, la puissance s'est déplacée du Vieux Monde vers les mondes extra-européens, et on entre dans l'ère des superpuissances, américaine et soviétique. Ruinée par la guerre, l'Europe n'est plus en état de jouer le rôle prééminent qui était le sien. Elle est même divisée en deux parties antagonistes, dressées l'une contre l'autre au sein de pactes militaires, l'Alliance atlantique et le pacte de Varsovie, dont les troupes et les armes se font face de part et d'autre du Rideau de fer.