1988
Lundi 9 mai 1988
François Mitterrand est réélu. Comme pour se montrer à lui-même qu'il ne s'agit là que d'une péripétie, il décide, puisque nous sommes lundi, de s'offrir son habituelle partie de golf. Notre conversation roule sur l' « ouverture » qui semble, depuis hier, mobiliser tous les esprits. Les socialistes n'ont pas la majorité au Parlement. Impossible de gouverner sans le soutien des centristes. A moins de dissoudre. Le Président n'a pas l'air de s'en soucier vraiment : On ne va tout de même pas se traîner aux pieds des centristes ! Ou bien ils se décident, ou bien ils affronteront une dissolution. Ma déclaration de dimanche soir aurait sans doute pu être plus ouverte. Mais j'ai écouté Barre, Giscard et Simone Veil avant de parler, et ils n'ont pas été très encourageants. Aussi en ai-je tenu compte.
Jean-Louis Bianco reçoit ce matin Bernard Stasi et Jacques Barrot, les deux hommes qui, au CDS, sont les plus demandeurs d'une alliance immédiate avec le PS. Ils lui rappellent les conditions, déjà exprimées lors de discrètes rencontres au cours de la campagne présidentielle, qu'ils mettent à leur soutien à un nouveau gouvernement : pas de dissolution de l'Assemblée nationale avant une réforme du mode de scrutin – en clair, la réintroduction de la proportionnelle – qui seule permettrait aux centristes de sauver leurs sièges tout en changeant de camp. En échange, ils s'engagent à voter les textes de loi avec les socialistes, à soutenir le gouvernement sans y participer, puis à y entrer après les législatives.
Bianco rapporte sa conversation au Président, qui ne cache pas son intention de dissoudre sur-le-champ : Je ne vais pas me mettre entre les mains des centristes ! Si j'accepte leurs propositions, ils nous lâcheront dès que la situation deviendra difficile. Et nous perdrons les élections.
De Jean-Pierre Soisson à Michel Durafour, les membres de l'« Association des Démocrates » qu'a rassemblés Roland Dumas avant les élections se voient tous ministres.
Au PS, beaucoup s'agitent à propos de la formation du gouvernement. Quel Premier ministre ? Michel Rocard, sans aucun doute. C'est en tout cas ce que j'ai pu déduire des rares indications que m'a fournies François Mitterrand ce matin.
Pierre Bérégovoy, lui-même toujours sur les rangs, ne veut pas y croire et me dit : Rien n'est joué. François Mitterrand n'a encore rien décidé. Il ne faut pas prêter attention à l'intox de Rocard.
Lionel Jospin fait savoir au Président qu'il veut un grand ministère d'État. Le Président lui propose un grand département qui engloberait l'Éducation, la Recherche et les Sports. Michel Rocard souhaite également l'Éducation nationale, en sus de Matignon! Et Jean-Louis Bianco désire lui aussi ce portefeuille. Enfin, Jack Lang écrit à François Mitterrand pour lui expliquer sa conception d'un ministère de l'Intelligence et de la Beauté regroupant – sous son autorité – l'Éducation, trois ministères délégués (Recherche, Culture et Communication) et cinq secrétariats d'État, avec pour but de battre Le Pen en développant une action anticrise...
Je sais depuis une semaine, le Président me l'ayant confié, que Lionel Jospin obtiendra l'Éducation nationale et sera ministre d'État. Il abandonnera donc le poste de Premier secrétaire du PS que convoitent à la fois Fabius et Mauroy. La lutte entre eux sera chaude. Jospin lui-même n'est guère enthousiaste : il aurait préféré un grand ministère de souveraineté, mais il s'incline car le Président lui dit que c'est sa première priorité.
Jean-Louis Bianco continue à voir des gens de l'opposition. Il rencontre discrètement cet après-midi Jean-Pierre Soisson, Lionel Stoleru, le sénateur RPR Lucien Neuwirth, Simone Veil et Bernard Stasi. Au nom du Président, il leur propose d'entrer dans le nouveau gouvernement. Ils disent préférer attendre, avant de répondre, de connaître les intentions du chef de l'Etat en matière de dissolution. Leur conseil est identique : Gouvernez, vous trouverez toujours une majorité. La dissolution n'est pas urgente. Jean-Louis Bianco leur répond qu'en cas de dissolution, l'ensemble des candidats se réclamant du Président pourraient se présenter sous la même étiquette ; une cinquantaine de circonscriptions seraient réservées à des centristes. Le cas échéant, si le rapport des forces le permet, des élections triangulaires pourraient être envisagées.