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Les univers passés
Organiser l'univers
Je vais souvent à l'observatoire de Kitt Peak, au sommet d'une longue chaîne de montagnes à quelque 2 000 mètres d'altitude, en plein milieu d'une réserve indienne dans le désert de l'Arizona, pour faire mes observations. Au cours de la nuit, pendant une pose, alors que le télescope géant (fig. 1) collecte les particules de lumière porteuses d'information appelées photons
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provenant d'une galaxie* lointaine, et les focalise sur un détecteur électronique qui les enregistre, je sors du dôme qui abrite le télescope pour observer le ciel. Je veux d'abord m'assurer que le ciel reste clair et dégagé, et qu'aucune bande de nuages à l'horizon ne menace d'interrompre mes observations et de gâcher les quelques nuits précieuses dont je dispose. Mais je veux aussi m'octroyer le plaisir de contempler la voûte étoilée dans toute sa splendeur et son immensité.
Malheureusement, avec les techniques d'observation modernes, l'astronome n'est plus en contact direct avec le ciel. Finie l'image romantique du savant assis dans le noir, l'œil collé au télescope, sacrifiant son bien-être pour l'amour de la science (je peux vous assurer personnellement que le fait de rester immobile pendant des heures dans l'obscurité à guider le télescope, luttant contre le froid et le sommeil au cours des longues nuits d'hiver, n'est pas une expérience très agréable). Maintenant, je travaille dans une pièce bien éclairée et chauffée, et je commande tout électroniquement à l'aide d'ordinateurs puissants en manipulant des boutons sur un tableau de commande. Ainsi, dès que le télescope est pointé, l'image de la galaxie qui fait l'objet de mes études apparaît sur un écran de télévision, agrandie des milliers de fois. J'observe le ciel par électronique interposée. La perte de cette communion directe avec le ciel est plus que compensée par une précision accrue et une plus grande efficacité engendrée par le confort physique.
Le ciel, par une nuit sans lune, loin des lumières aveuglantes des villes, est un spectacle merveilleux. Des milliers de points de lumière brillent de tous leurs feux. Il y en a deux là-bas, vers l'ouest, qui sont un peu plus brillants et qui scintillent un peu moins. Ce sont les planètes* Mars et Jupiter, les voisines les plus proches de la Terre en s'éloignant du Soleil. Mars, où des machines construites par l'homme se sont déjà posées et où la recherche de la vie extra-terrestre s'est révélée négative ; Jupiter, le colosse du système solaire, qui est 11 fois plus grande et 318 fois plus massive que notre Terre. La lumière qui me parvient de Mars et de Jupiter, comme celle des sept autres planètes, n'est pas leur propre lumière, mais celle qui est reflétée par le Soleil. Ce Soleil qui, en raison de la rotation de la Terre, va et vient au-dessus et au-dessous de l'horizon, donnant naissance au jour et à la nuit, et autour duquel toutes les planètes tournent. A cause de cette même rotation de la Terre, Mars et Jupiter vont elles aussi bientôt disparaître en deçà de l'horizon et je ne les reverrai que la nuit prochaine. La lumière de ces deux planètes n'a pas mis très longtemps pour parvenir jusqu'à moi, 12 minutes seulement pour Mars et 42 minutes pour Jupiter. Le système solaire n'est qu'un grain de sable sur la plage immense de l'univers.
Mon attention se tourne vers les autres points lumineux. Ce sont des étoiles, tout comme le Soleil, qui fabriquent leur propre lumière et leur propre énergie grâce à des réactions nucléaires intenses dans leur cœur. Elles font partie de notre galaxie, que les Anciens ont baptisée Voie lactée
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, à cause de cette bande blanchâtre que je vois là-bas traverser la constellation d'Orion. Cette lumière diffuse est émise par les milliards d'étoiles dans le plan de notre galaxie, et notre Soleil n'est qu'une étoile quelconque parmi les 100 milliards de la Voie lactée ; il nous entraîne autour du centre galactique tous les 250 millions d'années avec les autres étoiles. J'admire la belle constellation d'Orion et je pense à la naissance des étoiles, car Orion est une immense pépinière stellaire où de grands nuages interstellaires s'effondrent par endroits, sous l'effet de leur gravité, pour fabriquer de nouvelles étoiles.